La femme de mes rêves n'existe pas

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La salle est enfin remplie. J'entends les spectateurs rire, discuter, et patienter non calmement pour le concert qu'ils attendent depuis plusieurs mois maintenant. Depuis les coulisses, je leur jette un petit coup d'oeil. Au premier rang se trouve qu'une ribambelle de gens en costards, de tout âge, avec pour point commun l'allure de la fortune. Plus loin dans le fond, les gens ne portent que des T-shirts ou autres vêtements du commun, voulant masquer à tout prix leur allure de misère.

M'enfin, peu importe la classe sociale des spectateurs; la salle est remplie, ce n'est que ça qui importe.

Une main se pose sur mon épaule. Je me retourne, ce n'est qu'un des technciens de plateau. Je ne me rappelle plus son prénom, j'avoue ne même pas savoir si je l'ai déjà vu celui-là, mais en tout cas, il est laid. Ouais, il est même définitivement trop laid pour être oublié, alors c'est sûr que je ne l'ai jamais vu.

Toutefois, sa main sur l'épaule se veut réconfortante, et il l'accompagne d'un sourire soulignant la laideur de chaque parcelle de sa sale gueule, mais il ne veut pas me faire peur, je le sens.

"Tu devrais aller la voir. Elle a l'air très stressée."

La voir ? Mais il parle de qui le laideron ?

Et ce n'est qu'à ce moment-là que mon cerveau décide enfin de me rappeler ce que je fous ici. C'est ma copine qui passe sur scène dans quelques minutes, et je ne suis ici que pour l'accompagner et l'encourager.

Je pose à mon tour une main sur l'épaule de l'hideux technicien du spectacle, lui sourit comme pour dire "Merci, mec moche", puis part.

J'aime pas les gens moches. On a beau tous être le moche de quelqu'un, y'a des gens qui sont objectivement moches, à un point que leur déformation faciale en est scandaleuse. C'est vrai quoi, quand je vois un mec aussi moche que cet intermittent, je suis pas seulement dégoûté, mais avant tout, je suis triste. Triste pour ses parents, qui ont dû élever cette immondice pendant des années, et l'aimer quand même, alors qu'elle était moche. Triste pour l'immondice elle-même, qui a du se manger des railleries pendant toutes ses douces années collégiales, et enfin triste pour les gens qui coucheront avec elle, car soit cela voudra dire qu'ils sont aussi moches, ou qu'ils se tapent tout et n'importe quoi. Enfin bref, ce mec m'a rendu triste, mais je dois passer outre mon excès de compassion faisant de moi l'être le plus bon du monde, car apparemment, je dois encourager ma copine avant son passage sur scène.

Mais voila, à trop penser à l'autre moche, je me suis perdu, et ne sais plus où se trouve le loge de mon aimée.

Un technicien passe, et je l'arrête. "Hey mon gars, tu sais où est la loge de la chanteuse ?" Le mec se retourne, et wahou. Un vrai canon le mec, vraiment. Une gueule d'ange, garnie de cheveux blonds lui glissant près des yeux, et une prestance remettant en question toutes les heures que tu as passées à penser à des corps féminins.

"Au bout du couloir, là-bas" me lance le bel Apollon, en profitant pour pointer du doigt ledit couloir, et ainsi me faire remarquer le galbe de son bras. Bon Dieu, mais qu'il est beau ce mec, c'en est énervant aussi. Autant les mecs moches rendent tristes, autant les mecs beaux rendent... Bah ils rendent tristes aussi, en fait. C'est vrai quoi, quelle insolence faut-il avoir en soi pour s'afficher avec une aussi belle gueule, un corps si parfait ? C'est comme s'il s'amusait à te rappeler sans cesse que t'es pas le top en ce qui se fait en terme d'être humains. On essaie tous de lutter contre la réalité pour avoir confiance en nous, et ces connards de beaux gosses ruinent tout en un demi-sourire.

Enervé, je me casse en direction du couloir, sans même dire merci au belâtre. Après tout, quand on est aussi beau, on a pas besoin de la politesse.

Il est étrange ce couloir. Déjà, il est excessivement long, et puis, il n'y a aucune porte sur les côtés. Je me rappele plus à quoi le bâtiment ressemblait depuis l'extérieur, mais s'il y a une aussi longue trainée de murs non exploiter, je suis pas dans le BTP mais ce n'est pas très pragmatique. M'enfin bon, continuons, j'aperçois quand même la porte au bout.

Après cette étrange traversée, me voila arrivé à la porte. Ma copine se trouve à l'intérieur, mais à ce moment la, je me rappelle que je n'ai aucune idée de qui est ma copine. Quel genre de copain oublie la fille avec qui il sort ?

