V - Viridis et Talius - Partie 1
Ne meurs pas... Je suis tellement désolé de ne pas t'avoir protégé comme il le fallait.
Le Saphir Bleu poursuivait sa route, filant dans les cieux, sa coque rutilant les rares rayons du soleil, cachés par d'épais nuages. Toujours plongée dans un profond sommeil, Saphir donnait l'impression d'être morte. Sa faible respiration et sa peau cadavérique, suffisaient à faire naître au sein d'Assad un profond mal-être. Allait-elle s'en sortir ? Pourrait-il un jour espérer entendre à nouveau son rire cristallin et débordant de joie ? Revoir son sourire éclatant ? Assad n'avait cessé de veiller à son chevet, ne prenant aucun repos. Zahya aurait bien voulu se tenir à ses côtés, comme elle l'avait toujours fait, mais sa présence était nécessaire pour soigner leurs amis blessés.
Un silence sépulcral régnait dans le vaisseau, tant l'humeur d'Assad était exécrable. Personne ne voulait parler, et les mines demeuraient inquiètes. À l'infirmerie, là où ils étaient tous réunis, sauf Shems qui pilotait le vaisseau, seul Amérius eut le courage d'engager la conversation, ne supportant plus l'atmosphère pesante.
— Aswad ?
Allongé, ce dernier se redressa en grognant quelque peu. L'énorme bandage qui lui recouvrait l'épaule était incommodant.
— Que s'est-il passé chez elle ? demanda le roi d'Éterneige, en massant l'attelle provisoire que Zahya avait posé sur sa cheville. Comment se fait-il que tu n'étais pas avec nous quand nous avons affronté Lunera. Je ne m'en plains pas, au contraire, mais j'avoue être curieux.
Cette fois, l'aura sombre autour du Dakmago bleuit. C'était sûrement sa manière de rougir. Intéressés, Zahya, Assad et Fenrir se tournèrent vers eux.
— Eh bien... Quand tu es venu nous prévenir... dit-il avec un sourire contrit. Vous... savez tous que je ne cours pas... très vite...
Ils hochèrent la tête. C'était un euphémisme. Déjà qu'avec ses petites jambes, courir n'était pas aisé, mais avec une en bois, c'était un véritable calvaire.
— J'ai fait de mon mieux pour rester à votre rythme, mais vous m'avez devancé très rapidement... Vous voyez les escaliers qui mènent au sous-sol ?
Ils acquiescèrent une seconde fois, devinant presque la finalité de l'anecdote.
— En arrivant au sommet de l'escalier, j'ai vu la robe de Zahya disparaître tout en bas. J'étais donc bien en retard, je voulais accélérer le pas... J'ai descendu trois ou quatre marches, et dans la précipitation, j'en ai raté quelques-unes, avoua le roi, honteux. Je n'ai même pas compris ce qui s'est passé, tant c'était rapide.
Fenrir réprima un rire, mais Amérius ne fut pas aussi discret. Il ricana de son habituel rire sournois, devant un Aswad en pleine disgrâce.
— Tu prends de l'âge, mais tu ne changes pas ! Tu es d'une maladresse maladive... Ma foi, au moins, tu nous as sauvés !
— Je pense m'être évanoui, reprit le Dakmago, en l'ignorant délibérément. Néanmoins, en me relevant, j'ai entendu des cris et des détonations. En arrivant, j'ai utilisé le premier sortilège qui m'est passé par la tête pour neutraliser Lunera.
Si étrange le récit soit-il, cette petite mésaventure leur fut salutaire.
— Et nous t'en remercions, dit Assad d'une voix douce. Tes dons magiques nous sont toujours très utiles.
Le roi de Sultakara se releva, et lissa les pans de sa cape.
— Je vais aller vois Shems. Normalement, il maintient toujours le cap vers Viridis.
— Talius se fera une joie de nous revoir, railla Amérius en levant les yeux au ciel.
Assad se posta près du hublot, détaillant l'horizon qui s'offrait à lui. Au loin, une ribambelle d'arbres au feuillage donnant sur les différents tons de violets ; ils survolaient la Forêt Noire. Le soleil avait disparu, caché totalement par de menaçants nuages. Talius pourrait faire quelque chose pour sa fille. Il en était certain.
☾☾☾
Talius, souverain de Viridis, demeurait soucieux depuis qu'une lettre hyper-express écrite par Assad, expliquant une histoire d'enlèvement abracadabrante, lui était parvenue. Soucieux surtout des problèmes que ces gens-là pourraient encore apporter aux pays de Terhera !
C'était un homme de grande taille, aux cheveux bruns si longs, si fins et si lisses, qu'on aurait pu s'y méprendre avec une cascade. Ses yeux verts ressemblaient à ceux d'une créature magique. En effet, des motifs spiralés parcouraient ses iris, et ses pupilles étaient extrêmement réduites, presque en fente. Il était vêtu d'une élégante robe de mage verte et blanche, qui respirait la richesse et le faste, évoquant clairement son ascendance royale.
