La bande

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Les jours qui suivirent la soirée de confidence avec Don me semblèrent longs. Je restais dans la lourde attente de ce qu’il allait faire.

Un soir où j’étais avec Clara, je reçus enfin le fameux message :

« Samedi soir chez moi, c’est OK pour toi ? »

Je souris d’une profonde satisfaction, au point que Clara me demanda ce que j’avais bien pu recevoir.

Je lui expliquai que je m’étais fait un ami, et je parlai ainsi avec confiance de Don, ce qui me permettrait plus tard de justifier des sorties où je verrais Blue.

Je m’attendais à des remarques désagréables, peut-être suspicieuses, de la part de Clara, mais au contraire, elle me regarda avec tendresse et me dit :

— Je suis heureuse pour toi, il a l’air sympa ce garçon. Tu me le présenteras ?

J’étais si surpris de sa réaction que je ressentis un pincement de culpabilité en réalisant que mon amitié avec Don avait pour point d’ancrage mon attirance pour Blue. Il était évident que je ne pouvais pas mélanger mon couple à mon nouveau groupe d’amis, alors je prétextai vouloir attendre que cette amitié soit plus solide avant de la lui présenter. Mais je l’assurai que j’avais parlé d’elle à Don. Clara comprit, et elle m’embrassa. Elle avait l’air sincèrement contente pour moi.

— Don m’invite à une soirée, juste lui et moi, samedi soir. Ça ne te dérange pas ?

— D’accord, tu viendras dès que ce sera fini, alors ? demanda-t-elle.

— J’essaierai. Si je bois trop, il m’a proposé de dormir chez lui.

Ce n’était pas vrai, bien sûr, et cette histoire d’endroit où dormir commençait, je le sentais bien, à devenir un problème. Dans mes mensonges, tout le monde pensait que j’avais un appartement où rester. Je refusais donc toute proposition d’hébergement de Clara, gardant le champ libre à une nouvelle invitation de Blue. Ou plutôt Hélène, comme je devais sans doute l’appeler à présent.

« Viens à 20 h si tu veux, Hélène arrivera plus tard, elle travaille ce soir-là », m’écrivit Don dans un second message.

C’était même mieux comme ça : j’aurais le temps de m’installer avant son arrivée pour être plus à l’aise. J’appris ainsi que Blue travaillait, et je glanais une nouvelle petite information anodine, une de plus, recueillie par Don, visiblement bien plus au courant que moi.

Le samedi soir venu, j’étais à vingt heures pile devant la porte 322, les bras chargés de canettes de bière. Don m’ouvrit avec un grand sourire et me fit une accolade.

Hormis cette histoire avec Blue, j’allais passer ma première vraie soirée d’étudiant, avec bière et potes, posés sur le canapé. Une chose simple dont j’avais longtemps rêvé.

Je m’installai dans le sofa, et avec Don, on ouvrit nos bières et on commença à jouer à la console en attendant Blue.

— Hélène finit à quelle heure ? demandai-je, encore mal à l’aise d’utiliser un prénom que je n’étais pas censé connaître.

— Elle arrive là, répondit Don en regardant son téléphone.

— Elle travaille où d’ailleurs ? questionnais-je en essayant de me concentrer sur la partie que j’étais en train de perdre.

— Elle travaille dans un club, je crois. Tu lui demanderas.

On entendit frapper à la porte. Don mit le jeu en pause et se leva, satisfait que la soirée commence pour de bon.

Je restai assis, le cœur serré d’incertitude. J’allais enfin revoir Blue. Une question me transperça brutalement : Don lui avait-il bien précisé que je serais là ? Et comment m’avait-il présenté ?

— Don ! m’écriai-je juste avant qu’il n’ouvre. Tu lui as bien dit que j’étais là ?

— Mais oui, ne t’en fais pas, dit-il avec un clin d’œil.

