Chapitre 61 - Prisonnière !

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Je ne peux pas rester ici !

 Claire tournait comme un ours en cage. Comment avait-elle pu en arriver là ? Depuis deux jours, elle enchaînait interrogatoire sur interrogatoire . Elle commençait à ne plus tenir en place, malgré tous ses efforts pour se calmer.

 De tous les groupes de terroristes, armées privées, groupuscules et organisations criminelles qui fourmillaient dans la galaxie, il avait fallu qu’elle tombe entre les mains des plus dangereux, et ceux qu’elle avait le plus de raisons de honnir !

 Pour l'instant, elle n’était pas maltraitée. Ils en étaient à la première phase, mise sous pression et désorientation. Mais elle ne se faisait pas d’illusions. Bien que les Libertans qui l’interrogeaient se soient montrés plutôt polis jusqu'à présent, il s’agissait de professionnels, elle ne s’y trompait pas. Elle imaginait très bien ce qu’ils étaient capables de lui faire subir, si jamais ils découvraient, ou même seulement suspectaient, la vérité à son sujet !

 Heureusement, elle avait été formée, au Centre, à résister aux interrogatoires de base. Et Leftarm l’avait quelquefois conviée à des « séances » dans les sous-sols de Bhénak. Elle reconnaissait sans peine la méthode, courtoise – pour le moment - mais inlassable.

 Elle pouvait tenir, mais combien de temps ?

 Le plus dur était qu’elle avait conscience de s’être conduite comme une idiote, là-bas, sur l’Œil du Cyclone. Pourquoi était-elle donc sortie de sa cabine ?

Si j’avais réfléchi deux minutes, j’aurais compris que je ne m’étais pas trahie ! Que je n’étais pas enfermée par rapport à quelque chose que j’avais fait ! Ils auraient fait leur livraison, et, m’auraient libérée juste après, en disant peut-être que c’était un problème sur la porte… Et à l’heure qu’il est, je serais sur Kivilis !

 Elle avait paniqué, oubliant tout ce qu’elle avait appris, juste parce qu’elle était terrorisée à l’idée d’arriver en retard au Mont Miroir.

 C’est réussi !

 Elle savait résister à un interrogatoire classique, certes, mais elle avait bien du mal à justifier le contrepass et les autres petits accessoires de son bagage. L’excuse du copain était plausible, difficilement vérifiable, mais elle avait le sentiment que certains – enfin, surtout l’officier qui l’avait arrêtée, et dont elle ne connaissait toujours pas le nom – ne la croyaient pas.

 Elle s’en tenait à sa ligne de conduite, jouant à merveille l’étudiante apeurée, mais combien de temps cela durerait-il ? Son identité avait jusqu'à présent résisté à toutes les vérifications, mais là aussi, le temps jouait contre elle.

S’ils découvrent la vérité, je ne donne pas cher de ma vie !

 Même si elle continuait à faire illusion, elle comprenait qu’elle avait peu de chance de retrouver sa liberté.

J'aurais dû tout tenter. Prendre Giles en otage, et l'obliger à piloter le cargo avec moi ! Tout, plutôt que me retrouver là !

 Comme tout un chacun sur Kivilis, elle avait vu les holoactus. Elle avait également visionné les rapports expliquant comment ces groupes criminels tiraient une partie de leurs ressources de la vente de prisonniers à des marchands d’esclaves. Les captifs étaient expédiés dans les mines de contrebande, et nul n’entendait plus jamais parler d’eux, sauf quand Kivilis arrivait à démanteler les réseaux. Mais le Quadrant était tellement vaste qu’il était facile de monter une exploitation au détour d’une planète de quatrième catégorie, sans que personne ne vienne voir ce qui se passait en plusieurs générations.

 Parfois, ces malheureux étaient libérés contre de fortes rançons, mais la plupart du temps, s’ils n’étaient pas directement réduits en esclavage, ils étaient utilisés comme otages, ou comme boucliers vivants pour protéger des sites stratégiques pour les terroristes, tels que des chantiers navals ou des bases d’approvisionnement. Les holojournaux relataient parfois ce genre d’exactions, qui soulevaient immanquablement l’émoi des foules qui réclamaient alors des sanctions exemplaires. Mais ces organisations criminelles étaient insaisissables, et il était rare d’arriver à traduire leurs membres en justice : la plupart du temps, ils étaient tellement fanatisés qu’il était difficile de les prendre vivants.

 Avait-elle subi l’entraînement de Leftarm pour terminer ainsi ? Devait-elle prendre le risque de laisser les interrogatoires se poursuivre, avec la possibilité qu’elle finisse par se trahir ? Devait-elle attendre de faire partie du prochain contingent de prisonniers expédiés vers les mines, ou pire ?

