Chapitre 4 - Clairs cauchemars
Jilam dansait à ne plus savoir ce qu’il faisait, où il mettait les pieds, et s’en fichait du ridicule, son corps chauffé par la délicieuse liqueur des fées, fabriquée à base de miel et d’un autre ingrédient que les fées tenaient secret. Niu l’accompagnait dans sa fièvre de la nouvelle lune, sa danse endiablée donnant l’impression qu’elle était drapée de brume.
Soudain, Jilam manqua se vautrer alors que la cohorte de danseurs se désintégrait en un méli-mélo de couleurs. Des griffes se plantèrent dans sa main et l’attirèrent à l’écart de la musique et des chants. Sous l’éclat des flambeaux surmontés de leur pierre de lune, le jeune homme reprit son souffle. Niu lui souriait, envoûtée elle aussi par la féérique liqueur de miel.
─ Que dirais-tu d’aller s’aérer l’esprit ? proposa-t-elle.
Tous les deux traversèrent le cercle des flambeaux qui illuminait le Cœur-du-Bois durant le repos de la lune et s’enfoncèrent dans le sous-bois sombre. Leur promenade se transforma vite en partie de chasseur-renard.
─ C’est pas du jeu ! cria Jilam après que son front ait brutalement heurté un tronc. J’ai pas d’yeux d’elfe moi.
L’obscurité avala ses paroles. Le silence subit alerta le jeune homme qui balaya les environs sans rien voir d’autre que le néant insondable. Il appela Niu. Aucune réponse. La sensation que la nuit, vivante, le cernait de toute part. Son cerveau descendit aussitôt dans ses chaussettes. Une gueule, plus noire que la nuit, s’ouvrit puis se renferma sur lui, avalant jusqu’à ses pensées.
Jilam se réveilla en sursaut et trempé de sueur bien que tout son corps frissonnât. Son regard paniqué analysa son environnement. Il se trouvait toujours dans la cabane.
La veille, après des heures de marche dans l’obscurité, il était tombé sur l’édifice à moitié croulant, une bonne partie des pierres du mur déchaussées et le toit mangé par la mousse. Épuisé, et surtout terrifié à l’idée de passer la nuit dehors avec le monstre en maraude, il avait bravé le risque de se voir ensevelir.
Jilam se débarrassa de son manteau qui lui avait servi de couverture. À travers les volets tombants, la déesse de l’aube éclairait le vieux four à pain qui ne mangeait plus que la poussière. Des bûches pourries, alignées contre le mur, formaient une cité de cloportes. Un escalier branlant menait à l’étage qui servait autrefois à entreposer les ballots de foin. Jilam aurait encore préféré le foin moisi garni de puces plutôt que le sol dur. Cela lui aurait au moins rappelé ses nombreuses siestes et nuits dans la cabane à foin de son ancien chez soi, l’un des rares souvenirs chaleureux de sa vie précédente. Mais la tronche vicieuse de l’escalier et les trous dans le plafond l’avaient refroidi.
Le long soupir que poussa le jeune homme créa un tourbillon de poussière dans l’air. Le dos en compote, il se mit à fouiller la cabane, chose qu’il n’avait pas eu l’occasion de faire auparavant, s’étant écroulé de suite à son arrivée. Rien d’intéressant, et surtout de comestible, parmi l’amas d’outils rouillés et de déchets abandonnés par les derniers occupants. Se trouvait derrière la cabane un puits délabré. La pompe était hélas cassée.
Faim et soif abreuvant la colère, Jilam s’en alla se nicher dans un coin de la cabane pour réfléchir.
Je me souviens. La gueule noire... Serait-ce celle du monstre de l’autre soir ? Où est Niu ? Elle doit être ici aussi. Dans ce cas, je dois la trouver.
Une vague de frissons lui dressa subitement les cheveux sur le crâne. Il se précipita à la fenêtre de derrière donnant sur le puits. Des limaces-taupes, par dizaines, longeaient la cabane. La lumière de l’aube traversait leurs corps translucides qui semblaient pressés. Alors Jilam entendit à nouveau le bruit désagréable, identique à un puissant acouphène. Sachant ce que cela annonçait, il se planqua, la respiration coupée et l’esprit figé. L’acouphène s’intensifia. Il y avait désormais deux notes qui se chevauchaient.
