Resurection

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Quand Blue et moi avons cessé d’être amis, j’ai senti ma vie redevenir cette longue agonie de solitude que j’avais brièvement fuie.

Savoir que cette fille que j’aimais tant me haïssait me crevait le cœur. J’en devins littéralement malade. Mon entourage ne comprit pas mon état.

Il fallut du temps avant que je n’entende à nouveau parler de Blue. J’avais passé tout l’été enfermé dans ma chambre, à pleurer toutes les larmes de mon corps. Clara ne me supportait plus et je crus que notre relation se terminerait ainsi.

Don, lui, m’avait laissé sombrer pendant les vacances. Mais il dut avoir pitié, car il me proposa une soirée, juste avant la rentrée.

Ce n’était plus le petit comité intime qu’il avait l’habitude de rassembler. Cette fois, il y avait une dizaine de personnes, venues là pour faire la fête.

Ça me rendit triste de voir les soirées chez Donovan changer à ce point. Les gens évoluaient et je restais nostalgique. C’était l’une des nombreuses choses qui avaient été gâchées.

Blue était aussi invitée, et l’idée de la revoir m’angoissait autant qu’elle m’excitait. Je l’aperçus sur le petit balcon et allai la rejoindre alors qu’elle y était seule.

Elle fut surprise de me voir. Un peu froide, alors je commençai par lui présenter les excuses que je lui devais depuis tout ce temps.

— Je suis vraiment désolé pour le mal que je t’ai fait. Ça m’a rendu profondément malheureux.

Elle me répondit d’un ton sec, comme si elle ne voulait pas entendre plus d’excuses :

— Et la voisine, elle va bien ?

— On n’est plus ensemble… ça aurait déjà dû arriver depuis longtemps.

— Pourquoi ? demanda Blue.

— Parce que… j’en ai toujours aimé une autre…

Un silence tomba, mais ces mots n’avaient pas l’air de franchement la touchée.

— Tu te souviens de ce film qu’on a regardé ensemble ?

C’était la première fois que Blue faisait référence à notre passé, à un événement qui nous avait rapprochés intimement.

Je m’en souvenais parfaitement, et lui répondis le cœur au bord des lèvres.

— Bien sûr.

— Tu te rappelles la scène où le héros écrit une lettre à son ami, à n’ouvrir que dans le futur ? Je trouve ça bien pratique. Ça permet de dire les mots qu’on n’arrive pas à dire. De les adresser à une version plus mature de la personne. Une version d’elle qui saura mieux les comprendre.

— C’est vrai… Si on avait mieux réussi à communiquer, peut-être que…

— Je ne te parle pas de nous, dit-elle en me coupant. Je pensais juste à cette scène, en te voyant. C’est tout.

Elle me sourit, comme si ma confusion l’amusait.

— Tu me pardonnes, alors ? demandai-je, inquiet.

Elle marqua un silence, regarda la nuit au-dessus du balcon, puis répondit :

— Je ne pense pas que les choses doivent rester cassées trop longtemps.

J’avais retrouvé, dans ses grands yeux noirs, une étincelle qui brillait comme autrefois. Nous passâmes la soirée à discuter de notre été, du temps que nous avions perdu.

Elle m’annonça être en couple avec le gros garçon blond de la soirée. Je ne sus jamais s’il était l’un de ses clients ou pas. Sinon, comment aurait-il pu savoir pour le Panthera ?

Je n’osai pas demander trop de détails. Et bien que légèrement jaloux, je compris que c’était de bonne guerre, alors je la félicitai. Elle sembla apprécier ma réaction.

Elle parla ouvertement des sentiments qu’elle avait cru éprouver pour moi, en parlant toujours au passé. Ce fut comme un coup dans l’estomac. Pour moi, tout était encore vivant, mais je supportai, conscient que tout cela, c’était ma faute.

Je ne sus jamais si elle voulait me faire souffrir, ou si elle faisait simplement preuve, pour la première fois, d’honnêteté.

Mais je pouvais tout supporter ce soir-là. Je retrouvais mon amie. Si peu que ce fût, je la retrouvais.

