Je ferme mon livre. Je n’aime pas lire cette phrase. Elle me fait mal.
Je m’appelle Jacques. Toutefois, je ne suis pas le frère d’un héro et je n’ai pas de travail à Paris.
Certains prétendent être les héros de leurs épopées.
Je ne suis personne. Pour être précis, il n’y a pas un seul moi. Une foule me peuple. Elle se déchire, hurle et s’entre-tue. Chaque jour, on meurt. On s’enterre vivant. On s’enfonce des couteaux dans des plaies vermeille. Je sens le sang qui n’est pas le mien couler dans mes veines.
— L’enfant est endormi. Baisse ta voix.
J’ai dix-sept ans. Je ne suis plus enfant.
—Tu veux dîner ?
— Non.
Le ton est sec. Je maudis les larmes qui s’apprêtent à me piquer les yeux. Des moments hideux de silence et puis rien.
J’écoute encore. Des murmures. Des mains qui s’enlacent et ils s’endorment.
Je quitte mon lit où j’étais recroquevillé. Je ne suis plus fatigué. Je m’assoie sur la chaise du bureau. Des insectes survolent l’abat-jour. Je les guette et puis je souffle dessus. Ils ne s’en vont pas. Ils battent de leur minuscules ailes avec entêtement, se laissant baigner d’une lumière orange.
J’allume mon vieux moniteur HP, et l’ongle de mon index ronge sans cesse la chair de mon pouce. Mes paupières sont inondées par une lumière bleue et puis la colline verte se présente devant moi.
J’aurais aimé aller voir la colline dans la vraie vie. S’asseoir et ne rien faire. Scruter les nuages qui flottent paisiblement.
Non, j’aurais souffert parce que j’aurais été prisonnier de mes propres pensées. Et je ne saurais comment y échapper.
Je pense que ce tourbillon est tout à fait analogue à ce paysage de Windows. C’est comme une publicité qu’on ne peut pas ignorer. Un rhume qu’on doit vivre avec. Une colline verte dont on connaît parfaitement les creux et les fossés mais qu’on ne peut jamais naviguer sans tomber. Un ciel bleu hypnotisant.
Je prends la souris et je clique sur l’icône du navigateur. Mes doigts heurtent le clavier machinalement. Je clique.
Toujours pas de nouveautés. Mon pâle visage cerné par de grosses lunettes et de longues boucles de cheveux se décompose en une expression morne.
J’en ai marre.
Le curseur erre dans les différentes sections du site. Je clique et reclique sur la petite boucle au côté gauche mais rien de magique n’apparaît.
Last article posted one year ago.
Les jours s’entassent comme les grains de calcaire dans le bouilloire. Chose dégoutânte mais inéluctable.
Il y a deux types d’hommes face à un sentiment d’impuissance.
Il y a ceux qui résistent au courant, s’agrippant au début. Ils essayent d’altérer cette soif en eux avec d’autres choses. Mais petit à petit, ils oublient.
Et il y a ceux qui trouvent la force dans ce creux, dans cet abîme. Qui déploient des ailes colossales et font tous pour retrouver le goût de la puissance.
J’ai un pieds ici, l’autre là-bas. Je suis la passerelle qui craque au bout de chaque seconde. Je n’ai plus l’intention d’ouvrir les yeux et de revoir cette phrase.
Last article posted one year ago.
Mais je ne fais rien. Je ne peux rien faire parce que j’ai peur de…
Je ne sais ce dont j’ai peur. J’ai peur de me lancer dans une aventure où je me retrouverais. J’ai peur de se voir dans quelque chose qui parlera plus qu’un miroir.
Je me rends sur la dernière publication.
Je trouve mes commentaires, l’un après l’autre. Devenant de plus en plus long et inquiet.
Il y a onze mois
C’est trop trop cool. La métaphore de l’océan, c’est magnifique. Continue !
Il y a dix mois.
J’ai hâte de lire la suite.
Puis…
La suite, ça sort quand ?
Il y a cinq mois.
???
T’es OK ? T’as pas posté depuis longtemps. Tu veux qu’on en parle ?
Il y a quatre mois.
JE NE CONNAIS MÊME PAS TON NOM. Dis, t’as quelque chose de nouveau ?
Et encore d’autre messages qui gisent, non lu, au dessous de presque tout article.
