Partie 1 : Question
- N’avais-tu pas rendez-vous avec ton historien ?
- Il ne m’a pas rejoint.
- Je vois. Je le comprends, à sa place moi aussi je t’aurai fait faux bond, dit Lune de son ton taquin.
Mars vint s’asseoir aux côtés de sa sœur encore allongée. Il replia ses genoux et croisa ses bras par-dessus.
- Il devait m’en apprendre plus sur nos origines.
Lune redressa le buste et s’assit à son tour.
- Cela ne te ressemble pas.
Mars adoptait un regard vague en direction de la surface aqueuse en contrebas. Il apparaissait fatigué, abattu, assommé. Son visage était vide d’expression. Il redressa la tête en direction de l'horizon. Ses yeux étaient désinvestis de toute préoccupation et la lassitude avait annihilé la quelque volonté qui lui restait.
- À quoi ressemblé-je selon toi ?
Mars avait répondu de but en blanc. La spontanéité de Lune ne trouva réponse immédiate, la morosité de la question l’avait désarçonnée et elle en disait long sur la tension interne qui tiraillait son frère.
- Toi, ma sœur, qui perçois la noirceur qui sommeille en moi et mes humeurs. Que devenons nous ? Que sommes-nous désormais que notre culture s’est éteinte ? Que notre futur est aussi flou que la brume un soir d'automne dans les vallées d’Ishgre ? À quoi est voué notre périple ?
Il n’osait poursuivre à voix haute tout ce qui lui traversait l’esprit, mais cette succession de questions lui était venue comme un récit ruminé depuis longtemps.
- Il ne reste plus grand chose en moi.
Le silence s'installa entre les deux jumeaux. Un silence déguisé par le bruit de fond frémissant de la cascade. Lune, assise aux côtés de son frère, le dévisageait. Elle porta ensuite à son tour l'œil au pied de la cascade.
- Je suis là, moi, concéda-t-elle. Et nous ne sommes pas seuls.
Mars n’avait pas changé de position, le regard rigide porté sur l'horizon invisible à ses yeux. Sa jumelle vint poser sa tête sur son épaule drapée. Elle susurra le début d’une mélodie. Le corps tendu de Mars se relâcha progressivement. Ils restèrent ainsi plusieurs secondes.
- Je suis désolé Lune. Ma rencontre avec le Mystique me fait encore vaciller. J’ai l’impression qu’il a révélé en moi des choses qui m’effraient. Les fables idiotes à son sujet ne le sont peut-être pas tant que je le supposais.
Lune hocha la tête tout en terminant son fredonnement.
- Ne t’en fais pas pour moi. Je te porterai jusqu'au bout du monde s‘il le faut. Nous trouverons des réponses à nos questions.
Elle continuait de toiser la surface de l’eau où elle s’était située plus tôt. Malgré ces paroles, elle aussi était traversée par le doute de l'incertitude.
- Il est parfois bon d’analyser nos peurs, ajouta-t-elle.
Mars leva la tête en direction du ciel lacté. La ronde lumière restait éblouissante de blancheur.
- Cet astre est magnifique.
Lune se ressaisit, décolla sa tempe, regarda son frère dont l'expression sincère contrastait avec son attitude précédente, puis leva à son tour le nez dans les airs.
- Tu sembles étonné, mais j’ai hérité de son titre alors quoi de plus normal ?
- En ce qui te concerne, cela dépend de ton profil.
Elle ricana de soulagement. Malgré le moral défaillant de Mars, leur complicité était intacte.
Lune en profita pour interroger son frère sur le moyen qu’il avait employé pour la retrouver. Il répondit qu’avec les précisions qu’elle lui avait données, il savait où elle s'était dirigée. Après avoir quitté l’auberge, il s’était donc rendu vers la porte nord. Il avait découvert les gardes assoupis et suivi le chemin emprunté par sa sœur plus tôt sur les hauteurs de la muraille. Ensuite, il s’était servi des courants aériens pour percevoir avec approximation le chemin qu’elle avait suivi. Puis il avait longé le ruisseau pour enfin atteindre la cascade qui avait attisé à juste titre la curiosité de Lune.
