« Je ne sais pas pourquoi je t'aime
Mais je suis prête à t'aimer quand même. »

J’ai l’impression de vivre un rêve éveillé. Il est là, je l’ai enfin retrouvé. S’il est intrigué par ma présence, celle de sa sœur semble le toucher davantage. Je comprends que, comme moi, Satine a beaucoup sacrifié, quitte à désobéir et à blesser les personnes qu’elle aime le plus au monde. Sa demande est simple, mais je ne la connaîtrais pas puisqu’ils décident de s’entretenir ensemble, dans la bibliothèque. Le temps s'écoule trop vite. Comment pourrais-je lui faire comprendre qui je suis avant demain ? L’affaire est impossible, pourtant, je ne renoncerai pas.

Une heure passe, puis une deuxième avant que le Prince ne revienne seul et qu’il me convie à le suivre pour une escapade. Je ne doute pas que Satine y est pour quelque chose et je la remercierai ce soir. Sa ride au milieu du front, c’était chez Éric que je l’avais vue la première fois.

La gorge nouée, déçue, abattue même, j’entre dans la chambre que l’on m’a préparée et m’écroule sur le lit. Tout cela ne rime à rien. Le visage enfoncé dans un oreiller, je voudrais hurler. Je me revois sur cette barque avec lui, tous deux illuminés par les bras de la lune. La journée n’aurait pas pu être plus parfaite, merveilleuse. Quand je remarque qu'Éric se penche vers moi, mon cœur s’est arrêté de battre. Et au moment où nos lèvres allaient s’effleurer, une chose s’est brisée en moi. Ma main s’est dressée, mettant fin à la magie. J’ai mis ma vie en jeu pour une illusion éphémère, une chimère, un caprice de fillette contrariée. Que vais-je faire maintenant ? Dois-je quand-même respecter mon pacte pour me sauver ? Je songe aux amis laissés derrière moi. Je finis par m’endormir, emportée par la fatigue. Dans mes rêves agités, qui vais-je distinguer ?

« Réveille-toi ! »

Secouée dans tous les sens, je me relève et vois Satine, les cheveux épars, en chemise de nuit qui me tire déjà hors de mon lit.

« Dépêche-toi ! »

J’ai du mal à la suivre. Je sens que mes jambes sont douloureuses. Le contrat expirera bientôt. Nous nous dissimulons derrière un pilier et jetons un œil en contrebas. Une femme brune, magnifique, tient le bras d’Éric et affiche un air triomphant. Superbe dans sa robe de mariée, elle se pâme et glousse de plaisir quand le chambellan vient ceindre sa tête d’une couronne. Le souffle court, je me faufile comme une anguille pour mieux appréhender ma défaite. Car avant de sortir, la dame se tourne vers un miroir en pied. Le vrai reflet de la sorcière des mers me nargue.