Partie 1 : Un avant goût

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  Le lendemain matin, j'expliquai à ma sœur que nous séjournerions quelque temps dans cette cité humaine. Elle était ravie, elle qui appréciait l’animation et la compagnie. Il fallait croire que se retrouver seul avec moi en périple n'était pas quelque chose d'attrayant. Je la comprenais.

  • Cela nous changera de notre solitude habituelle. C'est agréable de voir cette prospérité et ces gens actifs dans leur reconstruction. Et puis nous trouverons peut-être quelques informations utiles sur les Atlants.
  • Espérons le.
  • Et pourquoi ce changement de plan ? Cela ne te ressemble pas. Tu as rencontré quelqu'un hier soir ? Une demoiselle ? Comment est-elle ? Vu ta tête je doute qu'elle soit magnifique. Quand me la présentes-tu ?
  • J'ai bien fait une rencontre pendant que tu te divertissais sans gêne.
  • J’étais persuadée que tu pouvais attirer une créature, quelle qu’elle soit. Une femme, un homme, un Atlant ou bien alors un chien ?

Je secouai le chef. Ma sœur était d’humeur taquine.

  • Un vieil homme. Nous avons discuté longuement et je voudrais finir notre entrevue. Nous nous retrouverons ce soir.
  • Je vois. Votre union n'est donc pas pour demain. Elle marqua une pause et continua : il est rare que tu échanges avec un humain.
  • Ce n’est pas tout.

Lune inclina la tête en guise d’interrogation.

  • Ce matin, je vais aller à la rencontre des éclaireurs qui surveillent le périmètre ouest.
  • Entendu. Les apothicaires de la cité m’ont parlé de ces soldats lorsque je prenais soin de tes blessures. La population les admire et reconnait leur bravoure car ils jouent un rôle dans la prévention des combats avec les Atlants, mais je n’en sais pas plus. De mon côté, je ferai un tour du village. Peut-être trouverais-je quelque chose d'utile. Des feuilles de malépre ou de sheichuan ne seraient pas de trop pour notre prochain voyage.

Accordés sur l'heure du retour, nous partîmes de l’auberge ensemble. Lune bifurqua de son côté quand moi je me dirigeai en direction de l’ouest. Je devais traverser une bonne partie du village avant d'atteindre une des portes cardinales qui ponctuaient ses fortifications. L’aubergiste m'avait indiqué le chemin à suivre.

L’allée que j’empruntai était large et le sol était recouvert de pavés. Je pris le temps d'observer le peuple, les bâtisses bancales et les chiens errants. Malgré ce décor précaire, les hommes s’activaient au développement de leur cité. Une certaine animation régnait. Des artisans édifiaient les pierres de futures habitations, des cordonniers polissaient, des forgerons frappaient le fer et on pouvait entendre les commerçants hélaient en tout sens que leurs biens étaient exceptionnels. Le vieux James Laroy n'avait pas menti. Ses congénères avaient repris espoir depuis la dernière fois que je les avais vus. Cette ville s'était organisée et se développait. Il fallait souhaiter qu'elle puisse le faire encore de nombreuses années maintenant que cette pseudo-paix régnait.

J’aperçus au loin, par dessus les habitations, la grande porte de l’ouest qui était, je devais l'avouer, impressionnante. Cet imposant tas de ferraille, qui mesurait dans les vingt à trente pieds, était complété de part et d'autre de remparts de pierres. Au centre des deux portants métalliques se devinait un des symboles de la renaissance revendiquée des hommes : une tête de lion incrustée. J'avais pu entendre d'une oreille une conversation à l’auberge au sujet de ce symbole. Il serait signe de force et de résilience. Les hommes ont toujours été doués pour la manufacture et l'édification de monuments aussi imposants qu'absurdes.

Je poursuivis mon chemin le long des rues. Une chose attira mon attention. Plus je me rapprochais de cette porte cardinale et plus la misère se faisait sentir. Des enfants chapardeurs couraient en tout sens, les mendiants aux coins de rue se multipliaient, et des bâtiments en mauvais état affichaient le mauvais ouvrage. Tout n'était pas aussi beau qu'il n'y paraissait tout compte fait. Les pavés du centre de la cité avaient laissé leur place à un sol poussiéreux ou boueux selon les goûts. J’eu aussi l’impression que plus je m’approchais de la porte et plus les regards se tournaient vers moi. Je me rendis compte qu’à part moi, pas un seul humain ne se dirigeait avec autant de résolution vers l'ouest, comme si cette direction était maudite.