Le jeune homme osa un coup d’œil par la fenêtre. Il se ramassa tout de suite. Le monstre rôdait dehors, et il n’était pas seul. Un autre comme lui l’accompagnait.
À plat ventre, Jilam souhaitait plus que tout se changer en poussière. Via l’entrée béante de la cabane, il vit les tentacules noires flotter au-dessus du sous-bois. Son estomac fit un bon douloureux dans son ventre.
L’autre créature suivait son congénère. Tous les deux tournaient autour de la cabane comme s’ils savaient que quelqu’un s’y cachait. Jilam luttait pour retenir ses sanglots, n’ayant que faire de mourir étouffer. Le moindre bruit et les tentacules l’attraperaient. Au fond de lui, il se mit à prier, lui qui jamais n’avait cru en rien.
Je t’en prie, sauve-moi. Nellis...
*
Nellis et Niu descendaient un étroit chemin en dénivelé, fait de racines et bordé de hauts pins. La tête de Mú, juché sur l’épaule de la sorcière, brinquebalait à chacun de ses mouvements. La géographie s’avérait tortueuse, même pour une elfe. Le Chasseur marchait à au moins deux cents pas devant elles. Malgré sa corpulence, aucun obstacle ne semblait pouvoir l’arrêter.
Elles le perdirent de vue quelques instants pour le retrouver planté sur un rocher à tâcher de percer le manteau du bois qui cachait la vallée en contrebas.
─ C’est encore loin ? questionna la sorcière qui commençait à s’essouffler.
Un grognement répondit à sa question.
─ Tu m’en veux encore ? s’enquit-elle.
Le géant entretint le silence avant de parler d’un ton bougon.
─ Les anguilles brumeuses ne se matérialisent que jusqu’au septième lever suivant la nouvelle lune. Et même sous cette forme elles sont très dures à dénicher. Déjà un jour de perdu.
Les anguilles brumeuses étaient des créatures rares, au corps d’ordinaire éthéré, sauf durant les sept jours après la nouvelle lune. Leurs écailles étant dotées d’incroyables propriétés.
─ Désolée, dit Nellis sans pour autant ressentir de culpabilité.
Nouveau grognement qui lui arracha un sourire. Sous cette carcasse d’ours mauvais, elle le savait, battait un cœur d’ourson.
Deux jours s’étaient écoulés depuis la disparition de Jilam. Il avait fallu une journée entière à Mú pour trouver le Chasseur, plus une journée sur la route vers ce fameux lac avec cette fameuse île : le sanctuaire de l’esprit de la nouvelle lune.
Nellis s’était dite que si quelqu’un devait connaître un endroit que nul ne trouve ce ne pouvait être que le Chasseur. Et elle avait eu raison. Le géant bougon leur avait alors conté sa visite de l’île.
─ Comment as-tu fait pour la trouver ? l’avait interrogé la sorcière.
─ J’ai simplement demandé à l’esprit de la nouvelle lune la permission de m’y rendre, grogna le sanglier dans sa barbe. C’est pas difficile de le trouver. Il apparaît toujours au même moment. Mais c’est pas le fait de s’y rendre qui m’a posé problème. C’est plutôt en sortir qui a été compliqué. Y a là-bas des... gardiens, qui veillent sur le sanctuaire.
─ Que sont-ils exactement ?
─ Les cauchemars.
─ Pardon ?
─ Les cauchemars des dormeurs faits vie. Ils prennent la forme de créatures d’ombre. L’esprit de la nouvelle lune est un peu comme leur parent. À la manière de l’oiseau, il chasse pour nourrir ses enfants.
─ Comment leur as-tu échappé ?
─ Ils sont aveugles et se repèrent au son. Il suffit de pas faire de bruit.
Niu, l’elfe amie de Jilam, avait tenu à les accompagner malgré le péril. Pour l’occasion, elle avait troqué sa robe déchirée pour une panoplie des bois. La sorcière aurait préféré qu’elle s’abstienne, mais devait reconnaître que c’était un peu grâce à elle que la quête pour retrouver Jilam avançait à grands pas.
Après de longues heures à l’observer du coin de l’œil, tandis qu’elles marchaient, sa curiosité jalouse finit par l’emporter.
─ Dis-moi, Niu... Tu es qui pour Jilam ?
Niu se retourna et lui sourit.
─ Son amie je dirais. Nous nous entendons bien.
─ Et comment tu le connais ?
─ J’ai été sa maîtresse le temps d’une nuit.
