Chapitre 30 - Impossible n'est pas sorcière
Huitième acte de l'arc d'Ëjj le semi-elfe. Bonne lecture !
Les panthères d’érèbe encerclaient nos quatre compères : Reyn la Rouge, Bagon le semi-troll, Niu Maîtresse des vents, et Jilam ; sans oublier Mousse-qui-pique, lapereau-mousse de son état, connu aussi sous le sobriquet de « petit père ». Détail superficiel mais, disons, cocasse : nos cinq viandes sur pattes se bidonnaient la bidoche suite à une consommation – addictive à ce stade – de champignons, petits spécimens sous chapeau noir au petit nom évocateur de « rires-sans-pince ». Nos amis les chats noirs, serviables comme toujours, leur proposant une session gratuite de chirurgie pour les débarrasser de cette bonne tumeur.
Le ciel s’était subitement couvert, comme s’il refusait d’assister à la suite des évènements.
─ Merdebois ! Merdebois ! Merdebois ! On est vraiment qu’une bande de crétins attardés ! On va crever les tripes à l’air dans ce fossé à se marrer comme les derniers des guignols !
Reyn, aussitôt détectée l’approche de la meute, avait dégainé son arc et encoché une flèche. Face à sa réaction, Bagon, les larmes aux bajoues, balança son sac dans les fourrés et brandit sa gigantesque serpe. Tous deux riaient à se réduire les dents en poudre de lait. Planqués derrière le semi-troll, Niu et Jilam – Mousse en poche –, suffocants, côtes en miettes, compissaient leurs chausses, terreur et joie ficelées. Mourir de peur la frimousse hilare n’étant pas chose courante et encore moins naturelle, leurs consciences à tous les cinq n’arrivaient plus à suivre la logique de leurs pensées hallucinées. Seul demeurait, stoïque jusqu’à la fin, leur instinct animal.
Niu, entre deux hoquets, héla la cheffe des Rats qui lui lança son poignard. D’un bond, Reyn prit appui sur un tronc et atterrit sur l’arbre d’en face. Les jambes en queue d’opossum, pendue à sa branche les cheveux en cascade, elle décochait ses flèches avec la vivacité d’un oiseau-mouche. Bagon sarclait la marée de poils, balançait un uppercut aux truffes trop curieuses et piétinait les queues qui traînaient. Jilam, de son côté, s’était dégoté un creux sous un talus et tentait d’imiter le parfait champignon. À force de lutter pour étouffer ses spasmes irrépressibles, ses veines gonflèrent tandis que sa peau virait au mauve écarlate. Niu, aussi furtive et rapide que le vent dont elle était maîtresse, évitait griffes et crocs. Deux panthères, emportées par leur élan, se heurtèrent de plein fouet en tentant de la cueillir simultanément. Une poignée de crocs vola. Bagon, surgissant, d’un coup de pied, fit décoller la première bête, et de la pointe de sa serpe, empala la seconde encore chancelante. L’engeance poussa un cri à glacer les morts, se tordit, avant de fondre en fumée noire qui se dissipa dans les fourrés.
D’autres panthères émergèrent du sommet de la butte. Huit au moins. D’autres probablement furtives, attendant le moment de bondir dans le dos d’un Bagon trop occupé à protéger son gras de devant. Le semi-troll souffrait déjà de multiples coupures. Par chance, aucune n’avait entamé son cuir épais. Du moins, pour l’instant. Un frémissement de fatigue, un hoquet d’égarement, qu’il trébuche contre quelque racine ou glisse sur une flaque de boue, et six chatons se précipiteraient dare-dare pour le tailler en charpies. Et le carquois de Reyn était maintenant vide. L’elfe débanda son arc et jeta la corde. Ses mains tenaient désormais une lance à la pointe aiguisée. Sur un cri de guerre, elle plongea dans la fosse. Une panthère qui passait par-là s’écarta de justesse de la fusée mortelle. La reine des Rats ne se laissa pas démonter par ses feulements enragés. Lance au poing, elle combattait au corps-à-corps avec la hargne du prédateur acculé. Cul collé à son tronc, elle tenait à présent trois ennemis en respect. Contrairement à Bagon, une griffure, la moindre morsure, et elle était bonne pour l’insecticide.
