Rot d'ogre

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Prendre ses rêves pour du solide, du caillou qui résiste aux intempéries, capable d’essuyer toutes les tempêtes, qui reste compact même dans les fortes chaleurs sans éclater. Prendre ses rêves pour de la réalité…

Le petit garçon marche, tête basse, s’arrête un instant, il a l’air fatigué, racle le sol du bout du pied, dessine un rond dans le sable, un autre en dessous, rajoute deux bras et deux jambes. La mer n’est pas loin et bourdonne à ses oreilles. La mer n’est pas toujours aimable. Ce n’est pas SA mer, la sienne est bien loin et ne vient pas jusqu’à lui.

Et si…

Défi : faire – à cet âge on fait avec un zeste de magique dans les yeux – un bonhomme du bout du basket (au fait elle s’ouvre sur le devant, tant pis) sans poser le pied par terre. C’est rigolo, allez, tope,là. Sam (c’est son prénom d’emprunt ou dans son histoire) sourit, se contorsionne dans tous les sens. Gagner le pari, contre la vie, l’infortune. Le garçon gesticule, rattrape l’équilibre, il est au bord du gouffre, sous lui, un trou immense, tout noir, avec les gargouillis d’un ventre d’ogre, des rots… des rots, énormes. Énormes ? Non, il cherche le mot : pour les ogres, il faut quelque chose d’immense. Ça fait un bruit d’enfer, un ventre d’ogre noir, juste en dessous de soi. Il se rappelle l’école, dans son village. L’histoire de Gargantua. C’est ça, ça fait un bruit, un bruit…

Gargantuasque!

Maintenant il est funambule et funambulise au-dessus du trou, le ventre. Le rot gronde, il l’entend monter, précédé d’un vent qui pue à en faire chavirer un Sam sur slack-line, l’odeur de cimetière lui arrache le cœur mais il résiste, se bouche les narines de la main gauche, ce qui le déséquilibre, il va tomber.

La foule retient son souffle. Heureusement, sinon, poussé par ce supplément d’air, il serait tombé dans le bide d’ogre. Il se rétablit grâce au parapluie que la jolie Lou vient de lui jeter depuis sa fenêtre, parce que dans ce monde-ci, comme dans ce monde-là aussi, mais pas dans l’autre, il y a une multitude de tunnels qui communiquent avec Sam, et Lou les connaît par cœur. Lou, la petite fille de son cœur justement, dont il rêve tous les jours. Elle lui sourit.

— Tiens Sam !

Le sourire de Lou vaut dix chutes. Dix fois, hop ! Il pourra remonter sur le ruban posé entre rêve et réalité d’un coup de reins magique. – Merci Lou !

Le rot gonfle en bas, il n’est pas content, il veut engloutir le jeune Sam, il rage, lance un grand bruit contre la fillette. Elle a juste le temps de remonter la fermeture éclair du tunnel. Ouf ! Scène et sauve.

— Comment tu écris scène petit Sam. Une voix venue de l’école. Joanna La Maîtresse (l’ancienne) taquine le jeune garçon, ta scène s’écrit S.A.I.N.E.

Moi, le narrateur, je mets des lettres capitales parce que j’ai appris le mot tout récemment et puis parce que le big rot roule du tambour et s’élance vers moi… Bang ! Ça y est, il a franchi le mur du son ! Sam se tient prêt, ferme le parapluie. Il doit rester collé sur son fil. En haut, la foule des copains – Ils ont changé de place pour éviter l’ouragan ventriloquent d’un monstre qui cocotte toutes les puanteurs du monde – et de la basse-cour – un rot immonde, parce qu’il a bouffé le pourri de la terre, de la mer et de la lune aussi.

Ça y est ! Le voilà ! Le vent vide le ventre de quoi ? Dieu seul saurait, s’il existait. Combien cet ogre est avide et voudrait bien emporter Sam au passage. Ah ah ! Il aurait gagné face au super champion intergalactique mais Sam avait mis une colle spéciale sous ses chaussures… non ! Il aurait des semelles aimantées et la slack-line serait en fer. Le rot explose, et la bedaine de l’ogre aussi, trop de pression là-dedans, pense Sam. La mer pareil.

Et le ciel devient lumineux, un soleil radieux éclaire le vainqueur tandis que le vaincu s’essouffle dans l’infinie nature, pour devenir un tout petit chant de mésange tout au bout de la terre.

Tout le monde applaudit. Quand je dis tout le monde, je veux dire :

ce monde-ci

ou ce monde-là

mais pas celui-là, bien sûr où il vit aujourd’hui.

Sam sourit tristement au ciel, au jour, à sa mère inquiète à ses côtés. Ils dorment à la belle étoile. Le garçon de penser : il fait doux ce soir. Et le rot de l’ogre gronde encore. Ça fait deux jours qu’il n’a rien avalé sinon des trompe-la faim. Le ventre n’est pas content.

Et Sam de rêver :

une salade,

un plat de pâtes,

une orange,

un plat de pâtes,

une salade

et une orange,

une orange…

C’est qu’il a faim et à cet âge il faut manger pour grandir mais Sam se demande s’il va grandir, s’il a envie de grandir.

Dans son pays…

mais son pays c’est la Terre.

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