Sans les voir, j’entendis dans l’entrée Blue saluer Don. Ils riaient, se faisait sûrement une accolade, et je compris à quel point ils étaient devenus proches. Une proximité qui me renvoya en pleine figure les lacunes de ma relation avec Blue.

Blue entra dans le salon et tout l’air de la pièce en fut bouleversé. Elle portait une veste en jean vintage et un large pantalon fluide. J’eus l’impression de la découvrir pour la première fois. Son regard était maquillé avec soin, ses cheveux légèrement ondulés, plus volumineux, et son parfum puissant recouvrait toutes les autres odeurs. Pourtant, je sentis dans mon ventre l’évidence : c’était bien elle, la fille en tenue d’intérieur qui m’avait accueilli chez elle sans même me connaitre.

Je me levai pour la saluer, en espérant secrètement que j’aurais droit à une accolade.

Son visage exprima brièvement la surprise, ce qui me déstabilisa, mais tout de suite elle sourit.

— Salut, je suis contente que tu sois là.

Et nous nous prîmes dans les bras, comme si cette étreinte confirmait que le lien entre nous n’était pas un rêve.

Les retrouvailles avaient eu lieu, et c’était sans doute ce que je redoutais le plus. Fort du regard qu’elle me lança ensuite, je me sentis assez à l’aise pour profiter de la soirée en sa compagnie, sans être intimidé par sa présence. Je la taquinais quand je le pouvais, nous rigolions bien. Don était lui aussi pleinement investi dans nos échanges, si bien que je sentis notre bande fonctionner dans une harmonie presque parfaite.

Ce fut sans doute la plus belle soirée à laquelle j’aie jamais participé.

Don était attentif à nos envies, Blue était belle et radieuse, et moi, pour une fois, j’étais à l’aise, vif, presque drôle. Je trouvais des plaisanteries qui faisaient rire tout le monde. Plus on buvait, plus on parlait fort sans s’en rendre compte. La musique battait son plein et nous nous trouvions tout les trois des gouts musicaux similaires.

Je profitai d’un moment plus calme en fin de soirée pour poser à Blue quelques questions. Savoir qui elle était vraiment. Elle répondit franchement, et Don, lui, resta silencieux, comme un spectateur curieux, ou peut-être savait-il déjà tout.

— Alors, Hélène ? dis-je, avec l’intention de la titiller.

— C’est une question ? répondit-elle, faussement naïve.

— Une réponse, plutôt.

— Si tu me l’avais demandé, je te l’aurais dit. Le mystère a l’air de te plaire, alors je te donne juste les indices qu’il faut, dit-elle avec un sourire léger.

J’étais surpris qu’elle pense que j’aimais le mystère. En réalité, ça me rendait fou, mais je compris qu’elle jouait intentionnellement ce personnage. Avec Don, je ne remarquais pas ce genre de choses chez elle. Alors, peut-être que ce jeu était réservé à moi pour une raison qui m’échappait encore.

— Si tu préfères les questions directes, je peux aussi. Où travailles-tu ?

— C’est un secret.

— Tu triches. Là, je te l’ai demandé clairement.

— Je ne suis pas obligée de répondre à tout. Je suis peut-être un agent secret, qui sait.

Je doutai sérieusement de cette dernière possibilité avant de me raviser.

— Tu ne me l’aurais pas dit si c’était le cas.

— Sauf si je savais que tu ne me croirais pas, alors je ne prenais aucun risque à te le dire, dit-elle en me tirant la langue.

C’était visiblement sans issue. La faire parler sérieusement semblait mission impossible. Peut-être qu’elle avait raison, que ce goût du mystère faisait partie de ce qu’elle aimait cultiver chez moi.

— Moi, on m’a dit que tu travaillais dans un certain club.

Elle sembla soudain embarrassée.

— Qui parle de moi ? demanda-t-elle embarrassée.

— Je suis détective. Je ne révèle pas mes sources.