L’immanquable ne manqua pas. Le cri releva une paupière à Jilam qui découvrit Bagon, ventre à terre, le nez dans la boue, désarmé, un chat noir perché sur sa couenne. Attentive, Reyn bondit, ou plutôt décolla. La panthère n’eut que le temps de lever la tête avant d’avaler le fer par la gueule jusqu’à la garde. Aussitôt, elle fondit en fumée. L’elfe aida le semi-troll à se remettre sur ses jambes courtaudes. Niu les rejoignit. Dos à dos, organisés en un triangle barrant le terrier de Jilam, les trois immortels s’apprêtaient à livrer leur ultime combat. L’âme légère, en paix avec eux-mêmes, leurs pensées houleuses apercevaient déjà l’horizon de leur prochain voyage. Qu’ils accompliraient, consolation, le sourire aux lèvres et le rire au ventre.
Le soleil choisit ce moment propice pour s’écraser sur terre. Sa radiance aveugla prédateurs et proies. Un éclair leste se faufila au sein de la meute d’ombres hallucinées. Le trouble céda à la panique. Feulements enragés tranchés net. La lame de vif-argent hachait les chats comme de vulgaires oignons. Il ne resta bientôt plus des enfants du néant que nuées obscures dispersées aux quatre vents. L’éclat s’éteignit. Le moteur de Jilam se relança. Son cœur aplati à force d’être tambouriné lâcha sous le choc. Les larmes lui montèrent aux yeux. Il riait, et pleurait. Lentement, il s’approcha, craignant que l’illusion s’efface tel un rêve au réveil. Ne tenant plus, il courut. L’illusion ne disparut pas. Il l’enlaça, la cisailla entre ses bras. Les cheveux de soie blancs burent ses larmes. Les siens s’étaient défaits. Une paire de mains aux longues griffes noires s’y enfonça afin de les peigner.
─ T’en as mis du temps, sanglota le jeune homme.
La sorcière, muette, se contenta de planter un soupir dans les cheveux de son mari.
─ On peut dire que tu soignes tes entrées, tête de flocon, pouffa Reyn qui, malgré l’essoufflement du combat, conservait son hilarité mordante.
Par-dessus l’épaule de Jilam, Nellis lorgna la meneuse des Rats Chevelus.
─ Et toi tes sorties, face de vert.
─ Pffff... Comment vous nous avez trouvés ?
─ C’était pas dur à moins d’être sourd.
À la vue d’une queue touffue et tachetée, Jilam sourit.
─ Content que tu t’en sois sorti.
Mú se détourna, jouant les insensibles, mais son cœur de furet n’en était pas moins plein que celui du jeune homme.
─ Comment va Mousse ?
─ Comme une mousseline.
─ Hein ?
─ Dans ma poche. T’es en train de l’écraser.
─ Oups !
─ C-c-c’qui lui ?
La face en pivoine, taillée de spasmes, Bagon pointait une silhouette, découpée dans un halo nacré, plus large que haute, flanquée d’une autre, plus haute que large.
─ Ha ! s’étonna Niu qui pointa ensuite des yeux mordants en direction de Nellis.
─ Je crois que c’est un peu tard, maintenant, pour le renvoyer d’un coup de pied, déclara la sorcière. Le mal est fait. Et tant qu’à se coltiner son gourdin, autant s’en servir.
Niu lâcha aussitôt le poignard de Reyn et courut se jeter au cou du semi-elfe, rires et sanglots mélangés en une bruyante cascade.
À la vue du costaud à la peau mate, Jilam, au contraire, s’était subitement tendu. Son épouse l’avait senti. Interrompant leurs retrouvailles, il avança vers Ëjj et son gourdin, pouffements retenus, l’air sévère, regard fuyant par-dessous les larmes, et tomba à genoux devant le semi-elfe.
─ Pardon !... Pardon de t’avoir abandonné à la merci des loups de fumée, de ne rien avoir dit quand Nellis t’a chassé. Pardon pour ma lâcheté. Pardon...
Tout le monde loucha sur le jeune homme au visage contrit. Personne n’osait moufter. Difficile d’affirmer si Jilam geignait ou se fendait la poire. Finalement, Ëjj éclata d’un rire gras dont la tonnante musique évoquait deux rochers frottés l’un contre l’autre. À croire que lui aussi s’était servi des champignons en dessert.
─ Par tous les grains de sable salés du grand désert ! s’exclama-t-il, hilare, se penchant pour relever un Jilam tremblotant. Depuis les siècles de lune que j’arpente le monde de tour en rond, je n’ai jamais reçu tant de pardons. Viens donc dans mes bras, vieille queue de renard. Nous voilà quittes.
