Chapitre 60 - Giles
Le cerveau fonctionnant à toute vitesse, Claire leva lentement les mains et évalua ses options. L'assommer, tenter de voler le vaisseau ? Un cargo comme l’Œil du Cyclone nécessitait deux pilotes à la manoeuvre. Essayer d'en emprunter un autre, plus petit ? Étant donné le monde dans le hangar, impossible de se faufiler sans être vue. D'autant plus qu'elle se sentait faible, comme bizarrement étourdie.
Il valait mieux qu’elle garde sa couverture. Après tout, elle n’était qu’une étudiante inoffensive, une pauvre petite jayn ! Elle n’intéresserait certainement pas les Libertans !
— Je vous en prie, supplia-t-elle avec un air effrayé pas très difficile à simuler, ne me faites pas de mal !
— Qu’est-ce que tu fiches ici ? tonna le pilote en la prenant rudement par le bras. Pourquoi tu n’es pas dans ta cabine ?
— J’ai entendu que les moteurs étaient arrêtés ! protesta-t-elle d’une voix mal assurée. Ça m’a inquiétée, c’est tout ! Je vous en prie, répéta-t-elle, ne me faites pas de mal ! Je n’ai rien fait !
— Comment… commença-t-il.
Puis il se mit à hurler :
— Rad ! Ramène-toi ici ! Dépêche !
Elle entendit grommeler en contrebas, et bientôt la tête d’Erad apparut au somment du puits antigrav, au bout du couloir.
— Ça va, ça va ! Qu’est-ce qui te pr… - il s’arrêta - Qu’est-ce qu’elle fait là ?
— C’est à toi que je pose la question ! Tu n’étais pas censé la boucler dans sa cabine ?
— Mais je l’ai fait, je t’assure ! Et elle dormait comme un bébé, j’ai vérifié ! Normal, après la dose que Jissée lui avait mis !
Ils lui avaient donné un somnifère ! Voilà qui expliquait qu’elle ne se sentît pas en grande forme ! Mais ils ignoraient qu’elle n’avait pas gardé son dîner longtemps. L’effet avait donc été bien moindre que prévu !
Elle resta stoïque pendant que Giles la fouillait.
— J’ai été malade, expliqua-t-elle. Je le suis toujours quand je voyage…
— Écoute, Giles, je te jure que je l’ai enfermée ! se défendit Erad en se hissant hors du puits.
— Je te crois, dit finalement le pilote en se relevant. Et je crois qu’on a un problème. Va prévenir la Sécurité !
— Tu es sûr ? hésita le mécanicien. C’est qu’une jayn, enfin ! Je ne pense pas que ça vaille la peine de faire tant d’histoires…
Giles agita le contrepass qu’il venait de trouver, l’air mauvais, tandis qu’elle sentait une boule glacée se former dans son estomac.
— Crois-moi, va prévenir la Sécurité, vite ! On a un os…
L’autre écarquilla les yeux en reconnaissant l’objet et, jetant un regard incrédule à Claire, sauta dans le puits.
— Tu peux m’expliquer d’où tu tiens ça ?
— C’est mon copain qui me l’a donné, improvisa-t-elle en se maudissant. Il m’a dit qu’on ne sait jamais, par les temps qui courent…
— Ben tiens ! C’est un militaire, ton copain ?
— Ben oui, pour ses Trois Ans…
Les « Trois Ans » était le nom donné au service militaire. Officiellement facultatif, dans les faits il se révélait obligatoire pour toute personne souhaitant devenir Citoyen, et obtenir tous les droits afférents. Il durait trois années standard, et fournissait la majeure partie des troupes actives de la République.
— Et tu vas me dire que Kivilis laisse partir ses conscrits en permission avec ce genre de joujou ? Tu me prends pour qui ?
— Mais j’en sais rien, moi, protesta-t-elle. C’est ce qu’il m’a dit ! Il était inquiet pour moi, comme je devais voyager seule, alors…
— Bien sûr…
Quelques instants plus tard, un homme de grande taille, au visage sévère et avec ce qui ressemblait à des galons d’officier sur l’épaule – comme de nombreux groupuscules armés, le mouvement terroriste semblait avoir repris la plupart des grades de l’armée officielle - débarqua dans l’étroit couloir. Il était accompagné de deux soldats. Le pilote du cargo leva les yeux au ciel, comme s’il reconnaissait le nouvel arrivant, et serra le bras de Claire encore plus fort.