Nous passâmes le reste de la soirée à rire ensemble, et, pendant un bref instant, je crus que rien de nos querelles n’était réellement arrivé. Que tout pouvait reprendre comme avant.

Don nous prit tous les deux dans ses bras, hilare, et déclara qu’il était heureux de nous voir redevenir amis. Il proposa qu’on recommence à faire des soirées en petit comité, et suggéra même d’inviter Damian, l’ami de Blue. J’acquiesçai, même si l’idée me plaisait moyennement. Mais le groupe semblait reformé, avec une nouvelle dynamique.

Un peu plus tard, alors que je buvais calmement, isolé sur le sofa, Donovan vint s’asseoir à côté de moi. Il était un peu éméché, et m’avoua à mi-voix qu’il avait été jaloux de moi.

Il m’expliqua qu’il avait lui aussi aimé Blue. Qu’il avait souffert de n’être réduit qu’à ses confidences. Mais que c’était une chose qu’il avait fini par enterrer au fond de lui, le jour où il avait compris qu’elle n’était pas pour lui.

J’ignorais que Don, le garçon cool, posé, lumineux, avait pu être jaloux de moi, moi qui n’avais fait que jongler entre mes mensonges. Nous rîmes ensemble de notre triste sort.

Et cette franchise nouvelle, ce partage honnête entre Don, Blue et moi, me fit du bien. Je me sentis enfin proche d’eux. Libéré de ce rôle d’imposteur, soulagé de ne plus avoir à me débattre dans les mensonges.

La rentrée avait eu lieu, et c’était pour nous la dernière de notre parcours d’étudiants. Je me demandais ce qu’il me resterait de ces années-là. J’espérais sincèrement que certaines amitiés perdureraient, malgré les départs, les distances, la vie.

Depuis que je fréquentais Don, j’avais croisé pas mal d’étudiants, mais il n’y avait qu’avec lui et Blue que je ressentais ce lien ancré si fort.

J’avais repris contact avec Clara. On s’était expliqué comme on avait pu. Et en me voyant aller mieux, elle me proposa de retenter quelque chose entre nous. Je n’avais plus de raison de refuser.

J’avais fini par lui parler de Blue, pas de tout, mais d’assez pour justifier ma dérive. J’avais préféré taire certaines parties de l’histoire. Par pudeur, par honte, ou simplement parce que certaines vérités ne servent qu’à faire mal.

Le premier semestre passa calmement, dans cette nouvelle mouvance que proposaient ces temps étranges. Tout semblait rentrer dans un ordre plus paisible, plus flou aussi.

Quand les vacances de fin d’année arrivèrent, Don proposa l’une de ses fameuses soirées, comme au bon vieux temps. Il voulait marquer le coup, fêter la fin du semestre.

Ce soir-là, cela faisait un an jour pour jour que j’avais dormi chez Blue, et je ne pouvais qu’y repenser.

À la soirée de Don, j’étais confiant. Je saluais toutes les personnes avec un sourire tranquille. J’avais pris l’habitude de fréquenter ce monde-là, et cela changeait profondément ma manière d’être en société.

Il y avait Blue, bien sûr, mais nos liens avaient changé. Nous avions grandi, chacun à notre manière. Je lui parlais comme je me parlerais à moi-même, parce que je savais que son esprit ressemblait au mien.

Je ne cherchais plus à lire entre les lignes ni à forcer des sous-entendus confortables. Je m’en tenais à cette distance, et cela m’allait bien.

Pourtant, ce soir-là, Blue eut une attitude déroutante. Elle devint très tactile, elle me cherchait, elle me proposa plusieurs fois de danser. J’acceptai, un peu confus.

Je m’efforçais de ne pas entrer dans ce jeu, de rester sur le fil. Elle vit bien la distance que je maintenais, et cela semblait l’amuser de m’y faire vaciller.

Malgré toute la tendresse que j’avais pour elle, cette manière de jouer me blessa. Après tout ce que nous avions traversé, elle recommençait ? Voulait-elle seulement flatter son ego ? Retrouver le pouvoir qu’elle avait eu autrefois sur moi ? Je ne voulais plus de ça.