Et il souleva de terre le jeune homme pour le broyer entre ses deux énormes troncs lui servant de bras. Son gourdin demeura fièrement planté dans le sol, l’air presque jaloux.
─ C’est pas le tout les amourades, trancha froidement la sorcière. Trois-yeux sont prêts pour la revanche.
Du pouce, elle désignait la crête lorgnant le fossé aux champignons. La meute dispersée en fumée avait repris forme bestiale et les observaient depuis leur perchoir, une rangée d’yeux rubis flamboyant de haine haineuse.
La troupe, équipée de ses trois nouveaux membres, n’attendit pas plus longtemps que la couardise des félins s’estompe et déguerpit dans la direction opposée. La lutte furieuse avait dénoué la tresse de vent fabriquée par Niu, semant des fils épars d’une flèche à l’autre de la boussole. S’arrêtant près d’un ruisseau, ils se désaltérèrent avant de traverser. Le chant de l’eau se mêlait aux rires. Sorcière et sourcier s’entreregardèrent, incrédules. Puis Nellis demanda :
─ Dites, heu... Pourquoi vous riez depuis tout à l’heure ?
Jilam s’approcha de son épouse, concentrée à la protection du flanc gauche de leur file elfique. Depuis plusieurs heures, ils suivaient un sentier de gibier au travers d’une nature morte au squelette dense. Au ventre, plus de rires, mais le sentiment que les ombres du bois, serpents bleus tracés dans la neige cristalline, les épiaient. Les congères, véritables tumuli, constituaient de dangereux pièges, dissimulant des bosquets de ronces aux épines grosses comme les piquants d’un hériphant. Le jeune homme, de son gant de laine, prit la main nue de Nellis. Les deux amants retrouvés, de nouveau aimantés, échangèrent un regard tendre accompagné d’un large sourire qui fit craqueler leurs lèvres sèches. L’ombre évinça celui de Jilam.
─ Tu as vu le vieux grand-père ?
─ Oui. Il… Il vivait encore quand je l’ai trouvé.
Le jeune homme ravala sa nausée.
─ Ne t’inquiètes plus. Le vent a emporté ses cendres, et celles des monstres qui l’ont dévoré. C’est terminé.
Incapables de contenir la vague d’émotions, Jilam et son cœur d’agneau – comme l’appelait parfois sa sorcière de femme – éclatèrent en sanglots et cette dernière s’empressa de le consoler.
─ Désolé mon chéri. Tu vas devoir réécrire du début l’œuvre de ta vie.
─ Ce n’est que du papier mort. Lui respirait. Pensait. Rêvait.
─ Et dans nos rêves, il poursuivra sa vie.
Quand ils atteignirent, enfin, le Cœur-du-Bois, les loups de fumée s’étaient éveillés. Pas un éclat de lune au travers des nuées sombres. Signe de mauvaise fortune chez les elfes. Un parmi tant d’autres. La neige s’était remise à tomber, drue, étouffante.
Jilam visita la Gardienne afin de présenter ses excuses – décidément, c’était leur journée – pour les volumes détruits.
─ Si tu ne me les avais pas volés en premier lieu, bougonna l’ancienne, les rides cinglantes.
Après une bonne claque aux fesses – métaphorique –, il se retira. L’averse blanche avait eu le temps d’enrager. Le blizzard étouffait l’écho lointain, mais pas assez, de la bataille. Jilam n’y voyait pas à deux ronds de gland. Une main l’attrapa au vol.
─ T’avais dans l’idée de marcher jusqu’à te changer en bonhomme de neige ?! le tança son épouse une fois au chaud dans la chaumière de Niu, très encombrée en cette soirée orageuse.
Leur hôte s’était contrainte à un rangement drastique histoire de faire rentrer son armée d’invités dans son humble tanière. Les meubles avaient été empilés. On avait gardé de côté de quoi préparer le repas.
─ C’est moi où vous avez enfilé toutes mes liqueurs ?
L’idée de s’endormir sobre semblait la révulser plus que la fin du bois annoncée.
─ Fallait-il que l’on sèche nos larmes ? récita sobrement Ëjj.
On mangea en silence ; abstraction faite des bâfrements de Bagon, des rots de Reyn, du concert de mâchoire d’Ëjj et des maugréements de Niu. Au dernier gong de timbale, Mú et Mousse-qui-pique allèrent au lit. Le lapereau roupilla bientôt comme un loir, bercé par les ronflements d’ours du furet. Ëjj jeta une bûche au feu plaintif dont les crépitements de joie accompagnèrent la veillée. L’heure n’était pas au sommeil mais à la réflexion. Le temps venu de songer à un plan.
