Rêves tronqués — Vox
« Le Ciel : on le voit à longueur de journée. On le sent sous nos pieds. Il est toujours là, majestueux et puissant. Mais on n’en parle pas…
Jamais !
On constate son état, on le regarde, mais que peut-on dire de lui ? Pas grand-chose… Et qui pourrait le traduire, d’ailleurs ? Vous croyez que vous pourriez mieux le comprendre en le contemplant ou en y plongeant ?
Il suffirait peut-être d’y sauter, et hop !
Non ! N’y allez pas ! On a besoin de vous. De vos vies !
Vous me faites peur parfois…
Reprenons !
Qui répondra, alors ? Pas grand monde… Sinon…Sinon les prêtres du Ciel ! Eux le comprennent ! Ils sont bien plus malins que vous et moi, car ils ne l’entendent pas avec des mots ! Ils ont trouvé un autre chemin : le mouvement.
Regardez ce bleu céruléen, ces nuages dansants et le Vent qui semble en découler.
Tout le parterre céleste semble se mouvoir sans cesse, il glisse de transformations en transformations, devient toujours différent de lui-même. Pas comme la Terre immobile, donc définissable ! Il est fluide, transcende la forme et l’être, les enfants !
Les Célestes ont bien compris que pour le saisir ils devaient le danser. Allez donc au temple du Ciel, les amis. Voyez, lors de la fête du Père et du Fils, les célidanseurs et les souffles-vent se coordonner pour offrir un spectacle qui reproduit le firmament. Allez y voir, je vous dis, c’est dans quelques jours ! Tirez les tuniques de vos parents jusqu’à les déchirer, s’il le faut.
Vous verrez.
Ils respirent si bruyamment, les souffles-vent, qu’ils en font une musique assourdissante. Le bourdonnement de leurs glottes singe le dieu mouvant, il guide la substance, gonfle les carnats.
Les célidanseurs deviennent nuages, glissent en fond bleu, deviennent mouvement. Ils incarnent l’abîme mouvante, ils voguent tantôt rapides, tantôt lents ; ils descendent, montent et brisent, secoués par les respirations intensives de souffleurs. On croirait même, en les voyant, les confondre avec les profondeurs environnantes.
Ils ne sont plus humains. Ils deviennent l’atmosphère. Ils ne respirent plus, ils incarnent le flux.
Allez y voir, les enfants, et vous ne chercherez plus aucun mot pour saisir le Père et le Fils dans leur danse inlassable. Vous la sentirez, au fond de vos oreilles et de vos yeux. Et là – là seulement – vous saisirez : le mouvement. »
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