III - Menace Lunaire - Partie 3

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Un peu plus loin, dans le château, Saphir dînait tranquillement avec ses parents. Pour l'occasion, Amérius, monarque d'Éterneige, était venu manger avec eux. Ce dernier avait même ramené Fenrir, dont il appréciait la compagnie. Grenat montait tranquillement la garde devant la porte. Ils discutaient du bal reporté au lendemain, à cause du froid quand la porte de la salle à manger s'ouvrit brusquement.

Shems, le chevalier maître du royaume, chef des factions masculines entra, essoufflé. Le roi se leva, alarmé. Il enleva son casque d'argent, assorti à son armure, dévoilant des cheveux gris coupés court, et s'exclama :

— Votre Majesté ! Un incendie criminel ravage la grande place ! Dans l'attente de vos ordres, j'ai dépêché des soldats pour aider les civils. D'autres se chargent de la responsable. Elle est intouchable, Sire, et elle a déjà décimé deux équipes !

D'abord surprise, Grenat se posta immédiatement à ses côtés.

— Nous attendons vos ordres, dit-elle avec assurance.

— COMMENT ? tonna Assad. Shems, envoyez trois autres unités pour secourir les habitants, prévenez Adja, et demandez l'aide d'Aswad. Nous aurons besoin de lui. Grenat, vous venez avec nous.

Le chevalier salua l'assemblée, et sortit en courant.

— Vous tous ! Avec moi ! cria-t-il, en dégainant son sabre.

— Décidément, grogna Amérius de son éternelle mine renfrognée, nous ne pouvons même pas dîner en paix. Allons donc rétamer cette audacieuse semeuse de trouble !

Ils se hâtèrent vers la grande place, l'heure était grave. Au loin, on pouvait déjà constater l'ampleur des dégâts. Assad comprit que les braises étaient magiques, provoquées probablement par une Incantation de Feu Majeur. Cependant, ce sortilège ne faisait pas autant de dégâts. Pour sûr, il était lancé par quelqu'un de puissant.

Les flammes ne tarissaient pas et dévoraient goulûment le paysage. Les arbres étaient calcinés, les bâtiments aussi, et d'innombrables corps carbonisés gisaient par terre. La grande fontaine central était cassée, et l'eau ruisselait un peu partout, se transformant en une boue malpropre, tant elle se mêlait à la poussière des maisons brisées et aux sang des victimes.

Et là, la meurtrière attendait, essuyant tranquillement son épée maculée sur le vêtement d'une victime. Une silhouette féminine encapuchonnée, dont on ne voyait à peine le visage. Avec la lumière de la lune, ainsi que la lueur des flammes, on percevait tout de même la finesse de ses traits. Assad se sentit soudainement mal à l'aise, sans qu'il ne sache pourquoi. Grenat s'avança, et d'une voix forte, elle lança :

Veneficium Desinit !

Une lumière bleue sortit de la pointe de son épée, et se dirigea vers le feu, qu'elle entoura. Un grand claquement retentit. Le sortilège échoua.

Plus puissant que je l'imaginais...

— Grenat, ensemble ! la sollicita Saphir.

Veneficium Desinit ! dirent les deux femmes à l'unisson.

La Saphirslame se baigna de la même lumière, encore plus éblouissante, si c'était possible, que celle de Grenat. Celle-ci embrassa les flammes et l'énergie contenue dans le brasier s'évapora sous le fruit de leurs efforts conjugués. L'incendie perdit de sa superbe. Fenrir s'approcha de Saphir, et lui tapota l'épaule.

— Bravo Princesse, tes pouvoirs sont toujours aussi grandioses. Avec Grenat, vous...

On ne sut jamais ce qu'elle avait, avec Grenat, car ne voyant pas tout cela d'un très bon oeil, Lunera l'interrompit en applaudissant avec dédain :

— Oui, félicitations princesse Saphir.