─ D’ici que les loups de fumées en aient terminé avec toutes les panthères d’érèbe, l’essaim aura dévoré la moitié du bois, déclara sombrement Nellis.
─ Tu veux qu’on se joigne aux esprits ? interrogea Reyn, visiblement mal à son aise.
─ M-m-moi j’dis on l-l-les castagne jusqu’à q-que qui traîne pu un p-poil de mat-t-tou dans l-la n-neige ! tonna Bagon avant de s’enfiler d’une traite son broc de tisane au gingembre, terminant sur un râle triomphant.
Seuls Ëjj et Niu goûtèrent l’intervention du semi-troll. Jilam resta pensif. Nellis et Reyn le piquèrent d’un double dard de guêpe.
─ Boucle-la, Bagou, tu veux ! le rabroua la reine des Rats. Triture les deux fèves sauvages qui te servent de neurones avant de causer.
La carcasse d’ébène se ratatina dans le quart de cabane qui lui était alloué. Niu, la tête sur les genoux d’Ëjj, occupé à lui lisser les cheveux, interpela à son tour la sorcière :
─ Que suggère la noble dame ?
Un infime dandinement n’échappa pas au regard de Jilam. Son épouse n’avait pas l’habitude qu’un autre que lui la complimente. Les globes de chouette balayèrent l’assistance afin de rameuter son attention.
─ Il faut trouver la Mère.
Cette réponse simple sema l’embarras dans les esprits, épuisés par cette journée et les précédentes.
─ La mère ? La mère de qui ?
─ Avant de partir à votre recherche, je me suis renseignée auprès de la vieil... hum... de la Gardienne, au sujet des panthères d’érèbe. Le disfonctionnement de mes dons télépathiques au moment de leur apparition ne pouvait être une coïncidence. La Gardienne m’a appris beaucoup de choses. Bref. Je vous passe les détails. L’essentiel étant que les panthères d’érèbe fonctionnent pareillement aux abeilles ou aux fourmis. Une reine dirige les ouvrières. C’est la Mère. Elle agit grâce au troisième œil. Son pouvoir bloque le mien. Elle contrôle la meute, nourrit leur volonté, leur assigne les tâches.
─ Ça veut dire, la coupa Reyn, que si on lui crève les yeux, à cette matronne, tous ses marmots deviendront aveugles. Correct ?
Nellis, qui détestait plus que tout qu’on l’interrompt, d’autant lorsqu’elle étalait son savoir, ravala sa fierté.
─ Aveugles et incapables d’agir. Privées de leur unique conscience. Des pantins sans fil.
Elle se tut, soudain maussade, jeta un œil à Jilam, qui détourna son attention du feu vers elle. Niu, la promptitude incarnée, releva la première cette réaction.
─ Sauf qu’il y a un caillou dans le ragoût, pas vrai ?
Le feu éternua, crachant des postillons de braises.
─ Sans pouvoir télépathique, je ne peux localiser la Mère. Elle peut être à des centaines lieues d’ici ou seulement quelques-unes. Je n’ai aucun moyen de le deviner.
Ëjj brandit soudain son bâton de sourcier.
─ Avec ça, je vous la retrouve, votre maman chat !
Tous les visages se tournèrent vers lui, rougeoyants de scepticisme.
─ Une mère, pas une source, doux Aj, murmura tendrement Niu, ses doigts fins caressant sa mâchoire de taureau.
─ Tu es si drôle, Nuit d’amour, gloussa-t-il. Puis il ajouta à l’intention générale : Ôyez ! Ôyez ! Gentes dames, sieurs, damoiselles et damoiseaux ! J’en appelle à votre inestimable attention ! Admirez cette splendide baguette taillée de mains habiles dans l’écorce coriace d’un jeune peau-de-fer ! Un jour, une sorcière, se gardant de me chasser, ensorcela, non pas votre serviteur, mais ce morceau de bois sacré au ton d’acier. Depuis ce jour, la baguette détecte, non plus uniquement les sources d’eau, mais également celles du danger.
Cette fois, il n’y avait que Bagon pour s’amuser des pitreries de fanfaron de l’étranger maudit.
─ Effacez ces figures perplexes, chers amis ! De ma bouche, telle une source inviolée, ne s’écoule que la pure vérité !
Le silence pesant fut tranché par Jilam, subitement éveillé de sa torpeur lascive :
─ Moi, je le crois.