Je lui dis sèchement que je devais rentrer. Elle sembla surprise, puis s’excusa. Je préférai tout de même partir, prendre le dernier train vers la banlieue, retrouver quelque chose de plus stable, de plus calme. Je m’excusai auprès de Don, qui comprit sans poser de questions.

Et pour la première fois depuis longtemps, je trouvai un certain plaisir à aller en soirée, sans en revenir malade. Quelque chose avait changé en moi, quelque chose de sain que j’avais acquis.

Je traversai le hall, pensant qu’il y avait peut-être eu un malentendu, que tout cela pourrait s’éclaircir après une bonne nuit de sommeil, comme elle me l’avait elle-même appris autrefois.

Mais, alors que je m’apprêtais à franchir la porte, j’entendis courir dans l’escalier, et sa voix, haletante, m’appela.

— Attends ! dit-elle.

Je me retournai, agacé.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— Tu te souviens… il y a un an ?

— Le film ? demandai-je, un peu surpris qu’elle y fasse référence.

— Oui… Tu voudrais venir le revoir avec moi ?

Le souvenir de ce moment, point d’acmé de notre jeu de séduction, me fit hésiter. Je savais que ce n’était pas bon pour nous. Pas bon pour moi ni pour l’amitié que j’essayais de reconstruire.

Je voulais de tout cœur refuser, mais elle était belle et désespérée. Je ne savais jamais si elle jouait pour m’appâter, ou si c’était un vrai désir. Et tant que ce doute existait, j’avais la faiblesse de me laisser retomber dans tous ses pièges.

Je remontai dans l’ascenseur avec Blue. Nous étions silencieux, comme deux enfants sur le point de faire une bêtise.

Quand elle ouvrit la porte de l’appartement, j’eus cette sensation familière d’entrer à la mauvaise porte. Et pourtant, j’y entrais avec l’envie, presque fiévreuse, de m’y perdre à nouveau.

Je voulus briser ce silence tendu, lui parler de son passé d’escorte, peut-être pour exorciser mes vieilles blessures, ou dans l’espoir qu’elle se cache et qu’on n’aille pas plus loin.

Mais elle n’en fit rien. Au contraire, elle décida cette fois de s’en servir contre moi.

— Tu veux savoir quoi ? Ce que je fais ? Je peux te montrer, si tu veux.

— Je… pensais que tu voulais voir le film, répondis-je un peu bêtement.

— Bien sûr. Après le film, dit-elle avec un sourire.

Nous nous installâmes sur le canapé, l’un dans les bras de l’autre, dans une proximité paisible. Plus habillés que la dernière fois, mais le cœur tout aussi exposé.

Le film reprit. Le même. Et je n’y vis rien d’autre que le compte à rebours vers ce qui allait suivre. Je ne pensais qu’à l’après. À ce qu’elle préparait, à ce qu’elle espérait. Je ne savais plus si elle jouait encore, ou si elle me faisait une place. Mais je me disais que, pour Blue, j’étais prêt à tout encaisser, même la frustration.

Le film s’acheva.

Et avec lui, une étrange fatigue nous tomba dessus, douce et épaisse. Sans un mot, nous nous sommes allongés, face à face, comme cette fameuse nuit. Tout y ressemblait, sauf moi. Cette fois, je n’étais plus ce garçon hésitant et effrayé. Je la regardai, et je sus quoi faire. Je ne pensais plus à Don, à Damian, ni même à Clara.

Je ne pensais qu’à ce moment qu’on nous avait volé, et que je voulais récupérer, ne serait-ce que pour une nuit.

Alors je me penchai, et je l’embrassai.

J’embrassai Blue pour la première fois. Elle accueillit mon baiser, surprise, mais tout aussi excitée que je l’étais, je le ressentais dans sa respiration. Elle me répondit tendrement d’un sourire plein d’envie, avant de se retourner.

Je ne compris pas, comme souvent avec Blue. Mais j’eus la sensation que c’était fini pour ce soir. Que j’avais franchi une limite, et que cela ne l’intéressait plus. Elle avait remis cette barrière infranchissable de son côté.