C’est un blog de poésie intitulé : Ambre. Je l’ai découvert il y a cinq ans. J’avais juste déménagé dans une nouvelle ville et je ne parlais à personne. Je n’avais pas d’amis parce que je trouvais toujours une raison de m’isoler des autres. Tout le monde a ses défauts, j’étais allergique à ceux des gens. Parfois je haïssais mes camarades de classe parce qu’il voyait en moi quelque chose que je peinais à apercevoir.
Ils me mentent. Toute personne qui m’apprécie me ment. Ils aiment le moi que je laisse submerger. Mais il y en a pleins d’autre ! Hideux et écœurants. Ils se nourrissent des ténèbres qui envahissent mon corps et mon esprit.
Le propriétaire de ce blog est très probablement une fille. J’avais tout le temps pour faire mes hypothèses, fouiller dans l’archive de l’internet et j’ai trouvé un compte sur Facebook avec un style littéraire proche de celui-ci. Sur le profile il y avais à peine quelques mots.
Ambre, j’aime écrire.
Pas de photos d’elle. Juste des photos de montagnes, de collines de fleurs et de quelques roseaux.
L’écrivain du blog aimait aussi la nature. Il écrivait beaucoup sur les lilas.
Que ferai-je maintenant ? Et si je partais pour la retrouver ?
Qu’ai-je à lui dire ?
Ma main tâtonne dans mon placard et je retrouve mes canevas, cachés docilement.
Je les mets tous sur terre et je les effleure du doigt.
Des tentatives échouées de dessin. Elles finissaient toujours avec un visage chaotique, des traits inhumains et des orbites creuse.
Parfois c’était des hommes, des femmes, des enfants. Je donne vie à la foule qui me hante.
Mais Ambre était différente. Elle était partout. Les petits lilas dans les coins de la toile, une étoile qui brille dans le ciel obscure de gens étourdis. Les murs qui cloisonnaient les personnages dans leur détresse.
J’avais parlé à mes parents d’Ambre. De son pouvoir magique.
— Elle me comprend, maman. Lorsque je suis triste à cause de quelque chose, elle écrit un poème dessus. Toujours.
Maman ferme et ouvre ses paupières comme pour retrouver la force de me répéter les mêmes paroles.
—Rien n’est réel sur Internet, chéri. N’y attache pas beaucoup d’intérêt.
J’y attacha tout l’intérêt. J’y mis toute une âme et je continuai à lire les poèmes d’Ambre. Une histoire y naquit. L’histoire d’une personne lépreuse. La personne qui nous fait peur la nuit. Que nos mères nous interdisent d’approcher.
Je ne suis pas cette personne.
Je suis sur le point de la devenir.
*
— On va au cinéma regarder un film ce week-end. Tu nous rejoints ?
Je hausse les épaules en mâchant nerveusement.
— Jacques, tu m’entends ?
Je soupire.
— J’ai du travail à faire.
Des yeux vitreux me fixent et des chuchotements me chatouillent les oreilles.
—Tant pis. Va crever seul en enfer, pote.
On me laisse finir mon repas à la cantine. Je les regarde filer, leur silhouettes dansant devant mes yeux. Aussitôt fini, je sens la céramique m’effleurer la joue et un froid morbide me prend. Beaucoup d’autres silhouettes, des hululements. Mais la vue est maintenant oblique, floue. Je regarde ma main. Je crois voir des plumes roses, abricot, cyan, jaune et indigo. Maintenant j’ai des griffes. Des griffes dorées et je sens des mains me caresser presque le cou.
Peut-être que je suis mort. Peut être qu’on m’a tué. Quelle jolie mort !
Je n’avais jamais souhaité quelque chose plus ardemment que j’eus souhaité de ne pas être réveillé. C’était un paisible sommeil, surréel. Je ne peux plus entendre mes propres calamités. Je peux palper le silence : je le trouve tendre et soyeux. Tel le drap qu’on met sur vous, enfant. Tel le premier cône de glace qu’on achète en été.
Et puis je l’ai vue.
Ambre.
Elle se balade près d’une fontaine magique. Je ne peux pas distinguer ses traits. Je peux seulement discerner ses vêtements. Elle porte une robe blanche tachetée de lilas. Elle trône au milieu d’un paysage féerique.
Ambre, Ambre. Je l’appelle mais elle ne se tourna point.
Et puis.