─ Tu as surtout peur de le vexer après le cirque que tu nous as fait, le railla Reyn.
Et Bagon d’embrayer :
─ M-m-moi aussi, j-j’y crois à s-s-son histoire !
─ Deux glands dans la poche ! À qui le tour ?
Sourcil froncé, Nellis examinait attentivement le visage du semi-elfe, faute de percevoir ses pensées, afin de discerner les traits du mensonge, mais elle ne vit rien.
─ Un attrape-danger. Jamais entendue parler. Mais allons-y ! Plongeons les deux mains dans la mare comme disent les lutins.
La reine des Rats, réduite à peau de souris, soupira de dépit, la logique défaite. Au sein de la cabane perchée, tous les cœurs battaient désormais à l’unisson.
Nellis poursuivit son exposition :
─ L’autre hic, c’est que la Mère sera sans aucun doute férocement protégée.
─ Avec toi à l’avant-garde, que peut-on craindre ?! s’esbaudit Jilam.
─ L’aura de la Mère brouille mon contact avec le monde des esprits. Plus on s’approchera d’elle, plus ma magie faiblira. J’ignore quels moyens me resteront quand nous lui ferons face. Je pourrais bien arriver devant elle aussi nue et inoffensive que toi.
L’image d’une Nellis de son gabarit pétrifia Jilam. Le silence s’installa. Aux gémissements du feu, on sacrifia une autre bûche. Reyn touillait les braises, distraite. Un rictus pointa au coin de ses lèvres sombres.
─ Jolie escapade en perspective. Au pire, ça nous écourtera l’hiver. T’en dis quoi, Bagou ?
─ Ch-ch-chuis allergiq-que aux chats. M-moins y’en a, m-m-mieux je m’p-porte.
Reyn, Niu et Ëjj éclatèrent de rires. Nellis se tourna vers ce dernier.
─ Ëjj ?
─ Les malheurs qui frappent ce bois, je les ai apportés. Le souvenir du vieux chêne pèse sur ma conscience, et probablement nombre d’autres morts à l’heure qu’il est. Si périr je dois moi aussi, au moins, ma quête prendra fin. J’aurai rompu la malédiction.
Les deux antagonistes d’il y a peu échangèrent un sourire, timide, mais entendu.
─ Niu ?
─ Si Aj y va, j’en suis.
─ Ce sera dangereux, ma princesse, protesta calmement le sourcier.
─ Pour tes fesses, si je ne suis pas là.
S’ensuivit un baiser langoureux et long. Très long… Trop long.
Nellis termina par Jilam. Mais son époux, qui devinait déjà ses paroles, la prit de court.
─ Pas question que j’attende seul que vous reveniez, s’énerva-t-il d’un ton ferme.
C’est avec une tendresse peu coutumière que son épouse lui parla en retour.
─ Tu veilleras sur Mousse-qui-pique et Mú veillera sur toi. Je ne pourrai te protéger là-bas.
─ Tu feras que traîner dans nos pattes, le rabroua sans ménagement Reyn la Rouge. On t’as déjà vu à l’œuvre tout à l’heure, quand tu jouais au blaireau.
Le jeune homme, bouche cousue, mima un simplet, conscient qu’elles avaient toutes les deux la raison de leur côté. Cependant, la peur le tétanisait. Il ne pouvait simplement supporter l’idée de devoir attendre, encore, encore et encore. Cette image terrifiante, de lui dans le noir, aveugle et sourd, sa voix avalée par le vent tandis qu’il se trouverait seul dans l’étroite cabane qui alors lui paraitrait si vaste, et par-dessus tout si vide. L’impression de déjà le vivre, le futur projeté dans le présent, la solitude ignorante, alors qu’ils sont tous déjà partis… Qu’ils sont tous déjà morts.
─ Tu n’y arriveras pas. Aucun de vous n’y parviendra. Impossible.
La sorcière, rampant sur les genoux, glissa telle une chenille vers son mari blafard et rongé de terribles frissons. Il détourna le regard. Alors d’un geste vif, elle enferma son visage entre ses griffes et planta sa bouche dans la sienne. Elle l’aspira jusqu’à la lie. Désaltérée, elle s’écarta, le laissant aussi hagard qu’un oiseau après avoir mangé une branche. Le goût de sa salive sur ses lèvres.
─ Mon idiot. Tu devrais le savoir pourtant, depuis le temps. Impossible n’est pas sorcière.
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