Bleu comme l'amour

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— Qu’est-ce que tu lui veux alors, à la petite voisine ?

La question de Blue trancha net le plaisant flottement de silence qui planait dans la pièce.

J’avais presque oublié qu’elle m’avait vu, et j’ignorais si elle m’avait simplement aperçu revenir ou si elle m’avait déjà observé plutôt, quand j’étais parti, après m’être fait rouspéter, pour revenir hésiter longuement devant la porte. Je ne voulais pas être trop honnête, de peur de paraître encore plus bizarre que je ne l’étais déjà, dans le cas où elle ignorait le début de ma misérable mésaventure. Peut-être aussi que, en tant que voisine, elle connaissait Clara. Je n’avais jamais entendu parler d’une amie voisine, alors les chances étaient faibles, mais si elles venaient par hasards à en parler, il ne fallait pas que mon mensonge en soit complètement un.

— C’est compliqué. Tu la connais ? demandai-je, pour m’assurer de ce que j’avais le droit de dire.

Blue fit non de la tête. Alors, je poursuivis plus confiant :

— C’est une fille avec qui je sors… et j’hésitais à venir la déranger pour un chargeur oublié chez elle.

— C’est ta copine et t’oses pas aller la voir. Vous vous êtes disputés ? demanda Blue, curieuse.

J’avais beau essayer d’arrondir les angles, je n’aimais pas l’idée qu’elle me croie en couple, encore moins dans un couple qui se dispute.

— Pas vraiment. Elle était fâchée que je rentre tôt, répondis-je simplement, fier de cette version courte sans véritable mensonge.

Mais Blue ne sembla pas satisfaite. Elle avait l’air d’attendre autre chose. Comme ci elle cherchait a se que je lui parle de l’ennui devant la télé, du sentiment de solitude et d’isolement qui flottait dans mes relations, dans ma famille, dans mon quotidien. Tout ce qui me préoccupait et dont je ne parlais à personne.

Ce que cherchait Blue, ce n’était pas faire connaissance, mais connaître mon cœur. Pourquoi ? Je l’ignorais. Et cette impudence me mettait mal à l’aise.

Elle dut comprendre qu’elle allait trop vite. Comme si elle lisait en moi. Alors, elle décida de parler un peu d’elle, pour me mettre en confiance.

— Moi aussi, avec mon copain, on se dispute parfois. Alors ce que je fais, c’est que je rentre chez moi seule, je dors, et, le lendemain, on règle tout, les idées plus claires.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’étais surpris d’apprendre qu’elle avait un copain. Ce n’était pas qu’elle n’était pas attirante, au contraire. C’était juste qu’elle m’avait invité chez elle, comme ça, un inconnu, un soir. Et ça, ça m’interpella. Je me mis à la place de ce garçon. Comment j’aurais réagi si ma copine faisait pareil ? J’étais un peu choqué, un peu jaloux aussi, je dois l’avouer, qu’un autre puisse se disputer, puis surtout se réconcilier avec une fille comme elle.

Je n’arrivais plus à sortir cette information de ma tête. Qui était ce copain ? Quel genre d’homme c’était ? Savait-il qu’elle invitait des mecs à discuter chez elle le soir sur un coup de tête ? N’avait-elle donc aucune arrière-pensée en me faisant entrer ? Ou bien était-ce moi qui en avais trop ?

Blue était insaisissable. Chaque phrase d’elle me plongeait dans la confusion. Elle agissait et parlait de manière à rendre tout compliqué à interpréter, comme si elle s’exprimait en messages codés.

— Enfin, j’imagine. J’ai pas de copain, dit-elle calmement en servant l’eau chaude dans les tasses.

Ma tête bouillonna à nouveau. Je ne savais plus ce qui était vrai et ce qui était faux. Pourquoi elle me donnait une information et la changea l’instant d’après ? Elle lisait dans mes pensées ou quoi ? Avait-elle senti que cette histoire de copain me perturbait, au point de la nier aussitôt ? Était-ce un test pour analyser ma réaction si elle avouait avoir un copain et donc qu’elle n’en avait pas vraiment un ? Je commençais à entrevoir l’essence même d’une conversation avec Blue.

— Pourquoi on t’appelle Blue ? demandai-je, préférant revenir sur un terrain moins glissant.

— C’est un pseudo. Je l’utilise dans mon travail. Et je l’aime bien, c’est tout.

— C’est la couleur de quoi, le bleu ? demandai-je.

— De l’amour, répondit-elle, confiante.

Je voulais bien croire qu’elle était l’amour incarné. Dans ce cas, elle avait bien choisi son nom. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour me replonger dans l’ambiguïté dans laquelle elle semblait si à l’aise, alors que je ne l’étais pas.

— Je vais te montrer mon plus précieux trésor, dit-elle en se levant.

Elle partit fouiller dans sa bibliothèque. Je n’avais aucune idée de ce qu’elle allait ramener, mais j’étais heureux qu’elle veuille le partager avec moi. Ça avait l’air important.

Elle revint vers moi avec précipitation et ouvrit délicatement les mains. À l’intérieur je vis l’une de ses pierres qu’elle me présenta comme l’on montre une pierre précieuse.

— C’est quoi ? Un saphir ? demandai-je en voyant le reflet bleu. Ou bien de l’amour, peut-être ?

— Ni l’un ni l’autre. C’est encore plus précieux que ça. C’est de l’aigue-marine.

— C’est joli, dis-je sans trop y croire. C’est bleu.

— C’est moi, dit-elle, hypnotisée par sa pierre.

Je compris qu’il valait mieux faire semblant de m’y intéresser. Alors, je posai des questions, et elle me raconta les propriétés de l’aigue-marine. Une pierre semi-précieuse, censée calmer les esprits, favoriser la communication… Des trucs comme ça.

Mais, malgré toutes ces informations, je ne comprenais pas vraiment le sens de cette conversation.

Je l’avoue, je la crus folle, et ça la rendait plus belle encore. Car si elle était vraiment folle, alors peut-être que j’avais une chance de lui plaire. Parce que, dans l’état où j’étais, au plus bas, il n’y avait peut-être qu’une fille un peu folle pour s’intéresser à moi.

Alors, je convoitai cette pierre bleue, qui représentait le cœur de Blue.

La pluie avait cessé dehors, et après avoir fini mon thé, je préparai ma retraite. Je préférais en rester là pour cette fois, sur de bonnes bases. Peut-être la reverrai-je. Et alors, peut-être continuerions-nous à faire connaissance de cette façon si excentrique, avec des non-dits et des mensonges.

— Merci pour le thé. Je vais rentrer chez moi maintenant. Seul. Et demain, tout sera plus clair.

Elle sourit, recroquevillée derrière son mug encore fumant.

— Sage décision, fit-elle simplement.

Je me levai, traversai la pièce, lentement, jusqu’à la porte. Elle ne m’accompagna pas. Avait-elle vraiment envie que je parte ? Non, je devais y aller, après tout, qu’attendre de plus de cette soirée ?

Avant de sortir, je me retournai une dernière fois. Elle était là, blottie parmi ses coussins, lointaine et immobile. On aurait dit que rien de tout cela, de mon arrivé à mon départ, ne la concernait vraiment.

Et pourtant, moi, je gardais cette image d’elle à l’esprit, comme on garde un rêve encore tiède au réveil. Déjà, je savais que je ne pourrais plus oublier l’étrange fille de l’appartement d’en face.

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