La sorcière manqua avaler sa langue.
─ Retiens tes griffes, annonça l’elfe en voyant poindre sa colère. La seule chose que nous avons partagé c’est un thé... et quelques secrets. Au fait, comment c’était votre première nuit ? Jilam n’a jamais voulu me raconter.
Telle une huître, Nellis se referma, le sang à ses joues non plus nourri par la colère mais par le malaise. Niu partit d’un rire chantant.
─ Tu joues les tyrans et les gens du bois te craignent, et pourtant, il suffit de voir ce visage de cerise pour constater que tu as un cœur.
Aucun mot ne venait à l’esprit de la sorcière, trop encombré avec ses doutes. Par-dessus tout, elle détestait se montrer aux yeux des autres.
─ Tu aimes Jilam, déclara Niu, sûre d’elle. Je tiens aussi beaucoup à lui. C’est un garçon charmant pour un humain. Curieux de tout, sensible et modeste. Et puis ce doit être une âme exceptionnelle pour avoir conquis le cœur d’une sorcière. Je crois que tu le sais, pas vrai ?
Nellis sonda cette elfe au visage de fée qui n’avait plus rien à voir avec la pauvre créature à la robe déchirée qui était venue supplier son aide. Elle se demandait bien pourquoi l’esprit de la nouvelle lune l’avait épargnée.
Le soir venu, tandis que les crépitements du feu se mêlaient aux grognements du Chasseur et aux bruits de Mú dévorant une faufraie, la sorcière, après avoir repassé ses pensées, interpela Niu.
─ Qui es-tu au juste ?
Ces mots lui faisaient presque mal, car il était rare que la misanthrope qu’elle était s’intéresse ainsi à autrui.
─ Que veux-tu savoir ? demanda l’elfe en jouant avec les braises de la pointe d’un morceau de bois mort.
C’est ainsi que débuta une longue conversation où chacune déversa le flot de son récit. Nellis découvrit, non pas la voleuse de cœurs qu’elle imaginait, mais une âme solitaire, que les autres elfes se plaisaient à juger comme ils savaient si bien le faire pour elle. Le poids des regards dans le dos, les chuchotements durant les nuits silencieuses. Elle connaissait tout cela. Toutes les deux étaient faites du même bois, des choses étranges aux yeux du monde qui préférait les ignorer. L’ignorance. Un poids parfois plus lourd que le mépris.
La déesse de l’aube accueillit leur amitié naissante avec un grand sourire d’or accompagné de larmes de rosée. Puis le dieu du zénith leur offrit sa bonté en écartant la forêt qui se transforma en lac, si vaste que l’esprit le confondrait avec une mer. Nellis avait vu la mer, au contraire de Niu qui semblait suffoquer devant le spectacle des vagues bleues miroitant sous la cape de midi. On ne voyait aucune rive dépasser de l’horizon, rien qu’une étendue d’eau sans fin.
─ Je n’ose pas imaginer la vie là-dessous, commenta Niu en baignant ses doigts. Des géants aquatiques à n’en pas douter.
─ Je te le fais pas dire, grommela le Chasseur. Des bêtes qui goberaient sans mal un chêne centenaire, plus longues qu’une racine de montagnes et dotées de nageoires capables de propulser une armada.
─ Jolie description, et glaçante.
─ Ça ne nous dit pas si l’île se trouve bien quelque part sur cette fausse mer ? les interrompit Nellis, chez qui la pensée de s’approcher du but ranimait l’inquiétude.
─ Je me perds jamais, la rassura le Chasseur en pointant son crâne noir bosselé.
─ Je sais, soupira la sorcière. Le petit lutin du Pôle qui réside dans ton esprit t’indique toujours la bonne direction.
Depuis le temps, elle ignorait encore si la quantité astronomique d’affabulations qu’il proférait était due à la folie ou à la mythomanie.
─ Bien, je n’ai plus qu’à voler jusqu’à l’île et trouver Jilam, coupa-t-elle cours à ces tergiversations.
─ Minute papillon ! l’interpela Niu. On est pas tous des changeformes ici. Et je suis pas très bonne nageuse, je préviens.
Le Chasseur fouilla dans son épaisse cape où il rangeait quantité de choses, de toutes sortes, le fruit de ses chasses. Il but d’abord une solide rasade dans sa gourde, puis sortit un petit bocal. À l’intérieur, quelque chose scintillait.