Je rouvre les yeux. Je suis dans ma chambre.
Les lumières sont éteintes et il n’y a plus personne. Plus d’insecte. Plus de fontaine magique. Plus d’Ambre.
—Comment te sens-tu ?
Je ferme les yeux. Le regard lourd de ma mère m’écrase la poitrine. Elle vient d’entrer et elle porte le plus lugubre des masques.
— C’est fini ?
Elle s’assoit auprès de moi.
—L’infirmière nous a dit que t’as eu une hypotension. Tu veux que je te prépare …
—Est-ce que c’est fini ? Toi et papa ?
Elle se prend la tête entre les mains.
— Tu dois te coucher.
Je crois entendre quelqu’un pleurer dans une chambre voisine. Je suis dans un pièce blanche. Un grand lit et des draps intacts.
Une femme me regarde. Son maquillage est moche et ses yeux cernés me font peur.
—Tu dois te coucher vite …
Je m’enveloppe tout de suite dans le drap et j’essaie de reprendre mon train de pensée. Un train qui me traverse toujours et qui ne réussit jamais à me tuer.
**
Elle est debout devant ma chambre. Elle a l’air fantomatique, absent.
— Ambre ?
Personne n’est permis d’enfreindre la loi et de se balader la nuit. Mais je me permets de lui sourire.
— Moi, c’est Madeline.
Je fronce les sourcils.
— Je t’appellerai Ambre.
**
—Salut.
Je me tiens auprès d’un garçon aux cheveux noirs. Ses yeux quittent l’écran de son téléphone et me foudroie d’un regard agressif.
—Le mec là-bas m’a dit que c’est toi qui fournit les petits trucs.
Il continue de scruter l’écran.
—Donne-moi, je te jure que je ne le dirais à personne.
Il murmure une insulte. Ma main se retrouve, la seconde après, sur son cou. Je ferme mon poings alors qu’un petit sourire rompe sur mes lèvres.
—Donne-moi. Je ne peux pas dormir. Donne-moi.
Il fouille dans sa poche et me donne une plaquette. Je vide l’une d’elle dans ma bouche. Son goût amer cède à une délicieuse sensation lorsque je l’écrase avec mes dents. Je ris.
—Jacques, tu es fou !
Jacques, tu es un âne.
**
Je suis dans ma chambre. Il fait nuit. Je ne peux pas me rappeler quand je m’endormis. Ma main cherche la plaquette sous l’oreiller. Elle craqua sous l’ordre de mes doigts bleus et je sens la pilule jaune reposer sur ma langue. Je l’avale à la hâte et je m’endors.
Le lendemain, je ne veux pas aller à l’école. Donc je ne vais pas.
Je reste tout le temps dans mon lit. A regarder le toit. Les mêmes pigments de couleur couvrent maintenant tout coin de cette maison monotone. Je peux finalement entendre les oiseaux, l’eau couler dans les robinets, les voisins rire au dessous des cris du radio.
— Tu vas mourir.
C’est Ambre. Elle est assise sur le bord de la fenêtre, son visage m’est flou.
Elle porte encore la même robe lilas.
— Pourquoi tu fais ça ?
— Ne dois-t-on pas souffrir pour que l’Histoire se rappelle de nous ?
Elle hoche la tête.
— Tu as fais souffrir les autres.
**
—Il n’y a pas d’ordinateurs ici.
L’infirmière avec le maquillage moche croise ses bras et me défie avec un regard dédaigneux.
—C’est une prison ?
— C’est un asile de fou, coquin.
Je me redresse devant elle mais la géante ne bouge pas.
— J’ai besoin de voir quelque chose sur le net.
—Docteur, viens voir ce gamin. Il hallucine.
Je la pousse mais son corps gigantesque ne fait aucun mouvement. Elle me tire du bras et me lance vers le matelas rugueux.
—Tu bouges, je te couperais les oreilles.
—J’ai pas dix ans ! m’écriai-je avec opiniâtreté.
**
Le soir, pendant le dîner, elle s’assoit en face de moi dans la grande table ronde.
—Tu t’appelles Jacques, dit-elle avec nonchalance.
Je hausse les épaules.
—Moi, c’est Madeline.
—Ambre.
Je la corrige sur-le-champ.
Elle rit et sa tête bouscule vers l’arrière.