Sous ses intonations doucereuses, on décelait un grand danger dans la voix de Lunera. Cette jalousie maladive qui l'avait saisie, se voyait ravivée par l'arrivée des ennemis de l'Adrastée, qui entouraient Saphir comme des planètes tournant autour du soleil. Elle ne voyait que ça : une dame plus âgée, probablement sa mère, lui tenant la main. Son père, Assad, qu'elle reconnut à sa couronne, faisait barrière de son corps. Grenat, avec qui elle semblait partager une grande complicité, et ce jeune homme dont elle ignorait le nom, qui était très familier avec elle. Saphir était bien entourée, pensa amèrement Lunera.

— Qui êtes-vous ? demanda Assad, furieux. Explodor Maxima !

Une émanation de magie pure trancha l'obscurité de la nuit, et se propulsa à toute vitesse vers Lunera, qui la para sans aucun effort.

— Ridicule.

Lunera retira sa cape. Ses traits, sa morgue, sa manière de s'exprimer et de s'habiller, n'étaient pas inconnus à Assad et ses compagnons. Seuls Saphir et Fenrir n'avaient pas fait le lien.

— On dirait Darkodem mais en féminin, murmura Amérius.

— Qui êtes-vous ? répéta Assad.

— Mère, regarde son épée, je n'en ai jamais vu des pareilles, murmura Saphir.

Zahya pâlit. Elle chuchota à l'oreille de Grenat, qu'il fallait faire attention, car l'arme ne présageait rien de bon. Pas assez discrètement, hélas :

Immobilis ! s'exclama Lunera.

Une lumière verte les surprit comme un flash. Assad et ses compagnons se figèrent, incapable de bouger. Tout était allé trop vite...

— Pauvre idiote, vous vous êtes piégez vous-mêmes ainsi que vos petits amis, ricana Lunera.

Assad vociféra quelque chose, mais cela passa inaperçu, car Lunera s'était mise à hurler encore plus fort, saisie d'une soudaine colère.

— Taisez-vous ! Tous !

Elle inspira et expira bruyamment pendant quelques secondes, avant de reprendre la parole :

— Darkodem, ça vous dit quelque chose ?

Les soupçons d'Assad et des autres se confirmèrent.

— Je suis Lunera, sa fille et héritière ! clama-t-elle en levant les mains au ciel, comme pour rendre la révélation encore plus théâtrale.

Assad et Amérius jurèrent simultanément à voix haute, tandis que Saphir jeta un regard des plus éloquents à une Grenat foudroyée par la nouvelle. Un « O » parfait se dessina sur la bouche de Zahya et Fenrir, tous deux abasourdis. Les scrutant d'un regard calculateur, Lunera songea à de nouveaux plans, maintenant qu'elle en savait plus sur la princesse sultakaroise. Les tuer tout de suite n'était pas très attrayant.

— Lui ! Tu es en fait la chair et le sang de m... Darkodem, cracha Assad.

— Ah ! Maintenant que mon identité est percée, on ne me vouvoie plus... ironisa Lunera, d'un air faussement attristé.

Elle s'interrompit, et leva ses yeux au ciel.

— Je n'ignore rien de vous, et je sais tout ce que vous avez fait enduré à mon père. Toute la hargne que vous avez montré à son égard l'ont mené à sa perte. Vous lui avait fait du mal, vous M'AVEZ fait du mal... Vous l'avez cruellement assassiné et maintenant, c'est à mon tour de voir à quel point votre sang est immonde, comme de la bourbe ! beugla-t-elle.

— Ce personnage détestable qui te sert de père voulu détruire Terhera. Même un simplet verrait à quel point il était fou ! cingla Saphir.

Lunera rouvrit ses yeux, amusée. Elle percevait une certaine superficialité chez cette fillette, et en son for intérieur, elle la rangea dans la catégorie des idiots. Elle manquait de grâce, et son verbe n'était pas acéré. Restait à savoir si elle avait la main leste.

