Ici pas d’adultes, ils ont disparu.
La rumeur lointaine se rapproche. Maintenant Lou et Sam peuvent distinguer des formes plus nettes. La clameur se colore d’une gamme de teintes joyeuses. Rassurant. Moi qui observe du haut de mon piédestal, plus haut que le tunnel de Lou…
-- Le tunnel !
Lou saute du camion et court jusqu’à son ouverture, et d’un bond s’empare de la fermeture éclair. Zip ! Le passage disparaît dans le bleu du ciel, ni vu ni connu. C’est mieux ainsi.
Je disais, moi qui observe du haut de mon piédestal, à l’abri donc de toute empoignade éventuelle, je m’inquiétais jusqu’au moment où j’aperçus nettement de quoi était faite la nuée. Je m’inquiétais mais pas trop, je suis le décideur, celui qui tient les rennes de l’histoire et je compte bien ne pas me laisser déborder par une foule d’enfants des écoles environnantes et plus loin encore.
Ils courent, rient, sautent, remplissent l’espace sableux de leur joie indéfectible. Lou et Sam retrouvent le sourire et se mettent à danser, gesticuler en réponse au charivari d’en face. Les voilà qui s’élancent vers leurs homologues . La rencontre est mouvementée. On s’enivre de chants, de gesticulations, bref de tout ce qu’une bande d’enfants est capable d’inventer dans ces moments-là. Roulements d’yeux, bras tordus, pirouettes et grimaces, et j’en passe et j’en passe, Ils sont heureux de se retrouver tous avec le petit Sam.
Mais où est-il justement ? Une voix :
-- là-bas agenouillé près de la mer. Il doit faire un château de sable. Un château, un château, un château ! Lou reste silencieuse , le visage fermé. Elle devine ce qui se cache derrière le château de sable. Des pieds que la mer caresse, un corps allongé qui dort d’un sommeil si profond et si long. Trop long sûrement. Trop trop long reprend Sam. Sa main serre délicatement celle de sa mère. Elle ne se réveille toujours pas. Ses longs cheveux couleur de nuit s’étirent en mèches ondulantes que la mer, l’autre mère, effile du bout de ses lèvres. On ne voit pas les yeux ni la bouche, ni le nez d’ailleurs. Le sable et la chevelure protège le visage. Sam sait. Lou sait. Tous. Au fin fond de la vie il y a un voyage que l’on parcourt seul. Après la grande traversée sur frêle esquif, Maman de Sam l’a entamé. Maintenant elle doit être arrivée.
— Nous étions si fatigués murmure l’enfant, pleins d’espoir et d’inquiétude.
Maman a donné l’espoir qui lui restait à son fils.
— Tiens prends, tu en auras besoin.
Et elle s’est endormie parce que l’inquiétude noircit la vie. C’est tout.
Toute la ribambelle d’enfants se tait. Le silence de ceux qui savent avec les bras, la tête, les jambes, le foie, le ventre, le cœur bien sûr et la tête aussi. Il y a beaucoup de jeunes corps qui savent et entourent Sam. On l’enlace de son silence chaleureux et le petit garçon peut entendre le battement désordonné des cœurs rassemblés. Lou lève les yeux vers Maxim. Il comprend, joint ses mains et lui fait la courte échelle. Des dizaines, centaines de visage suivent l’escalade de Lou jusqu’à la fermeture éclair. Au fond du tunnel, le jardin et le potager avec ses légumes pleins de joie. Qu’est-ce qu’on fait du camion et des spaghetti, de la salade et des oranges ? On emporte tout par le passage et on se régalera ! Et hop je ne sais par quel miracle une longue ribambelle de bambins s’organise pour grimper jusqu’à l’ouverture du tunnel et rejoindre la terre d’en haut. Appelons-la, le nouveau monde, peut-être le monde d’après serait plus approprié. Oui. Le monde d’après. Ici pas d’adultes, ils ont disparu.
— Dans ce monde ci ou dans ce monde là me souffle l’oiseau, dans le monde d’après mais plus sur la terre mère.
Un oiseau ? Un oiseau ! Il y a encore un oiseau, le dernier sûrement. De ma hauteur d’auteur je le vois qui volette vers une ombre d’homme ou de femme, non c’est un homme. Il se pose délicatement sur son épaule et me sourit. Un oiseau qui sourit est un oiseau qui sifflote une ritournelle aviaire, gentiment. Mais je reconnais cet ombre d’homme. Je la connais. Voyons, non pas Théodule, ni Bertrand ni Gontran… Jacques ! Jacques, que fais-tu sur cette plage. Je te croyais… au… puis-je dire mort ? Non cela ne se peut pas. Comment dire alors ? Je te croyais… au paradis ! L’ombre sourit. C’est a dire qu’on voit le soleil à travers sa bouche. Un rayon qui s’ouvre comme un croissant de lune à l’envers.
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