─ Des écailles d’anguilles brumeuses, révéla le géant. Elles datent de l’an dernier. Elles devraient être encore bonnes.
─ Devraient ? s’inquiéta Niu. À quoi servent-elles ?
─ Avales-en une et ton corps deviendra aussi éthéré que celui d’une anguille brumeuse. La matière te traversera comme si tu n’existais pas. T’en fais pas. Tu sentiras rien. Mais si tu préfères, tu peux rester ici à nous attendre.
L’elfe répondit par une mine offusquée avant de tendre sa paume ouverte dans laquelle les gros doigts velus déposèrent l’infime écaille translucide. Elle loucha dessus un moment puis l’avala. Son corps commença à transparaître en prenant au passage un léger éclat vert. Un instant, il sembla que la malheureuse allait se désintégrer mais la mutation s’interrompit avant.
─ C’est pas si horrible, constata Niu en tentant de toucher son ventre avec sa main qui passa à travers. Comment font les anguilles brumeuses pour manger ?
─ Elles se nourrissent d’énergie spirituelle, expliqua le Chasseur après avoir gobé son écaille.
La vision de son énorme carcasse prendre l’aspect du verre aurait pu amuser la sorcière si son cœur n’était pas si serré.
─ Je pars en éclaireur. Dépêchez-vous de me rejoindre.
Et elle se changea en chouette, s’envola et attrapa Mú dans ses serres avant de disparaître à l’horizon, tandis que les deux corps éthérés s’enfonçaient en marchant dans le lac sans que ses eaux ne les retiennent.
*
Cela faisait des heures, peut-être des jours, que Jilam se tenait allongé là, sur le sol de la cabane, à respirer la poussière et exhaler la peur qui le tétanisait. Il n’osait bouger, et encore moins se lever, certain que cela attirerait les monstres au-dehors. La déesse du crépuscule s’était couchée et la déesse de l’aube s’était dressée. Il n’avait pourtant pas dormi.
Pitié, quelqu’un... Mais s’il ne criait pas, qui pourrait l’entendre ?
Une ombre voila le sol. Des tentacules noirs s’engouffraient par l’entrée de la cabane. Jilam hurla en se dressant d’un bon. Il attrapa une faucille avec laquelle il faucha le serpent noir qui lévitait vers lui. La lame rouillée se brisa. Le jeune homme se baissa pour éviter le tentacule, puis rampa jusqu’à la fenêtre de derrière. Il atterrit dans un buisson épineux qui lui déchira ses vêtements et le mordit douloureusement. Il voulut courir mais ses jambes, nouées depuis des lustres, s’emmêlèrent et il tomba.
C’est là que le second monstre surgit. Jilam n’eut pas le temps de réagir. Les tentacules s’enroulaient déjà autour de ses bras et broyaient ses hanches. Le contact était si froid, pareil à celui de la glace sur la peau nue. Le jeune homme avait la sensation de son corps en train de brûler. Il hurla de plus belle en découvrant la gueule de noirceur qui s’ouvrait sous l’énorme carapace de la créature.
Un fer rouge lui mordit la cheville, qu’il découvrit prisonnière d’un autre tentacule. La première ammonite flottante voulait sa part du buffet. Jilam se dit qu’il allait finir déchiré en deux quand, soudain, une chose atterrit sur l’un des monstres. Il ne vit qu’une boule de fourrure avant qu’elle ne se glisse sous la carapace. Les tentacules retenant ses bras et son ventre lâchèrent prise. Le jeune homme dégringola et se retrouva pendu par un pied. Au-dessus – ou plutôt en-dessous – il aperçut une marée arc-en-ciel s’agglutiner. Les limaces-taupes gigotaient comme jamais, poussant un concert de petits cris. On aurait dit une manifestation d’ouvriers. Le vacarme sifflait aux oreilles de Jilam dont les tympans finirent par éclater. La douleur manqua le faire défaillir. Le tentacule lâcha prise et son crâne heurta l’herbe.
Jilam rampa jusqu’au puits malgré son corps en miette et le tambour dans sa tête. L’un des monstres tournoyait en lévitant tandis que l’autre s’acharnait à taper sur les limaces-taupes qui rentraient sans arrêt dans le sol.
Nellis atterrit auprès de son mari et, ayant repris forme elfique, l’enlaça.
─ Reste ici, ne bouge pas, lui ordonna-t-elle.