—Pourquoi t’es-là ? je lui demande en tournant et retournant la cuillère dans un mélange horrifiant qu’on prétend nommer soupe.
—Démence, dit-elle.
Je prends le soin de la regarder cette fois. Elle a les cheveux rats, des grains de beauté clairsemés sur ses joues et un sourire presque démoniaque qui ne quitte pas ses lèvres bleuâtres.
—Toi pour la drogue.
—Somnifères.
Elle rit encore.
—Je peux t’aider avec ton ordi. Laisse ta porte entrouverte après le départ de ton infirmière.
Je fais comme elle m’a dicté. Je l’attends impatiemment, assis sur terre.
Elle ressemble à Ambre, elle ressemble à Ambre, elle ressemble à Ambre, elle ressemble à Ambre.
Depuis qu’on m’a mit ici, plus de pilule. Je tombe au sommeil après des jours d’insomnie comme les guerriers tombent aux pieds des ennemis et je me réveille étourdi, rêvant d’Ambre.
Au début, je criais parce que je pensais que ça changerai quelque chose. Je voulais qu’on me rende mes pilules, mes petits bonbons jaunes, roses et indigos. Je les aimais, mes bonbons. Un arc-en-ciel de sensations. Je rêve de tous les livres que je ne peux plus lire, de toutes les fleurs que je ne peux plus inhaler, de tous les rires des enfants que je ne peux plus entendre.
Je sens le chaos dans ma tête. La foule gronde et elle crache du venin sur mon visage. J’ai du mal à respirer et un goût acre enveloppe ma langue. Soudain, ils portent tous leurs yeux dans leurs mains et …
— Jacques, Jacques…
Madeline m’appelle depuis la porte. Je me retourne et je la rejoins en marchant sur la pointe des pieds.
—T’es déjà là.
—J’ai pris la permission d’utiliser la pièce où on mets les trucs qui ne marchent plus. Vas-y. On y trouvera quelque ancien ordi et on le fera marcher.
Sa main tire ma manche et je la suis docilement. Elle est souple dans une chemise turquoise, un bonnet brun et des pantalons kakis. Nous arrivons dans la pièce et je sens tous mes cris refoulés fourmiller au dessous de ma peau. Je m’agrippe à la porte alors que Madeline cherche le maudit ordinateur. Elle trouve un bureau en acajou dans le fond et je sens quelqu’un s’approcher :
—Les enfants, restez dans vos chambres. C’est trop tard pour faire cache cache.
Un agent de sécurité qui fume une cigarette. Je m’approche de lui et je la lui vole avec un retrait. Il me regarde, l’horreur figeant ses traits. Je prends une grande bouffée et laisse la nicotine me brûler les poumons.
—Jacques, l’ordi marche très bien !
Je laisse tomber le magot par terre et l’écrase par mon vieux Nike.
—Y-a un réseau Wifi ici ?
L’agent laisse voir ses dents jaunis par la misère et les cigarettes.
—Tu te crois dans un hôtel cinq étoiles, mignon ?
—J’ai besoin d’accéder à un site. C’est urgent.
L’homme est sur le point de se précipiter dehors lorsque je siffle :
—Je me tuerais sinon.
Il se retourne et me maudit de son regard morne. Il cherche son téléphone et me le donne.
Madeline se rapproche alors que je tape furieusement “Ambre” sur la barre de recherche du navigateur.
—Oh, quelqu’un a une amoureuse.
—Ferme-la.
Mes doigts cherchent, animés d’une effervescence démoniaque, quelque trace d’un nouveau article.
—Merci, dis-je en rendant le portable à son propriétaire, qui avait déjà allumé cette fois-ci une pipe.
—Fumer tue, rétorqua Madeline.
—On crèvera tous, t’inquiète, lui rappela-t-il en fermant la porte derrière nous à clef.
**
Les jours qui suivent, je vis à peine. Je continue à prendre le déjeuner avec Madeline qui parle sans cesse, à rêver de mes pilules qu’on ne me remettra jamais et de regarder les publicités anodines qu’on met sur la télé. Je refuse de rencontrer quoique ce soit : je n’ai rien à dire à un psychanalyste qui me verra comme un objet éphémère d’étude. Maman leur ordonne de me laisser à mon gré.