J’avais encore échoué à me maintenir sur le fil tendu de tension qu’elle faisait perdurer entre nous. Et je me sentis pris au piège dans ce lit devenu soudainement trop froid, à l’instant où son sourire criait victoire et qu’elle m’avait présenté son dos droit comme un mur.

Je compris qu’il n’y aurait rien à attendre de Blue tant que je ne la fuyais pas. Alors, en silence, je commençai à penser que je devrais partir.

Elle restait couchée, immobile, toujours dos à moi. Rien au monde ne l’aurait fait se retourner. Même dans l’obscurité, je sentais son visage fuyant le plus loin possible du mien.

Et pourtant, sous la couette, elle laissa une main glisser lentement vers moi. Et, sans un mot, ni même un signe de sa part, elle s’insinua sous mes vêtements.

Je restai pétrifié. Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait. Fuyante de tout son corps, elle glissa sa main sous mon pantalon et attrapa mon sexe durci qu’elle commença à caresser d’un geste doux. Je ne bougeai plus, de peur qu’elle s’arrête.

Elle continua de me masturber dans un silence religieux. Et, quand la surprise se dissipa, et que je commençai à y trouver du plaisir, elle s’arrêta brusquement. Elle rapatria sa main vers elle comme si rien n’avait jamais eu lieu.

Puis plus rien, comme si elle voulait me faire croire qu’elle s’était endormie. Elle s’immobilisa, tel un monolithe.

J’aurais bien pu dormir contre un mur, j’y aurais senti plus de chaleur. Même dans ce geste intime, je percevais son envie froide de sentir que je lui appartenais. Elle voulait que je lui appartienne corps et âme, sans jamais se donner en retour.

Le lendemain matin, je me réveillai avant elle. Enfin, je la savais déjà réveillée, mais elle resta encore volontairement immobile. Elle avait eu ce qu’elle voulait, et elle n’avait plus besoin que je sois là, avec elle. Je crus presque l’entendre de toutes ces forces me demander de partir. Je me levai sans un bruit et quittai l’appartement.

En rentrant chez moi, je me sentis si mal. J’avais laissé cette fille me rendre malade, et elle l’avait fait en toute conscience.

Elle m’avait traîné dans cet enfer doux, parfaitement maîtrisé. Je comprenais maintenant, elle jouait avec la frustration et le désir, elle les maniait comme des fils. Elle me maintenait sous tension pour mieux me garder sous contrôle. Et moi, comme un pantin, je la laissais faire, impuissant face à mon désir pour elle.

Je n’avais pas à accepter qu’elle me parle d’un petit ami, après tout ce que nous avions partagé. Je n’avais pas à supporter qu’on joue avec mes sentiments ni à encaisser ce geste vénéneux pour s’imposer dans mon esprit et me forcer à ne plus me passer d’elle.

Je repensai à tout ce qu’elle avait fait, et soudain, tout prit un nouveau sens, celui de la manipulation.

Avait-elle agi pareil tous les autres ? Je pensai à Donovan, il n’avait jamais vraiment été franc sur ses sentiments pour elle, c’est même une fois éméché qu’il m’avait avoué des émotions qu’il subissait. Était-ce là aussi l’une de ces machinations ? Peut-être bien, peut-être qu’il avait simplement été, comme moi, pris dans sa toile.

Blue était une sale personne, et, comme toutes les sales personnes, elle avait dans le fond quelque chose de génial.

Elle était attirante et tissait ses fils autour de ceux qu’elle jugeait intéressants selon des critères qu’elle était la seule à comprendre. Et alors, elle les gardaient bien au chaud, dans la petite poche de son short en jean. Juste à porter pour qu’ils lui appartiennent. C’était son unique envie, d’être aimé par tous ces garçons auquel elle ne rendait jamais rien.

Et, bien que ce fût un comportement assez simple, elle le faisait avec un talent redoutable qui la rendait profondément nuisible. Elle agissait comme une dangereuse et vorace araignée.

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