 D’un autre côté, si elle parvenait à s’échapper, là, maintenant : elle n’aurait pas beaucoup d’informations, certes, mais tous les renseignements qu’elle pourrait rapporter au Seigé seraient de valeur. Surtout, ils lui prouveraient sa valeur, à elle !

 Car elle préférait ne pas penser à l’éventualité qu’elle se trahisse. Si elle n’était pas exécutée sur le champ, si une rançon était demandée, le Seigé accepterait-il de payer ?

Est-ce que je veux vraiment connaître la réponse à cette question ?

 Elle devait donc s’évader. À tout prix !

 Sa décision prise, elle commença ses préparatifs. Il allait lui falloir du temps. Et de la concentration, beaucoup, bien plus que d’ordinaire. Ce qu’elle allait tenter, elle n’avait encore jamais osé le faire. Elle n’aurait pas le droit à l’échec.

 Un soldat venait de lui apporter son repas. Selon le cycle arbitraire de la station spatiale, ou du navire - le bref trajet entre la soute et sa cellule ne lui avait pas permis de déterminer exactement sur quel type de bâtiment elle était retenue, si ce n’est qu’il semblait très grand - c’était donc le soir, juste après la relève de la garde. Cela signifiait qu’elle avait un long moment devant elle – sauf en cas d’interrogatoire impromptu, comme cela arrivait parfois. Mais elle n’avait d’autre choix que de courir le risque.

 Elle s’allongea sur le lit et ferma les yeux, cherchant à toucher son poeïr. Il était là, au fond d’elle, prêt à répondre, si seulement elle arrivait à le solliciter correctement.

 Elle tâtonna quelques minutes, mais il se défilait sans cesse. S’efforçant au calme, elle essaya de visualiser ce qu’il y avait derrière les ombres mouvantes qui apparaissent lorsque l’on ferme les paupières. La tâche était ardue, comme toujours. Soudain…

…ça y est !

 À chaque fois, il était difficile de se représenter en mots ce qu’elle éprouvait quand elle parvenait à prendre pleinement contrôle de son pouvoir. C’était comme utiliser ses cinq sens tous à la fois, et plus encore. Elle avait l’habitude d’utiliser quotidiennement le poeïr à un moindre niveau, une simple extension de ses sens qui lui était devenue si familière qu’il lui arrivait de l’oublier, mais ce qu’elle se proposait de faire ici était sensiblement plus compliqué et nécessitait un investissement bien plus profond.

 Les yeux clos, elle visualisa la pièce. Le lit étroit, la table, le cube sanitaire derrière son paravent. Comme elle l’avait déjà remarqué, il n’y avait pas la moindre caméra de sécurité dans la cellule. Elle n’en avait détecté qu’une, dans la salle d’interrogatoire située au bout du couloir. Soigneusement dissimulée, mais grâce à sa formation au Centre, elle n’avait pas été longue à la repérer.

 Mais il n’y en avait pas dans cette pièce. C’était assez surprenant. De toute évidence, il ne s’agissait pas de cellules à l’origine. Quelle qu’ait été la fonction première du bâtiment sur lequel elle se trouvait, ce n’était pas un vaisseau de guerre.

 Elle élargit ses perceptions, petit à petit. Régulièrement, elle perdait son emprise, et devait tout recommencer. Avec obstination, elle se concentra, persista. Peu à peu, le monde à proximité immédiate se révéla. Le couloir, d’autres cellules – vides -, un garde, d’autres couloirs, un réfectoire bondé, des dortoirs…

 Elle faillit renoncer. Jamais encore elle n’avait fait d’exploration mentale à si grande échelle, même lors de ses entraînements avec le Seigé. Et cet endroit semblait tellement immense ! Mais elle s’accrocha, voletant de conscience en conscience. Et les pensées diffuses tout autour d’elle lui confirmèrent sa première impression : il y avait beaucoup de monde, et le niveau de vigilance général était faible. Elle avait donc une chance de passer inaperçue, à condition de donner l’impression qu’elle savait où elle allait !

 Elle rouvrit les yeux, réintégrant brusquement son corps en tremblant. Cette exploration à grande échelle l’avait épuisée, et pourtant, le plus dur restait à venir. Elle grignota le biscuit qu’elle avait gardé de son dernier repas, en prévision de la faim enqu’elle éprouvait toujours après avoir utilisé son pouvoir, but son reste d’eau – comme partout, l’eau était rationnée – et prit un peu de repos.