Dans cette périphérie de la cité, hormis un misère plus palpable, se trouvaient de nombreux marchands de babioles. Et dans l’une de leur boutique, je trouverais bientôt ce pour quoi j'étais passé par ces ruelles. Je n’avais pas été totalement honnête envers Lune, ou du moins j’avais omis un détail. Depuis notre arrivée dans la cité de Kabir, je ressentais une présence particulière, comme un appel inconscient qui émoustillait mon âme.

Je m'en approchai. Je m'arrêtai un instant au milieu de l'allée que j’empruntais. Je fermai les yeux. Je fis le vide autour de moi, libérant mes sens de leur tâche incessante. Je rouvris les paupières, tournai la tête et un scintillement jaillit d'une des boutiques situées sur ma gauche. Elle était là.

Je m’avançai, écartai le rideau de perles qui cloisonnait l'entrée de ce fourbi marchand et me dirigeai sûrement vers un collier. Le vendeur, surpris qu’un inconnu entre dans son bazar et s’avance avec autant d’intérêt vers un de ses biens dérisoires, m'adressa la parole et enchaîna une série de propositions stéréotypées que connaissaient bien ces charlatans. Je n'écoutai pas. Mon regard s'était posé sur un collier, pendu parmi tant d'autres sur une poutre. Un bijou de pierres blanches, accolées autour d’une ficelle. Une seule d’entre elles m'intéressait, celle mise en valeur par les autres et qui avait été sertie au centre dans un cercle en fer. Elle était lisse, ovale et d’une blancheur nacrée. Une lueur mouvante transparaissait. J’attrapai le collier par cette pierre centrale, la maintins entre mon majeur et mon index et l'approchai de mon visage. Sa halo interne s'était accentuée à mon contact. Je restai ainsi figé de nombreuses secondes. Puis je changeai de main.

  • Vous avez beaucoup de goût, me félicita le vendeur.

Je ne lui répondis pas et fixai toujours cet étrange caillou dans ma posture statique.

  • Combien ?
  • Je vois que monsieur souhaite faire un joli cadeau ! Le collier est à cinq-cents routs seulement.
  • Je le prends.

Il pensait faire une affaire, mais il ne savait pas que cet objet était inestimable. Je lui donnai son dû. Il eut l'air étonné que je ne le marchande pas et encore plus lorsque j'arrachai et jetai le reste du collier sur son parquet usé pour ne garder que la pierre centrale.

Je sortis de ce fourbis et repris ma trajectoire vers l’ouest. Il était désormais temps d’aller voir ces éclaireurs de Kabir. J’avais en tête de leur poser des questions sur leur fonction. Je souhaitais entre autres savoir s’ils combattaient bel et bien des Atlants. Et puis, une idée saugrenue me traversa l’esprit pour trouver réponse à mes interrogations.

Une fois devant la porte, je fus confronté à un contretemps. Des gardes. Pas n'importe lesquels, puisqu’il s’agissait de la garnison.

  • Je souhaite me rendre en dehors du village, annonçais-je avec résolution.

Quatre gardes armés se tenaient là, deux de chaque côté de la porte. Un cinquième se tenait en retrait adossé contre la pierre dans l'ombre de la muraille et observait en silence. Je ressentais aussi plusieurs présences sur la hauteur des murs.

  • Tu es un original, toi, m’interpella un des gardes en premier plan. Je suis désolé, mais les règles sont strictes ici et il nous est interdit de laisser passer quiconque de l'autre côté de cette porte sans raison valable.

Il était plus facile d’entrer dans le village que dans sortir semblait-il. De l'extérieur, il suffisait de se présenter devant une des quatre portes cardinales pour demander l’hospitalité et l’entrée vous était rarement refusée. Ce garde me fit comprendre que pour profiter de la protection de Kabir il fallait aussi renoncer à certaines libertés de mouvement.

Comme attendu, mon interlocuteur jouait avec dédain de son autorité. Le regard franc, je l’observais lui et ses collègues narquois. Ils étaient amusés tous les quatre de ma requête inhabituelle. J’aurai pu être vexé ou pire être pris de pulsions peu avouables pour ces moins que rien, mais une pincée de bon sens inhiba mes intentions. Mon humeur était labile, mais ma réflexion me contenait. J’avais causé assez de tort à ma sœur pour ne pas en rajouter. J’allais donc jouer la carte de la franchisee et formuler l'idée qui m'avait pris un instant plus tôt.