Mais, avec une incroyable gentillesse, la porte devant moi expose en gros le nom de la femme résidant derrière elle. Je lis la plaquette, et vois donc marqué "Daenerys Targaryen". J'avoue que sur le moment, je me suis senti quelque peu désorienté. Aussi loin que je me souvienne, la dénommée Daenerys Targaryen vit dans un monde bien loin du nôtre, un monde bien loin de notre époque, et surtout, un monde qui n'existe pas. Mais non, ce n'est pas possible. Pourquoi autant de techniciens travailleraient d'arrache pieds sur le concert d'une personne qui n'existe pas, ça n'a pas de sens. L'idée me vient alors, qu'il puisse s'agir d'un nom d'artiste. Le concert est peut-être une mise-en-scène où l'on ferait chanter des chansons au personnage fictif, des chansons de son monde. C'est plutôt stylé comme idée, mais ce qui est encore plus stylé, c'est que c'est ma meuf à moi, qui joue Daenerys Targaryen. Une certaine fierté me vient soudainement, et alors que je me souris d'auto-suffisance, me vient une autre idée; celle que ma copine puisse être l'actrice connue pour avoir jouée la fictive reine; Emilia Clarke.

Mon Dieu, Emilia Clarke, ma copine. Non, ce n'est pas possible, comment aurions pu nous rencontrer ? Et surtout, comment aurai-je pu oublier que je sors avec Emilia Clarke ? Je pense que quand on sort avec une star, le monde fait en sorte de nous le rappeler chaque jour, alors jamais je n'aurai pu oublier .

Ma foi, les conjectures commençant à m'énerver, je décide de passer à l'action. Après tout, c'est ma copine, qui qu'elle soit, et je me dois de l'encourager. J'ouvre la porte donc.

Elle est là, dos à moi, face au miroir. Sa chevelure argentée pend le long de sa chaise, et alors que je referme la porte, elle sursaute, se retourne, me sourit, et s'approche de moi de toute sa grâce en me lançant un "Oh, tu es là". Face à moi, elle m'enlace, et plaque sa tête contre ma poitrine, me serrant très fort contre elle.

"J'ai peur, Lucas. Je ne sais pas si je vais pouvoir le faire."

Elle sent des parfums orientaux, dont je ne distingue qu'un soupçon de canelle. Elle ressemble trait pour trait à la Daenerys de série, jouée par Emilia Clarke, mais avec un costume identique à ceux qu'elle porte dans la série. Aucun doute possible, je sors avec Emilia Clarke.

Elle déserre son étreinte, et jette son regard dans mes yeux. Elle sourit, et une larme coule le long de sa joue. Une chose est sûre, elle a l'air de m'aimer. Moi, je réalise tout juste que je sors avec elle, et voulant jouer les bons amoureux, j'essuie sa larme, et lui sourit. Mais qu'est-ce que je fous avec elle dans cette loge ? Pourquoi je ne me rappelle pas que je sors avec elle Bon Dieu de merde.

Et là, elle m'embrasse. Surpris dans un premier temps, je me laisse faire dans un second, car après tout, c'est pas tous les jours qu'on se fait galocher par Emilia Clarke. Enfin, si, moi ça doit faire quelques temps que ça m'arrive quotidiennement du coup, mais je crois que c'est la première fois que j'en suis vraiment conscient. Son baiser a quelque chose de bestial, de rude, comme si elle n'embrassait pas comme les autres filles. Peut-être est-ce comme ça qu'on embrasse en Angleterre.

Quelques minutes plus tard, elle est retournée à sa chaise. Elle appelle deux noms, et deux femmes à l'allure espagnole accourent, et se mettent à lui brosser les cheveux et à préparer ses bijoux. Très peu vêtues, elles parlent une langue que je ne connais pas, ressemblant à un espèce d'arabe, dans lequel on aurait intégré du japonais. Je leur lance un bonjour timide, elles me sourient en s'inclinant, et je ne sais où me mettre. Depuis son miroir, Emilia me dit:

"Mets-toi vers moi. J'ai besoin que tu sois près de moi."

Je m'approche alors, et pose mes mains sur sa nuque, en la regardant par le miroir. D'une de ses mains, elle touche la mienne, me souriant énormément. "Tu crois que j'en suis capable ?"

"Bien sûr Emilia, que tu en es capable, dis-je dans une tentative de réconfort, tu as accompli des choses bien plus grandes après tout."

Ses yeux marquent un soupçon. "Emilia ?" me dit-elle. Ses deux assistantes me regardent avec incompréhension également, et je me mets à transpirer. Viendrais-je de me tromper dans le prénom de ma copine ?

"Qui est Emilia ?"

Je bafouille. "Bah... C'est toi, non ?" A cette réplique, les assistantes s'arrêtent dans leur tâche, et l'une d'elle pose une question dans son arabe japonais à mon actrice, qui leur répond dans la même langue, avant que les deux jeunes femmes ne partent. Emilia, enfin, celle que j'ai appelé Emilia, se lève, et se met face à moi.

- Pourquoi-m'as-tu appelé Emilia ?

- Je... Je ne sais pas.

- Tu ne me reconnais pas ou quoi ? Je suis Daenerys, c'est moi. Tu ne me reconnais pas, mon amour ?

Je ne... Comment dire... Dire que je ne comprends pas la situation serait un peu faible, disons que mon cerveau se dérégle, et qu'à ce moment, je ne sais plus qui je suis. Je faiblis, transpire, et m'écroule.