Minable.

— Parfois, se taire est une vertu, Saphir, déclara-t-elle d'une voix mielleuse. Mutisma !

Saphir essaya d'émettre un son, en vain ; elle était devenue temporairement aphone.

— Crois-tu vraiment que nous allons te laisser faire, pauvre fille ? rétorqua Assad. Nous sommes venus à bout de Darkodem une fois, pourquoi pas deux ? Je vois que tu as hérité de son goût du chaos et de la destruction. La tare chez le père, se retrouve chez la fille, lâcha-t-il avec dégoût.

— Comment osez-vous ? rugit Lunera. Mon pouvoir dépasse les limites de l'imagination. Je vais faire de vous un plat de viande, avec lequel je nourrirais des chiens errants.

— Rira bien qui rira le dernier ! Nous sommes six et tu es seule ! la coupa Saphir, ayant retrouvé la voix.

C'était si rapide que Lunera fut surprise. La fille était peut-être stupide de son point de vue, mais son pouvoir était bien réel. À ces instant précis, comme pour confirmer les dires de Saphir, le sortilège d'Anti-Mobilité cessa. Assad et les autres coururent chacun dans une direction. Lunera, prise au dépourvu, ne put rien faire, ne sachant où donner la tête. Ils se rejoignirent derrière Lunera, levèrent tous leurs armes, et les croisèrent en incantant :

Explodor !

Le sortilège renforcé par l'effet de groupe prit une teinte mauve inquiétante, et se dirigea à toute allure vers la jeune fille sidérée. Lunera reprit ses esprits juste à temps. Saisissant sa Lame Jahanama, elle fendit l'air quand le sort arriva à sa hauteur. Avec un bruit semblable à une explosion, l'Explodor fut renvoyé comme une balle de tennis après un virulent service. Ils s'écartèrent de justesse. Comme un boulet de canon, il détruit quelques maisons au passage, faisant un gigantesque cratère fumant sur le sol.

— À mon tour maintenant de vous montrer ce dont je suis capable, dit Lunera avec un sourire torve en voyant leurs mines déconfites.

Lunera rasa l'espace en face d'elle d'un geste vif de sa lame, et invoqua un Explodor. Celui-ci se déploya en arc de cercle, qui, en une fraction de seconde, vint les heurter. Mais Lunera l'avait modulé de sorte à ce qu'il les déséquilibre, car un instant plus tard, avec un mouvement complexe de main, elle cria :

Tornado Aérem !

Un cyclone haut comme un immeuble de trois étages, prenant une couleur verte presque pâle, se leva, et saisit Assad et ses compagnons. Les rafales venteuses les giflaient avec violence. Avec vivacité, Saphir tourbillonna sur elle-même, et contra les vents dévastateurs de la force magique de sa Saphirslame, un atout que les autres n'avaient pas. Avec un bruit sourd, les autres tombèrent plus loin. Vaincus, les visages harassés, le typhon leur avait ravis la force de se lever. Hurlant, la princesse se précipita vers eux. Elle s'agenouilla près de Zahya, et lui prit une main. Une lueur brillait près d'elles.

— Mère !

— Mère ! l'imita Lunera, en prenant une affreuse voix de fillette haut perchée, avant de se mettre à ricaner.

Enragée, la Princesse se releva, ses iris flamboyant de fureur. La lame levée, elle se précipita vers Lunera et s'engagea dans un duel qu'elle jugeait furieux. Lunera, de toute évidence, dominait le combat. Les fers fendaient l'air et se heurtaient avec force. Saphir mettait dans ce combat toute son ardeur, en tentant, en vain, d'amorcer des ouvertures dans la garde de Lunera. Celle-ci ne faisait que parer, sans se fatiguer, tant Saphir manquait d'agilité, et de robustesse.

