Chapitre 54 - Rencontre à bord

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— On me l’avait dit, mais je ne le croyais pas, dit Pieric en surgissant de derrière l’arche où il s’était posté, alors que Claire sortait de ses quartiers.

 Trois jours s'étaient écoulés depuis leur départ de Kivilis. Dans quelques heures, ils sortiraient de l'ultralux, en orbite de Carialis.

 Ce premier voyage spatial s’était avéré bien moins enthousiasmant que ce à quoi elle s’était attendue. Ses nausées avaient mis du temps à disparaître, la contraignant à rester dans sa cabine, quand son service ne l'appelait pas aux côtés du Seigé sur la Passerelle. Ses compagnons de chambrée n’étaient pas de mauvais bougres, mais elle appréciait très moyennement la promiscuité du vaisseau, et encore moins dans ces conditions.

 Heureusement, Leftarm avait très peu requis sa présence. Après le serment que Claire lui avait si spontanément offert, la première nuit du voyage, il lui avait exposé les tenants et les aboutissants de leur déplacement, puis l’avait congédiée. Elle ne savait pas si c’était pour son bien à elle, afin qu’elle puisse se reposer, ou si c’était pour ne pas être incommodé lui-même par son malaise – via le poeïr, il était impossible qu’il ne ressente pas son inconfort !

 Par la suite, elle n’avait effectué que de brefs séjours sur la Passerelle à ses côtés – il faut dire qu’il s’y était rarement rendu, l’équipage n’ayant aucun besoin de lui pour naviguer dans l’ultralux. Il avait passé la plupart de son temps dans ses quartiers à travailler, la convoquant rarement, ce qui lui avait laissé tout son temps pour essayer d’utiliser le poeïr pour se sentir mieux. En vain.

 Comme l’avait dit Siril, l’un des cinq OLS avec lesquels elle partageait ses quartiers, seul le temps permettait de se remettre du mal de l’espace. Après trois jours, effectivement, elle commençait à se sentir mieux. Elle était donc sortie un peu en avance, afin de se rendre dans l’une des galeries d’observation du vaisseau. La vision de l’ultralux la fascinait, et elle escomptait bien l’admirer autant qu’elle le pouvait avant que son service ne la rappelle sur la Passerelle, dès qu’ils amorceraient leur décélération.

 C’est pourquoi elle fut totalement prise au dépourvu par le surgissement soudain de Pieric, dans sa combinaison bleue marine (indiquant qu’il travaillait dans l’espace) aux liserés orange (en tant que technicien) et vert (en tant que militaire). Elle avait complètement oublié que c’était sur l’Inexorable qu’il avait été muté, tant de mois auparavant – avant que ne débute son entraînement au Centre, avant qu’elle ne découvre ses pouvoirs.

— Pieric ! s’exclama-t-elle, ravie de revoir celui qui avait tant compté à ses yeux lors de ces difficiles premières décades à Bhénak. Qu’est-ce que tu fais ici ?

— C’est plutôt à toi que je devrais poser ce genre de question… ! lança le jeune homme, considérant Claire avec ce qui ressemblait bien à de la suspicion.

 La méfiance dans sa voix arrêta net la jeune fille, qui allait se précipiter vers lui pour l’accolade qu’ils se donnaient naguère au Hangar Dix-Sept.

 C’est alors qu’elle se vit dans ses yeux, avec son uniforme et les crans dorés d’Assistante, sur son épaule gauche. Or, ici, dans cette zone du vaisseau, la seule personne qui pouvait avoir un aide de camp, c’était…

— … le Seigé ! C’était lui, ton patron, depuis le début ! accusa-t-il.

— Techniquement, c’est le patron de tout le monde, à Bhénak...

— Tu sais bien ce que je veux dire ! C’était déjà lui, à l’époque où tu venais nous rendre visite ?

— Je n’étais pas encore son assistante, mais, oui.

— Et pourquoi tu ne nous l’as pas dit ?!

— Justement pour ça… ! répliqua-t-elle, dépitée.

 L’amitié de Pieric, offerte sans arrière-pensées et sans contreparties, était l’un des rares bons souvenirs de ces premiers temps à Bhénak. Sentir sa déception et sa méfiance la blessa profondément.