Quelques minutes plus tard, j'ouvre enfin les yeux. L'une des espagnolo-arabo-japonaise me mouille le front, et devant moi, Emil... Daenerys me regarde avec souci, me demandant si je vais bien. Je bégaye que j'ai eu une absence, et que je ne me sens pas très bien.

"Le sang de mon sang va te ramener chez toi, mon amour. Je te rejoindrai après le concert, ne t'inquiète pas."

Quelqu'un toque à la porte. "Entrez", dit Daenerys, et je reconnais la voix de l'affreux technicien demandant à ma copine d'entrer en scène. "Trente secondes", demande Daenerys, et elle replonge son regard dans le mien, en me touchant les cuisses.

"Tu vas rentrer te reposer, mon chéri. Ca va aller pour moi, ne t'inquiète pas, mais repose-toi, je ne veux pas te perdre."

Elle pose un baiser sur mon front, et s'en va, avec ses deux assistantes. Moi, je reste dans mon incompréhension.

Une demi-heure plus tard, un homme semblant des mêmes origines floues que les assistantes me transportent sur son cheval. Je retrouve peu à peu de la lucidité, et remarque que les rues que nous chevauchons sont celle de Lyon. "Je suis dans ma ville", me dis-je, un peu rassuré, mais pourquoi me transporte-t-on en cheval ? Une bagnole, ça n'aurait pas été plus simple ?

Je tente de poser la question au cavalier, mais il me répond dans son étrange langue, alors j'abandonne toute tentative de dialogue.

Il me dépose dans la petite rue où se trouve mon appartement, en me posant une question que je ne comprends pas. Je lui dis de laisser tomber, sors mes clés, entre, pour enfin trouver du répit.

En entrant chez moi, j'entends des voix. "Mes colocs, sûrement", me dis-je, mais ce ne sont nulles autres que mes parents que je trouve dans mon appartement. Ma mère occupe la salle de bain, et chante une chanson d'Edith Piaf, tandis que mon père est dans la chambre d'un de mes colocs, jouant à la Xbox. Je ne comprends pas, et demande à mon père ce qu'il fait ici.

- Bah c'est chez nous, mon fils. Tu dérailles ou quoi ?

Je m'assieds à côté de lui, le regardant jouer. Je ne comprends toujours pas, mais n'ai en aucun cas la force d'essayer de comprendre. "J'ai à te parler, fils" me dit mon père, qui habituellement ne parle jamais ainsi. "Cette nana, là, Daenerys... Tu comptes vraiment faire ta vie avec elle ?"

- Je... Je sais pas papa. Je suis un peu paumé en ce moment..

- Si tu veux mon avis, c'est une folle. Ses propos sont absurdes, et ses envies de faire la guerre... Tu veux vraiment la suivre là-dedans ?

- Mais ce n'est qu'une actrice papa. Elle n'est pas vraiment reine.

- Ca, c'est ce qu'elle essaie de te faire croire.

A ces mots, j'entends la porte de la salle de bain s'ouvrir. Ma mère en sort, une serviette autour du corps, une autre enroulant ses cheveux mouillés.

- Ton père te dit encore du mal de Daenerys ?

- Je dis pas du mal, je dis la vérité ! Elle est folle, j'ai l'droit d'prévenir mon fils qu'il sort avec une folle !

Là, la daronne fronce les sourcils, et s'approche de la chambre.

- Ce que tu appelles "folie", c'est tout simplement du féminisme ! Elle ne se laisse pas marcher dessus, et préfère combattre plutôt que subir ! Tu devrais être fier de ton fils au lieu de le décourager.

- Tu verras, le jour où elle fera vraiment sa guerre et que ton fils se retrouvera pris en otage, tu changeras bien de discours sur ton féminisme à deux balles.

- Mon fils, n'écoute pas ton père. Daenerys est une fille très bien, et elle n'est pas folle. Crois-moi, je connais les femmes, et je sais reconnaitre une folle quand j'en vois une !

Ma mère m'embrasse, puis part dans la chambre de mon autre coloc en fermant la porte. Mon père, lui, retourne à ses jeux vidéos en marmonnant des reproches sur... Ce qui s'avère vraiment être ma petite-amie.

Lequel des deux j'peux croire ? Mon père est un grincheux qui râle sur tout, et ma mère une folle, alors comment savoir si Daenerys est bien la femme de ma vie ?

J'en ai marre, je n'en peux plus. Je dis à mon père que je vais me coucher, et le laisse avec son jeu de guerre puèrile.

Ma chambre ressemble à celle de mes souvenirs. Tant mieux. Je m'affale sur mon lit, et me laisse succomber.

Le lendemain, je remarquai que Daenerys n'est jamais venu me rejoindre. Mes parents ont déménagé apparemment, et ont redonné leur place à mes colocs. Moi, je n'ai toujours pas compris, et ai essayé de joindre ma copine, mais dans mon répertoire, à la classification des contacts en "D", je n'ai trouvé que des Dylan et David, mais pas de Daenerys.

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