Elle fut étonnée. Le vent n’était pas son élément de prédilection. Elle lui fit part de ses interrogations, et Mars lui répondit que c’était grâce à la pierre d’âme qu’il avait obtenue. Il avait réussi à l’activer.
- Je comprends mieux.
Cela expliquait aussi son attitude apaisée.
- Tu as sauté de la muraille ? poursuivit-elle.
- Oui
Lune ne fut pas étonnée de la réponse. Son jumeau n’avait pas était aussi expressif depuis un moment. Cela avait surpris sa sœur mais l’avait rassurée une nouvelle fois sur l'état d’esprit de Mars. Ils restèrent un moment à miroiter la masse fixe et brillante qui accaparait les cieux.
- Je suppose que tu sais ce qu’il y a en direction au nord-ouest après cinq journées de marche ?
- Je sais oui.
- Que s’est-il réellement passé Mars ?
Le face-à-face avec la déité astrale de sa sœur lui interdisait tout mensonge et il répondit sans dérobade.
- Comme tu le sais, je suis parti pour ce village de Fée pour essayer de comprendre ce qu’il s’est passé il y a dix ans. Essayer de comprendre leurs liens avec les Atlants. Je suis resté tapi dans l’ombre vingt lunes pour étudier leur comportement. Rien de suspect, simplement des humanoïdes d’eau douce, organisés en société hiérarchisée et logeant dans des huttes aquatiques primitives. Pas d’attitude belliqueuse ou de comportement dominateur d’autres espèces.
Mars s’y était attendu et il avait donc décidé de se dévoiler de son plein gré. Les prémices d’une discussion n’eurent pas eu le temps d’être espérées qu’il avait dû se défendre et il ne lui en avait pas fallu plus pour laisser libre cours à ses humeurs vengeresses. Avait-il fait une intrusion offensante ou suspecte de menace ? Il n’en savait rien. Avait-il eu réellement à cœur de discuter avec elles, il n’en était pas non plus convaincu. Dès les premières minutes, une, deux, puis trois avaient péri sous ses coups. Puis d'autres avaient continué de l’assaillir et avaient nourri sa rage insatiable. La femelle dominante Naya, qui n’avait pris part au combat qu’à la toute fin, avait eu le temps de jauger son adversaire qui avait massacré ses semblables. Le combat avait été épique et disputé. Finalement, Mars eut vaincu son adversaire et il avait traîné son corps épuisé et blessé devant les Fées restantes. Pétrifiées, plus aucune animosité n’eut été exprimée par les créatures, mais au contraire une sourdine de respect. Malgré cette faveur nouvelle, il avait préféré s’échapper d’un pas claudiquant, du fait de ses nombreuses blessures. Mais il n'avait pas fui très loin lorsqu’il se retrouva nez à nez avec le Mystique Atlant, pour cela il n’avait menti en rien. Il s’était effondré puis s’était réveillé sur les épaules de sa sœur.
- Je vois, répondit Lune après un instant et qui s’étendit à nouveau de toute sa longueur dans le petit nid herbacé. Cela ne nous a donc pas fait avancer dans notre quête, et peut-être même au contraire à certain point.
Ils restèrent à nouveau sans causer. Une pause consentie.
- Tu te souviens de notre conversation de tout à l’heure ?
- Oui, tête de brouton, coupa Lune.
- Ne serait-ce pas un moment opportun ?
- Si l’on maintient nos engagements, je suis évidemment partante pour te mettre une bonne correction.
°° Dans la société des Fées, la femelle dominante ne participe pas aux tâches quotidiennes de ses semblables ni à la chasse.
Elle ne participe donc pas non plus à la protection du village en cas d’intrusion. Les autres fées doivent faire leur preuve et montrer leur force pour un jour peut être la suppléer.
Si une prétendante souhaite prendre la place de la dominante alors une confrontation est organisée. Celle qui parvient à arracher les ailes de son adversaire remporte le combat et le bannissement, souvent synonyme de mort, est proclamé pour la seconde. °°
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