  • Je souhaite m’engager en tant qu’éclaireur.

Ils s'arrêtèrent de ricaner, ne jugeant plus ni ma tenue ni ma demande si ridicules, et considérèrent mon nouvel argument. Le cinquième personnage en retrait, qui s’apparentait à leur supérieur, s'avança d’une démarche droite. Il se figea à quelques pas de ma position.

  • Sais-tu ce qu’il y a vers l’ouest étranger ?
  • Le soleil couchant ?

Il exhala de dépit et prit le temps de me répondre.

  • Nous l'appelons le soleil sanglant. Il se couche bien à l’ouest comme tu nous le rappelles si effrontément, mais nous le dénommons de la sorte car il nous rappelle le Raz-de-marée et les atrocités orchestrées par les Atlants depuis les côtés maritimes de l'ouest.

Après cette réplique appuyée, l’inconnu marqua une pause.

  • Je suis le capitaine James.

L’expression de ce haut gradé ne cachait pas son aversion à mon égard. Il me dévisagea longuement avec ses yeux noirs et lourds de reproches. Son regard froid affichait l’agacement d’un homme présomptueux.

Je le jaugeais à mon tour. Il était bien peigné, bien rasé et bien irrité. Sa raie capillaire était droite et ses cheveux noirs plongeaient de leur courte longueur de part et d’autre de ses tempes. On distinguait sans difficulté ses muscles se contracter le long de ses mandibules anguleuses. En outre, il dégageait une essence mal contrôlée, mais significative.

Le capitaine initia de multiples va-et-vient de gauche à droite juste sous mon nez avant de s'immobiliser à nouveau.

  • Rares sont les éclaireurs qui l’ont décidé de leur plein gré. Je pense même qu’il n’y en a pas un. Et toi tu serais volontaire ?
  • Oui.
  • D’où viens-tu ?
  • Du nord.

La mine du capitaine James restait sévère. Ses subordonnés se guettaient les uns les autres et semblaient s’attendre à un réaction courroucée de leur supérieur impérieux.

  • Cette région est pauvre et n’a pas encore eu le temps de se développer. Tu es bien peu bavard, mais c’est d’accord, finit-il par conclure. Nous allons t’ouvrir la porte du Lion résilient dans quelques instants. Tu partiras droit vers l’ouest. Il te faudra deux bonnes heures pour sortir de la forêt et atteindre la plaine sauvage, tu suivras ensuite le chemin de terre sur environ deux kilomètres.

Un de ses subalternes le coupa pour émettre des réserves :

  • Capitaine, il est d’usage qu’il bénéficie d’une formation militaire et…
  • Taisez-vous, misérable !

Le capitaine reprit ses explications :

  • Une fois que tu atteindras un premier bosquet situé sur la gauche, tu poursuivras ton chemin en direction du sud-ouest pour arriver à une ancienne ferme en ruine et tu chercheras le sergent Lore. C’est lui qui s’occupe des éclaireurs de la section ouest.

Son visage se détendit alors qu’il s'avança pour se mettre à ma gauche. Il posa une main sur mon épaule pour me chuchoter quelques mots.

  • Je sais ce que tu es. Tu dis vouloir rejoindre nos éclaireurs, mais tu ne m’inspires aucune confiance. L’unique raison pour laquelle je réponds à ta requête et que nous manquons d’hommes, et je ne serai pas malheureux si tu perds la vie en poste.
  • Nous verrons cela.
  • Tâche d'écouter tes supérieurs. Au moindre faux pas, je m’occupe de toi. Ton espèce est la plus lâche qui soit et trouver un motif pour éliminer un des vôtres me ferait le plus grand bien.

Mes poils se dressèrent, mes pupilles se dilatèrent et mes narines s’ouvrirent largement. Le Capitaine retira sans attendre sa main. Il avait dû ressentir une décharge électrique à la suite de ses propos. Tous les deux immobiles mais, côte à côte nous nous regardions dans le blanc des yeux. Nous faisions à peu près la même taille. La scène resta impassible. Pourtant ma fréquence cardiaque avait explosé et je sentais pulser mon pouls dans mes tempes contrariées. Quant à mon gosier, il émit malgré moi un bruit rauque en se contractant.


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