Viridis était un royaume différent des autres, dans lequel la magie blanche, ou la magie de soin, fleurissait et prospérait. Les guérisseurs les plus réputés sur Terhera demeurait dans ce petit royaume. Leur renommée était internationale ! Mais nul n'égalait Talius, un guérisseur diablement performant, un véritable génie dont les innovations et les potions curatives avaient plus d'une fois révolutionné le domaine de la santé.
— Votre Majesté ? l'appela un de ses ministres, interrompant le cours des pensées du roi. On m'annonce que Le Saphir Bleu de Sultakara est à dix minutes du palais. Le navire arrive par le sud.
— Le Saphir Bleu ? répéta-t-il, en se massant les tempes dans une vaine tentative de prévention contre la migraine qui se profilait.
Il soupira.
— Préparez le nécessaire. Il serait préférable, qu'il atterrisse dans le quai... voyons... le second. Je viendrais les accueillir moi-même.
L'homme s'inclina avant de sortir. Lentement, Talius se leva, et se mit en marche vers le quai. Son choix était stratégique, car celui-ci était le plus proche du gigantesque complexe hospitalier dont il avait la direction.
J'ai un mauvais pressentiment.
Toutes les fois où Assad arrivait directement dans son royaume, accompagné de sa suite de l'Adrastée, Talius était confronté à des nouvelles désagréables. Ces gens-là n'apportaient que des problèmes. Il ne les supportait pas.
Il arriva à temps pour voir l'aéronef atterrir. Son éclat azuré faisait tâche sur le vert du royaume. Viridis était aussi un royaume singulier dans la forme. Que ce soit au niveau des maisons, du palais royal, ou des avenues de la ville, une palette verte magnifiait les lieux. Un véritable camaïeu verdoyant, un cadre singulier que l'on ne trouvait nul part ailleurs dans Terhera. Un de ses ancêtres avait estimé que le vert leur apporterait la bénédiction, étant une couleur que l'on associait ordinairement aux sortilèges curatifs.
Avec un air de grande dignité, Talius attendait au pied du quai, les mains jointes. Une grande portière s'ouvrit, et Assad descendit en boitant, sa jambe brûlée lui faisant horriblement mal. Le brasier de Jahanama était différent d'un feu quelconque. Sa morsure hargneuse marquait la chair avec virulence, et la faisait languir. Les soins de base n'avaient presque pas d'effet. Suivi de Zahya et de leurs autres amis, Talius constata qu'ils étaient dans un lamentable état. Il n'en était même pas surpris. Il se demanda même comment devait fonctionner l'Adrastée, avec ses rois et reines toujours à sillonner les cieux à la recherche d'ennemis à abattre. Cicatrices et brûlures, contusions et écorchures, Talius se félicita d'avoir choisi ce quai. Ah ! Qu'ils l'irritaient !
— Pardonnez-nous de notre arrivée si... impromptue, s'excusa Assad, n'aimant pas s'imposer de la sorte. Nous sommes dans une situation délicate, il est évident que les récents événements concernent tous les royaumes de Terhera.
Talius se retint d'hausser un sourcil.
— L'héritière sultakaroise est-elle chez elle ? demanda-t-il en plissant les yeux, après avoir noté la présence de Fenrir.
Le visage d'Assad se crispa.
— Venez, s'il vous plaît.
Assad emmena Talius dans la cabine, où reposait la princesse.
— Le sommeil n'est pas naturel, on le voit à sa respiration, déclara Talius à peine une seconde après l'avoir observée. Un sortilège ou un somnifère n'auraient pas des effets aussi prononcés. De la haute magie, sans aucun doute. Voyez un peu la pâleur de ses téguments, et oh...
Le pouls de la princesse battait faiblement, et avec une lenteur presque inquiétante.
— Nous devons faire vite, mais avant ça...
Il se tourna vers Assad, en quête d'explications. Assad prit quelques instants pour mettre en ordre ses pensées, comprenant la requête muette de son confrère. Il se lança alors dans un long monologue, n'omettant aucun détail. Lunera, la Poudre de Sommeil Instantané, le Rituel de l'Aspire, et Jahanama. Surtout Jahanama. L'ardeur de Jahanama, la folie de Jahanama, la haine de Jahanama. Il décrivit avec une telle précision le brasier infernal qui les avait pourchassés, que Talius, pourtant peu impressionnable, en fut estomaqué. Assad avait bien ses défauts, mais Talius lui reconnaissait une grande bravoure, et un courage à toute épreuve. Qu'il raconte la grandeur du sortilège avec un regard rempli d'effroi en disait long sur la gravité de la situation.
— Cette fille détient une force magique effarante, et...
