Narcisse à la gare

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Un peu de lumière sur le quai, et la joie jaillit dans mon coeur. L'espace d'un fragile instant, j'ai pu apercevoir mon reflet sur les vitres de la gare. Mon dégradé, parfait; ma barbe, tracée, et mes avant bras, comme taillés dans le marbre de Michel-Ange. Hélas! la voiture s'éloigne et l'instant s'évapore. Me revoilà seul, dans le noir, à attendre mon train dans cette station idiote.

Elle est située près d'une route, le long d'un fossé de campagne. La gare n'est même pas au centre du village, et je n'ai même pas pu m'acheter de cigarettes. Nerveux et affamé, je tourne en rond depuis des heures, quand j'entend enfin la voix de la-dame-de-la-sncf me libérer d'un :

"Le train. Numéro. 68.15. En destination de. Paris - gare du nord. Arrivera voie B. Il desservira. Puy L'êveque. Montcuq..."

Je ne prête soudain plus attention à la-dame-de-la-sncf. Un gros camion passe, et je peux, très rapidement, vérifier si mes chaussures vont bien avec ma manucure. Mais le camion passe... Et fauche à l'aveuglette...

Alors, miracle des miracles, le train apparait à l'horizon.

Fébrile, j'attend l'arrivée du ver d'acier avec le même enthousiasme que si j'allais occir le dragon. Ses rugissements précédent son arrivée, et lorsqu'il arrive à la station, un feu de lumière liquide recouvre enfin la scène. Mon reflet m'apparaît enfin clairement: Il est partout, et quel délice. Extase des sens, guerre des miracles: J'ai si bien choisi mes pompes. Avec la manucure, elles passent grave-bien. Mon haut est impeccable, son blanc cassé détendu-chill rompt parfaitement avec l'élégance de mon chino noir.

Un sourire séduisant naît sur le coin de ma lèvre alors que la comtemplation de mon propre flow illumine mon esprit plongé dans les ténèbres depuis un soir immémorial. Alors même que je vois ce merveilleux sourire éclore au coin de mes commissures, je souris de plus belle, et apparaissent alors mes deux fossettes, aussi envoutantes que les gouffres des djinns: plus je vois mon visage illuminé par la tendresse qu'il s'inspire lui même, plus je suis illuminé de tendresse pour ce visage, et plus il devient magnifique, comme pour me récompenser...

Un bruit affreux résonne alors: Le gargouillement guttural du ver d'acier. J'ai beau courir, ce Charon infect de conducteur de train refuse de stopper son engin, et le train disparaît à l'horizon.

Je pousse un soupir de desespoir alors que l'obscurité me recouvre à nouveau. Tartare de vie... Me revoilà seul, narcisse, sale, hagard... C'est le quatrième que je rate ce soir... Pourtant, ce qui m'embête le plus, c'est que je ne sais pas trop quand passeras la prochaine voiture... En tout cas... J'espère qu'elle roulera tout doucement.

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