— Quel est le problème, DeVignes ? demanda l’officier avec impatience.
— Il est là, mon problème, jeta Giles en poussant Claire devant lui, lui enserrant toujours solidement le bras. La jayn dont Jissée vous a parlé ! Je l’ai surprise à fouiner dans le vaisseau. Elle se trimbalait avec ce genre de matos, ajouta-t-il en lui montrant le contrepass. Et elle a parfaitement compris où elle se trouvait, je peux vous dire ! Quelle idée, aussi, cette histoire d’emblème ! Vous devriez vous rendre encore plus visibles ! Pourquoi pas de la pub sur l’HoloRéseau, tant que vous y êtes ?
— Je croyais que vous l’aviez enfermée ? siffla l’autre, non sans lui jeter un regard agacé.
— Vous écoutez quand je vous parle ? répliqua le pilote en agitant la petite carte de métal. Elle avait un contrepass sur elle !
L’homme lança un regard noir au contrebandier, puis à elle. Il claqua des doigts d’un mouvement impérieux pour récupérer l’objet. À son rictus, le pilote de l’Œil du Cyclone aurait préféré se couper la main plutôt que lui donner la carte, mais il se contenta de sourire avec ironie en la tendant – avec un geste exagérement lent - à l’officier. Ce dernier examina brièvement le contrepass, haussa un sourcil, puis jeta un œil scrutateur vers la jeune fille.
— Bon. On va s’en charger.
— Quoi ?! protesta-t-elle. Mais je vous assure, c’est une erreur ! Je n’ai rien fait de mal !
Non, non, non ! C’est pas possible ! Je peux pas tomber aux mains des Libertans, comme ça, à mon premier voyage ! Et sans même m’être défendue !
— Eh bien, si c’est une erreur, on le saura vite, répliqua l’homme en faisant signe au soldat derrière lui de sortir ses menottes.
Elle se tendit, examinant rapidement ses options. Ils étaient quatre, tous armés. Elle pouvait peut-être s’en défaire, mais pour aller où ? Piloter le cargo ? Impossible, elle s'écraserait avant même de sortir de la soute !
Non, sa seule chance était de ne pas griller sa couverture.
— Je vous en prie, monsieur, implora-t-elle encore, alors qu’on lui passait les menottes. Je suis étudiante ! Je n’ai rien à voir avec tout ça ! Laissez-moi repartir ! Je vous promets que je ne dirai rien !
Giles laissa échapper un ricanement, et elle lui jeta un regard noir. S’il ne l’avait pas surprise…
— Un commentaire ? cingla l’officier en regardant le jeune homme.
— Oh, je laisse les pros s’en occuper, fit le pilote en haussant les épaules. Moi, je ne suis que livreur…
— Un de ces jours, DeVignes, vous irez trop loin, grinça le Libertan, sans dissimuler son aversion.
Giles haussa les épaules avec nonchalance.
— Vous savez ce que c’est… railla-t-il. On s’habitue vite à être de la mauvaise graine !
L’autre ne prit pas la peine de répondre. Impuissante, la jeune fille fut promptement menottée puis conduite dans le puits antigravité.
Quand ils sortirent dans le hangar, Jissée se précipita vers eux, les poings sur les hanches.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
— Ce n’est plus de votre ressort, Capitaine Murobin, répondit l’officier d’un ton sec. Continuez votre déchargement, nous nous occupons du reste.
La petite femme en resta un moment bouche bée. Puis elle courut à leur suite.
— Eh ! Mais c’est qu’une jayn !
— Nous ne prenons aucun risque, répliqua l’autre sans s’arrêter de marcher. Allez, circulez ! Ce ne sont plus vos affaires !
Claire lança un regard éploré à la navigatrice. Elle n’eut pas à se forcer pour avoir l’air terrorisée. Désormais, elle ne jouait plus ! Elle n’était plus dans l’enceinte rassurante de Bhénak, avec l’ombre imposante de Leftarm pour la protéger. C’était même tout le contraire !
Jissée secoua la tête, l’air de ne pas y croire, et lui adressa un sourire d’encouragement, même s’il n’était pas très optimiste.
Puis ils passèrent une porte, et la Capitaine de l’Œil du Cyclone disparut à sa vue.
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