Telle la pluie sur la roche immuable, le temps polissait la douleur. De la tristesse émergeait des souvenirs, des cicatrices une fierté. Et des cendres germaient des jeunes pousses, des nouveau-nés. La vie reprenait. Et pour certains, des interrogations subsistaient. Les investigations menées par les membres du cercle confirmèrent la responsabilité humaine sur l’origine d’Ignus, sans pour autant connaître sa réelle origine. Que ce soit la naissance du foyer, les indices laissés ou les énergies analysées par les Oraï sensoriels, tout incriminait le même auteur.

Une profonde amertume se ressentit au sein des membres du Cercle. Les Oraï et leurs cousins humains avaient une origine ancestrale commune. L’évolution leur avait modelé une image similaire et si des distinctions étaient apparues, ils se ressemblaient encore trait pour trait à quelques détails près. Leur mode de vie fut lui aussi similaire jusqu’à une certaine époque. Les Oraï avaient même initié les Humains à développer leur énergie spirituelle il y a plusieurs siècles. L’utilisation qu’ils en firent avait elle aussi évolué au cours du temps pour devenir un outil méconnaissable pour les précurseurs de ce pouvoir.

La relation entre ces deux peuples frères était donc restée amicale une grande partie de leur coexistence. Pourtant, dans les temps nouveaux, leurs divergences d’idéaux les avaient éloignés. Si bien qu'après maints désaccords et d’amples discussions, des pactes avaient été établis entre les grandes cités humaines et les différents villages d’Oraï sur les sujets d'oppositions. Leurs échanges se cantonnaient désormais à de vives réprobations des uns envers leurs cousins et inversement. Les Oraï n’approchaient les cités humaines qu’en de rares exceptions.

Leurs dissensions furent une nouvelle fois réveillées lorsque l’origine du dévoreur de forêt fut établie. Sa naissance n’avait pas été clairement identifiée, mais il était fort à parier qu’elle provenait de l’utilisation démoniaque des engins mécaniques des hommes. Une technologie diabolique animait les créatures métalliques et sans âme, suppôts des Hommes, car leurs cœurs inertes s'ébranlaient à l’aide d’un combustible naturel rare. Celui-ci se trouvait enfoui sous les racines d’une espèce d’arbre bien particulière et les activités humaines montraient peu d’intérêt quant à la préservation des espèces autres que la leur, qu'elles fussent animales ou végétales. L’exploitation désastreuse de ce carburant était une inévitable catastrophe à bien des égards, si tant est que l’on est de la considération pour autrui.

Certains membres du cercle d’Orion et de celui de Céphée rendirent une visite jugée inamicale chez les dirigeants humains de la cité à l’est de la forêt Physis. Intercrus en fit partie. Malgré l’autorité dont il bénéficiait sur ses cousins, il détestait ces interventions qui restaient le plus souvent stériles. Les Oraï imposaient un certain respect, mais ils ne maniaient pas les manèges et l’art rhétorique insidieux du langage humain expert en tour de palabre. Ils étaient droits quand leurs accusés étaient manipulateurs. Ils étaient honnêtes et intègres et et non pas vils et mesquins comme leurs cousins.

Lors de l’entretien, le ton monta. Les cœurs se contractèrent et les rancœurs ressurgirent. Les Hommes concédèrent que ce feu de forêt était une catastrophe, ils en avaient eux aussi payé le prix. Mais ils n’en portèrent pas la responsabilité. Il était impensable pour eux de l’imaginer ou du moins de l’avouer, qui plus était auprès de leur propre population. Et s’ils semblèrent craintifs des représailles éventuelles de leurs visiteurs impolis, ils ne prêtèrent guère grande attention à leurs requêtes utopiques. Certains villages humains avaient eux aussi été touchés par le brasier infernal. Ils feraient en sorte d’assurer une meilleure prévention des feux de forêt mais n'arrêteraient pas leurs activités.

Les Oraï retournèrent dans leur domaine naturel avec un sentiment d’échec et d’inachevé, peu convaincus de la réussite de leur visite. Devaient-ils être plus incisifs ? Autant de questions leur restaient en suspens, mais quoiqu’il en coûterait, ils ne laisseraient pas passer une nouvelle horreur de la sorte.

Pour ne pas créer plus d’inimitié déjà établie, seuls les membres du Cercle furent tenus informés de l’origine d’Ignus. À l’exception d’un individu. Et même deux. Le petit fils d’Intercrus qui avait été mis dans la confidence garda ce secret à une personne près. Sa jumelle fusionnelle Lune.

Après les confessions d’Intercrus, la culpabilité de Mars s’était atténuée et réorientée. Du ressentiment venait de naître.

Lune de son côté fut chamboulée par la découverte de cette nouvelle. Les Humains, les Atlants. Les relations anciennement entretenues avec les différentes espèces évoluées de ce monde se ternissaient. Étaient-ils fautifs ? Étaient-ils responsables de cette dégradation ? Eux qui souhaitaient vivre en harmonie avec tous les êtres de ce monde, le résultat n’était pas probant. Elle se souvint d’avoir entendu à mainte reprise, depuis son enfance, de ne pas s’approcher des cités humaines sans en connaître le fondement. Et la connaissance de l’auteur de cet incident des enfers changeait la donne et altérait sa vision envers les hommes à elle aussi. Aussi bien leurs frères terrestres qu’aquatiques semblaient leur tournaient le dos.

Toutes ces questions étaient lourdes pour une Ora de son âge. Pourtant, en lieu et place de l’inquiétude que cela aurait dû lui susciter, une implication consciencieuse naquit dans son esprit.

Elle se confia à son tour et relata à son frère les échanges tendus qu’ils avaient eu avec les Atlants lorsqu’il était inconscient au retour de leur chasse il y a plusieurs cycles lunaires. Ils sentaient que l’avenir ne serait pas épargné de relations conflictuelles. Ils se promirent de devenir de puissants Oraï.