Numéro 5

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« -Je pourrais voir le numéro 5 s’il vous plaît ?

-Le numéro 5 est très bien, mais je voudrais attirer votre attention sur le 7. Plus jeune et sain.

-Oui il semble parfait… Mais... Le numéro 5, ce serait possible quand même ? Insista Clothilde d'un ton timide en regardant le sol, désolée de contredire son interlocuteur.

-Bien sûr, pardonnez-moi. Je vous en prie installez-vous dans la salle au bout du couloir, une théière est à votre disposition. Je vous envoie le numéro 5.

-Merci. »

Elle se dirigea vers la porte indiquée après s’être inclinée en une révérence de gratitude quelque peu maladroite. Elle saisit la poignée de la porte, la tira vers elle avant d’apercevoir l’instruction de pousser. Elle s’empressa de s’exécuter et s’engouffra dans la salle pour éviter d’attirer plus l’attention sur elle.

Les couleurs chaudes des tentures et du mobilier la détendirent légèrement. Des étoffes aux tons ambrés drapaient le mur face à la porte. Un tapis richement brodé rouge orangé habillait le sol et deux sièges fleuris se faisaient face. Au milieu, une petite table d’appoint. Il faisait bon, et il baignait dans la pièce une douce odeur de cannelle.

Elle démarra la bouilloire et entreprit de choisir un parfum pour s’occuper l’esprit en attendant l’entretien.

Deux légers coups retentirent et une tenture s’écarta pour laisser place au numéro 5, habillé cette fois.

« Bonjour, dit l’homme en souriant.

-Bonjour… Vous voulez du thé ?

-Avec plaisir, merci beaucoup. Il y a du Rooibos ?

-Rooibos gingembre, dit Clothilde en s’efforçant de tenir le regard du quadragénaire.

-Parfait. Asseyons-nous, vous voulez bien ? N’hésitez pas à me poser toutes les questions que vous voulez. L’agence a mon dossier médical si vous voulez vérifier quoi que ce soit. Vous pouvez même en demander une copie.

-D’accord… dit Clothilde la voix chevrotante.

La jeune femme passa son index dans les anses des deux tasses et les apporta sur la table, non sans se renverser un peu de liquide brulant sur la main alors qu’elle se penchait pour les déposer. Elle s’essuya d’un revers sur son kimono.

Le numéro 5 la remercia et saisit sa tasse avec ses deux mains en un geste réconfortant.

« Je m’appelle Clothilde ! dit-elle, soudainement horrifiée à l’idée de paraître impolie.

-Enchanté Clothilde. Je ne suis pas autorisé à vous donner mon prénom, navré. Mais je répondrai honnêtement à toutes vos autres questions. »

Clothilde hocha la tête.

« Je peux commencer par vous dire que j’ai grandi à la campagne, reprit-il. En Ariège, dans les montagnes. Jamais vécu en ville, jamais bu. J’ai fumé quelques fois en soirée dans ma jeunesse mais je n’étais pas un fumeur régulier. Niveau travail, je suis peintre. Ça rapporte peu mais c’est pas stressant au moins. J’ai eu une femme, elle…

-Pourquoi vous avez décidé de faire ça ? demanda Clothilde abruptement.

L’homme sourit.

-Pour les mêmes raisons que tout le monde, vraiment. Pas vraiment d’intérêt à continuer, et l’argent pour mes proches. Ma fille va faire de grandes études grâce à moi et… bien, peut-être vous… Pardon, je veux pas vous mettre la pression.

-Mais pourquoi pas donner un bras, ou une jambe plutôt ?

-Ça rapporte moins, et ça arrange tout le monde comme ça. Ne vous inquiétez pas, il y a un suivi psychologique avant d’entrer dans le programme, vous savez. Il y a trois ans, j’ai eu un accident qui a eu des répercussions neurologiques et j’ai perdu une grande partie de mon acuité visuelle. Rassurez-vous, pas d’autre impact sur ma santé, de toutes façons le cerveau est hors limites, mais pour un peintre, c’est la vie qui s’écroule.

-Je comprends, dit Clothilde pensive.

-C’est pas recommandé ce que vous faîtes, vous devriez vous en tenir aux questions sur ma santé.

-C’est la première fois que je fais ça. D’habitude je prends des membres à l’épicerie.

-C’est mieux ici, vous êtes sûre de la qualité, et 90% du prix revient à mes proches. C’est beaucoup plus que le ratio pour un membre… Enfin vous devez le savoir, j’imagine, dit le numéro 5 en désignant nonchalamment du menton l’épaule droite de Clothilde.

Après tout, il était consentant, se dit Clothilde. Bien sûr, c’était censé être le cas de tous, plus personne n’envisageait de manger la viande d’un être non consentant depuis des dizaines d’années, mais des abus, bien que sévèrement punis, étaient présents dans cette industrie comme dans toutes les autres. La demande dépassait largement l’offre. En y pensant, elle sentit des fourmillements dans son épaule droite.

L’avantage de cette agence de luxe c’était de pouvoir être certain du consentement des personnes. En contrepartie, pas de membre à l’unité, uniquement le corps en entier pour éviter les dérives et la surconsommation et pour avoir conscience de ses actions. Le luxe avait un prix, mais maintenant qu’elle en avait les moyens, Clothilde ne voulait plus risquer de participer à une action immorale : un démembrement non consenti – voire un meurtre.

Elle sortit de l’agence le cœur gorgé de la satisfaction d’avoir fait une bonne action.

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