Jilam n’entendit qu’un brouhaha informe. La sorcière s’en alla prêter main-forte à Mú, toujours coulé sous la carapace noire, et aux étranges créatures semblables à de grosses limaces multicolores et transparentes sortant de terre.
Sa confiance ne tarda pas à se briser lorsqu’elle constata la puissance émanant des ammonites géantes. En tentant de lire leurs pensées, la sorcière manqua de peu d’être emportée par un raz-de-marée.
Nellis se retrouvait dans une situation fâcheuse. Les deux monstres lévitaient désormais vers elle et Jilam. Une nuée sombre les enveloppait. La sorcière sentit son cœur défaillir. Désespérée, elle fouilla dans son esprit une réponse avant d’être engloutie. Une idée germa au milieu du vacarme sifflant.
De ses pensées, souvenirs et songes, elle fit une pelote qu’elle enferma à l’intérieur d’une solide carapace. Les tentacules la saisirent, la recouvrant entièrement. L’un des monstres avala la tête, l’autre les pieds. La sorcière disparut dans la nuée. Jilam hurla, mais, trop faible, ne put que regarder... les deux formes noires n’en formant plus qu’une. Puis la chose commença à se disloquer, comme aspirée par un vortex invisible, jusqu’à disparaître. Ne restaient, étendus dans l’herbe roussie, que Nellis et Mú.
Jilam se traîna auprès de son épouse inconsciente. Des larmes mouillèrent ses yeux lorsqu’il constata une respiration. Le furet-léopard se réveilla, puis la sorcière ouvrit les yeux.
─ Salut toi, murmura-t-elle.
─ Salut toi, répondit-t-il.
Le Chasseur et Niu arrivèrent à la cabane peu après. Ils y trouvèrent le couple en pleine sieste avec Mú niché entre eux deux. Les retrouvailles entre Niu et Jilam furent marquées par une intense étreinte et des éclats de joie. Le jeune homme salua plus modestement le géant bougon, au sourire dissimulé sous sa barbe. Il les remercia tous, les larmes aux yeux, avant de demander :
─ Vous n’auriez pas un truc à manger ou à boire par hasard ?
Le Chasseur lui tendit un bulbe et sa gourde. Ce fut le meilleur repas que Jilam n’ait jamais eu.
La petite troupe passa la nuit sur l’île, entourée des limaces-taupes que Jilam avait baptisées.
─ Que sont-elles au juste ? interrogea-t-il le Chasseur.
─ Les restes des victimes enlevées par l’esprit de la nouvelle lune.
Il fallut qu’il explique au jeune homme, qui se figea dans une posture d’horreur en comprenant que ces misérables choses avaient été autrefois des animaux, des elfes, des démons, voir des humains.
─ Que va-t-il leur arriver maintenant ? s’enquit-il, le ventre noué, et pas à cause du tord-boyau.
─ On ne peut rien pour eux, affirma le Chasseur. Ils n’appartiennent déjà plus à notre monde.
Les yeux noirs sous la capuche se tournèrent alors vers Nellis, enveloppée avec son époux dans le manteau de ce dernier.
─ Nous diras-tu, maintenant, comment tu t’y es prise pour vaincre les gardiens de l’île ?
Le regard songeur plongé dans le feu, la sorcière narra :
─ Ces choses se nourrissaient de l’énergie spirituelle. Je me suis dit que sans cette énergie, ils mouraient. J’ai donc enfermé mon énergie sous une coquille solide et je me suis laissée dévorer. Au lieu de vie, les gardiens n’ont trouvé que le vide et on été consumés par lui.
─ Mais tu ne pouvais pas savoir que cela marcherait, frissonna Niu.
─ Non, c’est vrai, confirma la sorcière, pensive. Mais dis-moi, comment s’est passée votre traversée du lac ?
─ C’était incroyable ! s’extasia Niu. Marcher au fond avec des tonnes d’eau sur ma tête qui ne pesaient rien. J’avais l’impression d’être dans un rêve. Puis le rêve est devenu un cauchemar quand un monstre des profondeurs a surgi. J’ai bien cru ma dernière heure arrivée mais il est passé à travers nous sans nous calculer. C’était une expérience palpitante, dans tous les sens du terme, mais de celles dont il faut mieux se contenter d’une.
La sorcière rit de bon cœur au récit de son amie. Jilam affichait cependant une mine perplexe.
─ Attendez... Quel lac ?
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