J’étais fier de ma petite répartie, content de la battre à son propre jeu, mais elle garda un air inquiet, comme si c’était vraiment un sujet sensible. Je fus un peu vexé que ce soit un secret qu’elle ne souhaite pas partager avec moi, comme si je n’étais pas digne de sa confiance. Don, de son côté, sirotait sa bière en silence, l’air d’un arbitre amusé par notre petit duel.

— Comment va la voisine ? lança Blue, avec un ton faussement innocent.

Elle me piégea. Je ne savais pas si elle savait que je n’avais pas parlé de Clara à Don. Et si elle utilisait ça contre moi ? Mais son regard n’était pas hostile, c’était juste une provocation. Mais je reconnus l’impasse, mes mensonges étaient ma faiblesse. Je reconnus la défaite et laissa tomber l’interrogatoire avant que cela ne me retombe dessus.

Je ne répondis qu’un sobre :

— Elle va bien.

Don ne sembla pas relever, sans doute qu’il ignorait de qui on parlait. Et Blue, qui avait compris qu’elle m’avait coincé, but une gorgée satisfaite de mon silence.

Plus tard, toutes les bières étant vides, Don nous proposa des alcools plus forts qu’il mélangeait avec assurance, nous promettant les meilleurs cocktails, selon lui. Meilleurs, je ne sais pas, mais efficaces, ça oui.

On relança la musique et, dans un second souffle, on se mit à danser. Don et moi échangions des accolades, un peu ivres, et Blue riait. Puis je dansai avec elle, plus calmement. Mon corps contre le sien, je sentais son parfum fruité, mes mains posées dans son dos, que je caressais du bout des doigts presque inconsciemment. Nos regards se croisèrent longuement.

Elle ne recula pas, ne frissonna pas, ne sembla pas dérangée. Tout au contraire. Nous restions ainsi longtemps à nous fixer dans les yeux sans que je n’aille jusqu’à l’embrasser.

Malgré l’alcool, j’avais conscience du chagrin que cela causerait à Clara. Et je regrettai que Blue, elle non plus, ne tente rien. Elle était pourtant tout aussi proche de moi que moi d’elle.

Ce moment resta un long flottement, qui marqua une occasion manquée, comme me le confirma Don bien plus tard.

La fatigue nous gagna, et alors que j’imaginais que nous partagerions le lit de Don, ce qui me permettrait de rester près de Blue, les choses ne se passèrent pas ainsi. Don proposa bien que l’on partage son lit, mais Blue préféra rester sur le canapé. La soirée s’acheva soudainement, comme étouffée par l’épuisement. Elle nous souhaita bonne nuit tandis que nous nous enfermions impuissants dans la chambre.

Le lendemain, je me réveillai avec une migraine d’après cuite. Don, lui, dormait encore. Je me levai discrètement, l’espoir au ventre d’y surprendre Blue encore endormit. Je me dirigeais vers le salon en ouvrant la porte sans un bruit et je contournai le canapé.

La couverture encore chaude était là, posée. Mais Blue était partie.

Je restai là, quelques secondes, seul au milieu du salon. J’éprouvai un étrange sentiment, à la fois satisfait d’avoir vécu cette soirée avec elle, mais aussi frustré qu’elle se soit arrêtée si vite. J’attrapai la couverture et la portai à mon visage. Il y avait encore son parfum, je souris tristement, il ne me restait d’elle plus que cela.

Ce dimanche-là, je retrouvai Clara, qui me faisait la tête. Je ne lui avais pas envoyé de message pendant la soirée, et je rentrais en prime de mauvaise humeur et avec une gueule de bois.

Ce ne fut pas une belle journée. Mais au fond de moi, le souvenir de cette soirée avec Don et Blue me réchauffait le cœur.

Don m’envoya déjà un message :

« Repasse quand tu veux. »

Et, en vérité, je n’avais qu’une hâte, y retourner. Revivre une soirée comme celle-là. Une vraie soirée entre amis.

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