Le roi s'interrompit, prenant pleinement conscience de l'énormité de la situation. Talius, avec impatience, le pressa de poursuivre.
— C'est une Sorcière.
L'annonce, comme une bombe, eut l'effet d'une gifle. Le destin ne les avait franchement pas gâté. Darkodem était une plaie, mais Lunera, il en était sûr, sera celle qui apportera le malheur en ce bas monde.
— Hum... Je vois. Ceci dit, la santé de votre enfant m'importe plus, pour l'instant. Il me faudra quelques données, Sire Assad.
Talius prit le silence d'Assad pour une affirmation.
— De quelle couleur était la poudre ? Est-ce que l'un d'entre vous l'a vue ?
— Euh... Non...
Ridicule. Talius se fit violence pour ne pas rétorquer quelque chose de peu amène.
— Je reformule... Avez-vous vu un nuage de poussière ?
— Rose très foncé, presque violet. J'ai cru voir un instant des volutes noires, mais je n'en suis pas certain.
Cette Lunera ne fait vraiment rien au hasard...
Une telle description indiquait sûrement ce venin. Embêté, il s'accorda quelques instants de réflexion avant de s'approcher de la jeune princesse. Il souleva une de ses paupières, et observa le globe oculaire.
— Lumen.
Une petite lueur se matérialisa l'aidant à mieux voir. Ses pupilles étaient si dilatées que l'on ne percevrait presque plus l'anneau coloré de l'iris, qui avaient d'ailleurs viré au violet. Des vaisseaux sanguins avaient éclaté aussi. C'était inquiétant.
— J'ai passé tout le trajet à son chevet.
Talius releva la tête, et haussa un sourcil. Quelle abnégation de la part d'Assad. Veiller sur sa fille, blessée, peut-être au seuil de la mort, au lieu de sillonner les cieux du monde. Peut-être devrait-il lui décerner une médaille ? Voilà à peine dix minutes qu'ils étaient là, et Talius en avait déjà assez de ses... invités. Il ne les supportait pas.
— Voyez-vous, dit Talius en ignorant royalement sa remarque stupide, la Poudre de Sommeil Instantanée est une substance aux propriétés soporifiques, commença à expliquer le Guéridiss. Huit à douze heures plus tard, et les effets s'estompent. Cependant, la poudre est particulière par sa capacité à fusionner avec d'autres éléments afin de lui octroyer des effets supplémentaires, bénéfiques ou maléfiques. Par exemple, lorsque celle-ci adopte une couleur verte, très pâle, cela montre qu'elle s'est associée avec de l'Essence Pur, ou une autre potion de soin. Elle permet donc d'avoir un sommeil complet et réparateur. On pourrait penser à tort, qu'il s'agit là d'une chose salvatrice. Pour autant, on peut vite développer une dépendance et aboutir à de fâcheuses conséquences.
Assad s'éclaircit la gorge, pressant son confrère de ne pas s'éparpiller dans des explications inutiles.
— À l'inverse, reprit Talius, non sans un regard noir, le violet obscur vient d'un ingrédient extrêmement nocif et dangereux... Je n'avais jamais vu une telle combinaison, mais je suis certain qu'elle a été empoisonné par du venin de Blambourinos-Nocterus.
— COMMENT ??! hurla Assad.
Un peu de tenue, voyons.
— Sire Talius, ce n'est pas possible, voyons ! s'écria Assad, soudain fébrile. Vous savez autant que moi que parmi tous les poisons de ce monde, celui du Blambourinos est le plus agressif !
— Ce n'est pas celui que l'on trouve dans leurs crochets, répliqua patiemment le roi de Viridis. Les Blambourinos vivent dans la Forêt Noire, j'ai pu m'adonner au loisir de les étudier sous toutes leurs coutures. Ayez foi en mon jugement.
Étourdi, ne comprenant pas pourquoi sa pauvre fille était frappée d'un aussi cruel châtiment, Assad s'assit et se tint la tête de ses mains.
— Ce venin est trop violent pour laisser la cible en vie. J'opterais plutôt pour les écailles du dos. Mes travaux ont montré que celles-ci ont un pouvoir paralysant. Il n'y a pas vraiment de solution miracle, les contrepoisons au venin de Blambourinos n'existant pas. Mais cette chose n'étant pas formellement un toxique, j'ai quelques idées sur la manière dont je vais agir. Quant à vous tous, ajouta-il en lui lançant un regard sévère, vous irez à l'hôpital.
Talius fit léviter Saphir, et après avoir récupéré les autres en chemin, ils se rendirent à l'hôpital de Viridis, la fierté du royaume. Un immense complexe de sept étages rivalisant de taille avec le palais royal. Le second quai avait la particularité de joindre l'hôpital au quatrième étage. Ainsi, Talius pouvait ne pas passer par l'entrée publique, ce qui l'arrangeait bien ! Il ne voulait nullement attirer l'attention.
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