Je ne suis pas seul, même lorsque je suis isolé dans la pièce. Je les entends, je les vois habillés de la colère, de l’humiliation, de la fureur et de l’envie. Du rouge macabre, du bleu foncé, du violet strident et surtout, du jaune flamboyant. Ils ne me laissent jamais fermer l’œil sans avoir à répéter : “Tu dois payer tes sottises. Tu dois payer tes sottises. Tu dois payer tes sottises.”
—Jacques, j’ai lu ton blog.
Ferme-la, hypocrite, menteuse, sale cogne. Ferme-la, ferme-la, ferme-la, ferme-la.
—J’ai beaucoup aimé les vers sur la nature. C’est trop cool.
C’est trop cool.
—Arrête.
Madeline fronce légèrement ses sourcils et elle repasse la main le long de sa chevelure absente.
—Ce n’est pas moi qui écrit. C’est Ambre.
Elle pousse son plat avec dégoût et elle dit en tremblant :
—Ça suffit. Tu sais très bien qu’il n’y a pas d’Ambre, tu le sais et tu te moques de moi.
Je hoche la tête.
—Non, j’ai beaucoup de dessins d’elle.
—Je l’ai vu tous. Ils sont juste des traits et des trucs incohérents. Ton Ambre n’existe pas. Ambre, c’est toi.
Je la regarde et des perles me traversent le visage mais je les essuie rapidement.
—Non. Ambre est mon amie. Elle me connaît, elle m’aime.
—Je t’aime, moi. Je suis réelle. Je suis Madeline.
Je me mets sur mes pieds et elle me fixe de son regard vitreux. Le même regard de notre première rencontre.
—Mais tu n’es pas Ambre.
**
Cette nuit, tout est calme.
La foule dans ma tête opte pour des bavardages innocents. Les infirmières rient à la véranda de l’hôpital. On joue à la carte et on ricane à en perdre l’haleine. Même les plus mornes des patients se sentent réjouits.
Je cherche Madeline mais je ne la trouve pas.
—J’ai besoin d’un peu d’air frais, dis-je aux gens assis autour de la table ronde. Mais personne ne tourne la tête.
Je n’aime point être perçu comme un enfant qui a besoin d’être surveillé par de moches créatures portant du maquillage ou fumant les cigarettes.
Lorsque je me retrouve dehors, je me balade entre les allées du jardin. Je crois voir la silhouette de quelqu’un recroquevillée dans la pénombre.
—Madeline ?
Je m’approche d’elle et elle sursaute.
—Je ne voulais pas la tuer. Je voulais juste la faire souffrir.
Elle sanglote en tirant sur les herbes du sol. J’essaye de comprendre ses mots mais aussitôt l’alarme déclenche et tout le monde crie en symphonie : INCENDIE.
—Qui as-tu tué ?
—Ambre. Elle meurt maintenant.
Je me précipite à l’intérieur et je cours dans le corridor. Mes chaussures brisent le silence nocturne, la fumée m’aveugle. Je me rapproche de l’épicentre de l’incendie. Et je me rends vite compte que c’est dans ma chambre que tout a commencé.
—Jacques, viens ici.
L’agent de sécurité me prend par le bras mais je le pousse vers la sortie.
—Va-t’en. Vis, fume tes cigarettes, copain.
Avec les jambes de plus en plus affaiblies et l’haleine coupée, je réussis à entrer sans me faire dévorer par les flammes. Mes mains fouillent dans les armoires et je tire mon trésor, ma seul raison d’exister.
Le tableau que j’ai peint il y a cinq ans. Lorsque j’ai rencontré Ambre pour la première fois. C’est un lilas porté par une personne ensanglantée. Le bleu indigo luit dans la lumière fade.
J’entoure mes bras autour du grand canevas. Je ne pars jamais ailleurs sans le prendre avec moi. Je ferme les yeux et pour la première fois, j’écoute les pleurs des gens dans ma tête. Le feu crépite en croustillant mes bras, mes jambes. Je vois encore les couleurs de mon arc-en-ciel une dernière fois.
Je hurle. Mais c’est un cri heureux, soulagé de pouvoir assassiner la foule. Je la vois : sanglotante, apeurée, silencieuse. Et je ris.
Dehors, une jeune fille dans une chemise turquoise et avec des cheveux rats s’écrie, ses yeux jaunes vacillant avec les flammes : “Je ne l’ai pas tué. Il était mort il y a longtemps.”
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L'Ambre des mots | Chapitre | 1 message | 6 mois |
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