Kendorn, le diable

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 Kendorn plissa les paupières sous la lueur agressive du soleil qui se reflétait sur la plaine. Un vent frais balayait ses cheveux noirs, dégageant son visage sévère. Son regard acier scrutait l'herbe dansant au bas de la falaise, d'un air dur représentant bien le personnage. Son maintien était droit, son port de tête noble, il semblait asseoir son rêgne sur l'étendue face à lui. Son corps puissant portait sans peine la lourde armure de fer, celle de bataille. Elle arborait les stigmates de coups d'épées, de flêches et de lances, ceux que les forgerons n'avaient pas réussi à réparer. Il étudia encore un moment le champ avant de se détourner d'un geste brusque.

 A l'horizon se dessinait un nuage de poussière dense, s'élevant dans le ciel et se dissipant dans l'air. Kendorn ne pouvait distinguer, à travers, les hommes qui marchaient vers lui mais il se représentait sans mal les chevaux excités, leur cavaliers tirant de toutes leurs forces sur les rênes, les soldats, le pied au sol et l'arme à la main, un mélange de peur et de fébrilité leur mâchant à tous les boyaux. Il descendit rapidement la colline, son pas assuré foulant l'herbe sèche, et rejoignit le bataillon. Le général n'en était pas à sa première bataille, c'était un guerrier émérite, en témoignent les souvenirs des lames sur sa peau calleuse. Il avait assez vu de champs de guerre pour en connaître les mécanismes. Face à une horde d'hommes assoiffés de sang ennemi, la ruse ne suffisait plus, il fallait pouvoir lever son épée, briser son adversaire, faire couler son sang, ses tripes. Et recommencer.

 D'un mouvement fluide que ne laissait pas soupçonner sa carrure, le général se hissa sur son destrier, une belle bête. Il fixa une dernière fois la ligne où le ciel et la terre s'embrassaient avant de se tourner face à son auditoire. A nouveau, il observa sans mot dire. L'atmosphère se remplit d'un air solennel. Les yeux orages parcoururent les hommes face à lui en s'attardant. Kendorn savait que pour la plupart ce serait leur dernière bataille, que ce soir, il enterrerait les siens.

-Soldats ! clama le géant, d'une voix qui portait loin. L'ennemi marche vers nous, assoiffé de sang et de mort. Les nôtres ! Leur nombre est grand. Mais ne vous sentez pas inférieurs. Ils ne sont guère plus habile de leur armes qu'une bonne femme ! Je vois en face de moi des hommes forgés par le fer et la guerre, qui ont humilié bien trop de fois la faucheuse pour la craindre encore. Ces hommes là valent dix des leurs !

 Kendorn se tu un instant, savourant la clameur qui fit trembler les montagnes. Une lueur de fierté envahit son regard un instant.

-Les Badvers ont trop longtemps cru pouvoir assujettir les Mathaks. Ils nous ont mésestimés et marchent désormais sur le royaume comme en terrain conquis. Le châtiment sera à la hauteur de leur bêtise. Montrons leur le prix à payer, reprenons les terres volées. Ce soir, le sol s'abreuvera de leur sang !

 Le brun souleva sa lourde épée et l'abattit d'un geste sec sur son bouclier. Le bruit résonna à travers le corps de tous les hommes, les mettant en diapason. Puis dans une harmonie presque religieuse, les soldats battirent d'un même choc leur bouclier. Kendorn se retourna lentement face au futur champ de bataille. Le choeur de coups vibrait en lui. Il savait que, au loin, camouflés par la poussière, les hommes tremblaient devant le chant des guerriers Mathak. Bien mal leur en fut de sous-estimer les légendes des victoires de son peuple. Elles n'avaient rien d'un mythe, ce que les soldats Badvers allaient bien vite comprendre.

 Le nuage s'était densifié pendant son discours. L'ennemi s'approchait rapidement. Kendorn brandit son arme vers le ciel et aussitôt le choeur se suspendit, seule restait la violence contrôlée, continuant de vibrer dans l'air. Le général laissa l'ambiance l'imprégner, le possèder. Le brouillard était désormais à une distance convenable. Le brun abattit son épée, fendant l'air, et poussa un hurlement gutural. Son cheval s'élança, suivi de milliers de soldats.

 La charge était un moment impressionnant. Une vague humaine, noire, forte et déferlante. Une masse compacte qui faisait tembler le sol et promettait un destin funeste. Devant eux les hommes se faisaient de plus en plus distinct. Des guerriers semblables à eux, fait de chair et de sang, respirant un mélange de particules soulevé par leur pas, se battant pour une idéologie propre. Des frères qui s'entreturont.

 Kendorn, à la tête de ce raz-de-marée, se prépara à la collision. Les deux forces se rencontrèrent violemment, l'on pouvait presque ressentir l'onde de choc provoquée. Le brun leva son épée et le premier sang coula. Le mort tomba dans un bruit mat, étouffé, de son cheval, mais Kendorn était déjà passé à autre chose. Il déchirait, pourfendait, massacrait, laissant une odeur de sang et de mort dans son sillage.

 Le général continuait de répandre son courroux, tel un dieu de la guerre fièrement dressé sur son destrier. Il plongea à nouveau son épée au travers d'un corps, un capitaine si il fallait en croire son armure. D'un large moulinet, il fit tomber des têtes et sans perdre un instant élança son cheval au coeur de l'ennemi. Son étalon fendait la masse, Kendorn les cheveux au vent, le visage taché de sang, évoquait le diable lui-même, venu punir les hommes et soulager sa fureur.

 Un long sifflement et une flèche se planta dans son épaule gauche. Un feulement de douleur secoua sa large poitrine mais l'ivresse de la bataille et l'adrénaline dans ses veines contre balançèrent efficacement la souffrance et Kendorn brisa d'un coup de sa lame l'empennage de la flèche. Aussitôt après, un fantassin se jetait sur lui. D'un mouvement de son épée, il ouvrit l'étalon en deux et la carcasse de l'animal s'effondra. Le brun, pris par surprise, eu le temps de se jeter au sol et de rouler. Il se releva souplement et bloqua le coup porté par son adversaire. L'homme face à lui était fort, un cou épai porté par des épaules musculeuses et un grand torse protégé par une lourde armure. Le soldat revint à la charge et le fer se croisa. Kendorn dévoila ses dents dans un sourire carnassier et repoussa le soldat avec un mouvement de hanches.

 Les coups s'enchaînaient, forts, puissants. Mortels. Personne ne semblait vouloir approcher les deux titans qui s'affrontaient. Mais finalement, le général passa derrière le fantassin et planta son épée au travers du corps de son adversaire, la glissant dans le défaut de l'armure. Les yeux verts de l'homme s'écarquillèrent légèrement et se plantèrent dans le regard orage, ils se fixèrent un instant qui dura une éternité, le vainqueur et le vaincu. Puis Kendorn hocha imperceptiblement la tête, reconnaissant la valeur et la force de l'homme puis ce dernier s'effrondra.

 Des cris de victoire s'élevèrent petit à petit autour de lui. Ses yeux gris balayèrent le champ de bataille. Ses hommes, debout, soumettaient les Badvers encore en vie et marchaient, conquérant au milieu des cadavres ennemis. Ils avaient gagné.

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