Chères habitudes

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L’emploi du temps de Marguerite est réglé comme du papier à musique. Son organisation, quasi maniaque, confine à la rigidité. Elle a ses petites manies, Marguerite, et ses habitudes qui rythment son quotidien ont pour elle quelque chose de rassurant et de confortable. La certitude d’entendre le même ronron chaque jour que Dieu fait, lui procure une sérénité proche de la béatitude.

Jeudi 10 octobre 1963, sa journée se déroule comme toutes les précédentes :
Lever à 7 heures. Petit déjeuner suivi d’une toilette. Juste après, le ménage, corvée rendue agréable grâce à ses chanteurs préférés dont les disques tournent sur son électrophone Pathé Marconi.
À 10 heures, elle sort faire son marché aux halles de l’avenue Ledru-Rollin.
Il est 11 heures lorsqu’elle revient. Elle se déchausse, enfile ses mules, passe un tablier et prépare le repas. À midi pétante, elle s’attable et mange en écoutant les voix de Radio-Luxembourg.
13 h 30. La table est débarrassée, la vaisselle lavée et rangée. Sa sieste débute pour prendre fin avec la sonnerie du réveil. Sans lui, elle dormirait bien davantage.

Marguerite boit une dernière gorgée de thé, rince sa tasse et l’essuie. Il est temps de se rendre au square retrouver sa tendre et fidèle amie Jeanne. Elles s’installent côte à côte sur l’un des bancs en bois, entre la gloriette et le vieux kiosque à musique. L’une et l’autre sont de fieffées bavardes, à croire qu’elles participent au concours de la plus grande pipelette de l’année.
Au cinquième tintement de cloche de l’église Saint-Gabriel, elles se lèvent, s’embrassent et partent chacune de leur côté. Après être passée prendre son pain chez le boulanger, Marguerite regagne son domicile.

Il fait déjà nuit, elle allume l’abat-jour, reprend son tricot abandonné la veille. Plus que la manche droite et elle aura terminé le gilet destiné à son fils pour son prochain Noël.
Dîner, rangement de la cuisine et lecture du journal acheté le matin. À 22 heures, il est temps pour Marguerite d’éteindre la lumière et de fermer les yeux.

Lundi 14 octobre 1963
Marguerite se lève à 6 h 30, elle déjeune rapidement, se lave, se coiffe et s’habille d’une robe noire et de bas du même ton. Son petit appartement se passera de ménage et de chansons aujourd’hui. D’ailleurs aujourd’hui tout peut attendre ; rien n’a plus d’importance que le rendez-vous qu’elle s’est fixé. Pour rien au monde elle ne le raterait.
Ce lundi 14 octobre de l’an 1963, date historique, va bouleverser l’ordre de ses habitudes. Mais Marguerite s’en fiche.
À 8 heures pile, elle est dehors. Jeanne l’attend sur le trottoir. Elle aussi est vêtue de noir et porte également un foulard sombre sur ses cheveux. Les deux amies se mettent en route, se soutenant mutuellement pour tenter d’adoucir le chagrin qui s’est emparé d’elles depuis trois jours. Bientôt, elles rejoindront la foule en progression vers le 20e arrondissement de Paris.
Il leur faut absolument arriver à l’heure sur l’avenue qui débouche sur le cimetière. Marguerite serait inconsolable de n’avoir pu saluer le convoi funèbre qui va conduire son idole jusqu’au Père-Lachaise, la grande Édith Piaf.

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