— Tu nous espionnais, c’est ça ?

— N’importe quoi ! s’exclama-t-elle, piquée au vif. Je venais d’arriver, j’étais seule, et perdue, et tu faisais partie des rares personnes gentilles avec moi ! C’est pour ça que je venais vous voir !

 Elle s’efforça au calme. Une telle explosion était indigne de l’Assistante du Seigé. Elle avait appris à se maîtriser mieux que ça ! L’ancienne Claire aurait sûrement eu les larmes aux yeux, mais aujourd’hui, elle ressentait plutôt de la colère. Et une intense déception.

 Le Seigé avait eu raison, en fin de compte !

 Le grand garçon aux cheveux noirs la fixa, toujours suspicieux, mais elle sentit qu’il était ébranlé.

— Vraiment ? hésita-t-il.

— Vraiment ! répliqua-t-elle sèchement en levant les yeux vers lui. Et tu savais parfaitement que j’étais au service de quelqu’un d’important, au Secteur B ! Je ne t’ai juste jamais dit qui c’était.

 Il secoua la tête.

— Comment j’aurais pu deviner ?

— Et qu’est-ce que ça change, maintenant ?

 Il leva les yeux au ciel.

— Quelques petites choses, quand même !

 Soudain, il sourit, et elle retrouva quelques traces de l’ancien Pieric, celui qui lui avait dit la considérer comme sa petite sœur.

— Assistante du Seigé ! Je comprends mieux pourquoi tu étais terrifiée par ton patron !

 Malgré elle, elle sourit elle aussi, alors qu’il poursuivait :

— On m’avait bien raconté qu’il avait une assistante, maintenant, mais jamais je n’aurais imaginé… Incroyable !

 Il secoua la tête, la regardant comme s’il la voyait pour la première fois. Elle sentit toutes les questions qu’il n’osait pas poser, qu’il n’oserait plus poser. Plus maintenant qu’il connaissait son rang, qu’il savait à qui elle rendait compte.

Je n’ai pas changé ! eut-elle eu envie de hurler. Je suis toujours la même petite jayn que tu avais pris en amitié !

 Mais c’était faux, bien sûr. Elle avait changé, et bien plus que Pieric ne le saurait jamais.

 Un silence gêné suivit alors.

— Comment vont Roman et les autres ? demanda-t-elle, essayant de le mettre à l’aise.

— Ça va, ça va, répondit-il. Onery est rentré dans son clan il y a quelques temps, et Roman va être grand-père pour la dix-septième fois – non, dix-huitième, je m’y perds toujours avec les familles Yllus.

— Oh. Top ! Tu lui apporteras mes félicitations, alors, sourit-elle.

 Elle se rappelait très bien Roman, le petit Yllus, dont elle devait constamment se retenir de caresser la courte fourrure brune. Il avait toujours été extrêmement gentil avec elle.

— Tu pourrais lui apporter toi-même, proposa alors le technicien d’un ton hésitant. Enfin, si tes nouvelles fonctions te le permettent.

 Elle se mordit les lèvres. Elle aurait tant aimé revoir toute l’équipe ! Mais la réaction de Pieric l’avait blessée, bien plus qu’elle ne voulait l’admettre.

— Pourquoi pas… ? temporisa-t-elle. Vous êtes affectés à quel endroit ?

— Pont E, maintenance générale des chasseurs.

— Je vais bientôt prendre mon service, et je ne sais pas si j’aurais le temps d’ici que nous arrivions sur Carialis, mais au retour, avec plaisir.

 Pieric hocha la tête.

— Super. Tu nous raconteras, alors. Enfin, ce que tu peux nous raconter, bien sûr. Bon… faut que j’y aille…

 Elle hocha la tête en retour, gênée. Tout était dit, et il n’y avait, malheureusement, pas grand-chose à ajouter. Le grand technicien esquissa une accolade, qu’il transforma en salut hésitant. Elle le lui rendit, le cœur lourd.

 Il se détourna alors, et bientôt, elle se retrouva seule dans la coursive, écoutant le bruit de ses pas décroître, au rythme de leur ancienne amitié.

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