— Tu joues... Tu joues avec le feu très chère..., se moqua Lunera. Que deviendras-tu lorsque je me serais occupée de « mère » ?

Aveuglé par la colère, Saphir rata son coup. Lasse de ses enfantillages, Lunera la balaya, et la princesse tomba douloureusement par terre. Sans attendre, elle mit une main dans sa poche, et sortit une petite bourse. Elle en sortit une substance pourpre : la Poudre de Sommeil Instantanée. Elle en jeta sur Saphir, qui s'endormit sur-le-champ, dans un nuage de poussière violacé, sans même lancer un dernier regard vers ses compagnons. Lunera gloussa, et agita sa main.

Lévitas !

Une vapeur dorée enveloppa en Princesse, avant d'éclater en une superbe lumière rappelant ainsi la splendeur des cieux. Son corps se mit à léviter près de Lunera. C'était fini. Elle avait gagné.

— Eh bien, je m'avoue être surprise, déclara Lunera. C'est donc face à vous, que mon père a eu tant de difficultés ? Je ne pensais pas que la fine fleur de l'Adrastée tomberait aussi facilement que de pauvres moucherons à qui on aurait aspergé des gerbes d'insecticides. Pitoyable, vraiment.

Elle se tut, puis fit quelques pas vers eux, en se caressant la gorge. Malgré la fumée toujours épaisse à certains endroits, les rayons de la lune venaient éclairer le visage de Lunera comme une bénédiction.

— L'héritage de Saphir sera mien, lorsque je vais l'annihiler. Cette fille bête servira au moins à quelque chose. Une fois ceci fait, je reviendrais vous achever avec ma double condition Sorcière.

Assad étouffa une exclamation. Une Sorcière à affronter, c'était déjà difficile, mais deux !

— Je l'assassinerai sauvagement. Son sang et ses viscères me serviront pour mes rituels magiques. De sa peau si douce, ajouta-t-elle en lacérant de son doigt griffu la peau laiteuse de la Princesse, je me ferais un superbe manteau. Je me ferais un plaisir de lui arracher son foie, et de le dévorer cru. Je vous le jure, détestables gens de l'Adrastée, que j'apporterais la désolation, l'enfer et l'apocalypse à votre monde. Je vous en fais le serment.

Cela sonna comme une effroyable prémonition.

Zahya ne put s'empêcher de laisser échapper un « Non ! » sonore, au plus grand amusement de Lunera. La reine se sentit nauséeuse. Sa fille, sa pauvre fille, était en grand danger. Il fallait agir à tout prix. Pour une raison qu'elle ignorait, au moment où Saphir était entrée en contact avec elle, Zahya s'était sentie mieux, comme si ses douleurs avaient été soulagées. La princesse avait-elle fait usage de ses dons de manière inconsciente ?

Quoiqu'il en soit, avec cette énergie nouvelle, et sa détermination à secourir son enfant, Zahya rassembla ses forces et murmura des sortilèges de protection sur elle. La reine les modula de sorte à ce qu'ils soient invisibles. Il ne fallait surtout pas que Lunera s'en aperçoive !

Elle s'apprêtait à faire la même chose sur Fenrir, le plus proche d'elle, lorsque la voix menaçante de Lunera s'éleva encore en une dernière sentence :

Dréedrain !

De gigantesques sphères rouges sortirent des corps de ses adversaires terrassés, avant de s'éparpiller dans les cieux. Tellement elles étaient nombreuses et imposantes, Lunera ne remarqua pas l'absence de sphère au niveau de Zahya. Leurs dernières forces furent arrachées, les laissant dans un état d'extrême faiblesse.

— Passez une agréable nuit. Malheureusement, observer les étoiles ne sera pas vraiment aisé avec cette fumée, railla Lunera.

Faisant volte-face, elle se dirigea vers la sortie de la ville, en marchant d'un pas royal, accompagnée du corps flottant de la belle princesse, toujours endormie.


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