 Son horloge interne la réveilla deux heures plus tard. Les terroristes lui avait bien évidemment pris toutes ses affaires, y compris son chronomètre, mais elle avait heureusement appris, au Centre et avec Leftarm, à programmer son cerveau pour dormir par tranches. Elle émergea avec difficulté, mais ne pouvait pas se permettre de retarder plus longtemps la suite de son plan. Sans quoi, elle ne disposerait pas de suffisamment de temps avant la prochaine relève, et son évasion serait découverte trop tôt.

 De nouveau, elle se concentra. Elle tendit cette fois ses pensées dans une seule direction, bien précise.

 Lentement, avec précaution,elle toucha l’esprit du garde. C’était, comme à chaque fois qu’elle avait tenté l’exercice, une sensation étrange, grisante mais assez déplaisante. Des pensées qui ne lui appartenaient pas voletaient autour d’elle, décousues, fragments de sons, d’images et d’impressions sans cohérence. Habituellement, elle n’allait pas plus loin, se contentant d’observer en silence pour essayer de trouver un sens. Là, la tâche s’avérait plus ardue, car elle devait prendre le contrôle.

 Elle ne l’avait fait qu’une seule fois, juste quelques secondes, lors de l’un de ses exercices avec le Seigé. Elle se rappelait encore la curieuse impression qu’elle avait éprouvée quand elle avait brièvement investi l’esprit de l’un des employés du Secteur A, occupé à faire le ménage dans l’antichambre du Grand Bureau. Sous la houlette de Leftarm, elle avait arrêté le geste de l’homme qui s’apprêtait à démarrer son autolaveuse, lui laissant la main en l’air, comme suspendue. Luttant contre la volonté inconsciente de sa victime, elle avait tenté de lui faire appuyer sur un autre bouton… puis avait perdu le contrôle.

 Là-bas, de l’autre côté de la porte, elle avait entendu un bref hoquet. Puis l’autolaveuse avait démarré, comme si de rien n’était.

Il ne faut pas contrôler, il faut inciter, avait commenté Leftarm. L’esprit doit croire que la suggestion vient de lui.

 Elle s’était tendue, prête à projeter son esprit de nouveau, malgré la fatigue, mais le Seigé, assis en face d’elle, avait alors brièvement secoué la tête.

Non. Si tu recommences si vite, il se doutera de quelque chose. L’esprit ne peut être pris que par surprise, à moins de conjuguer maîtrise et puissance, ce qui n’est pas encore ton cas.

 Claire avait soupiré, soulagée. Elle n’avait pas du tout aimé l'expérience, et craint de blesser sa cible. Elle se sentait épuisée.

Nous poursuivrons cet exercice un autre jour, avait ajouté Leftarm. Tu n’es pas encore prête.

 Mais le jour suivant, il était parti hors-planète, et à son retour, il lui avait annoncé leur départ pour Carialis.

 Eh bien, maintenant, elle n’avait plus le choix. Mettant de côté ses doutes et ses scrupules, elle se concentra, plus intensément qu’elle ne l’avait encore jamais fait.

Là. Doucement…

 Il fallait qu’elle devienne l’esprit du garde. Qu’elle l’imprègne, qu’elle le recouvre.

 Voilà… comme ça…

 Elle sentit comme un déclic. Elle reconnaissait les sensations, mais cette fois, comme elle savait à quoi s’attendre, elle resta concentrée, puis lança doucement ses suggestions.

 Victoire ! Le garde se leva, comme un automate, et se dirigea vers le couloir des cellules. Heureusement, il était seul, et son départ passa inaperçu. L’esprit tendu, elle l’incita à remonter le couloir, puis à ouvrir sa porte. Elle transpirait à grosses gouttes, attentive à ne pas perdre son emprise.

 Maintenant, le plus difficile… elle allait devoir gérer ses propres mouvements, en plus de l’esprit du garde… S’interdisant tout doute, elle ouvrit les yeux, et se leva. Se faisant, elle perdit un instant sa concentration. Soudain, l’homme cligna des yeux – il était jeune, pas plus de vingt ans, avec déjà un léger embonpoint, et paraissait inoffensif – vite, elle allait le perdre !

 Elle laissa le poeïr l’envahir… la perplexité qui avait commencé à envahir l’esprit de l’autre s’évanouit brusquement. Elle lui suggéra mentalement de retirer sa combinaison, de s’allonger sur sa couchette et de faire un petit somme. Il s’exécuta comme un somnambule et, quand elle quitta la pièce, après avoir revêtu son uniforme, il dormait profondément.

 La porte se referma derrière elle. Toujours concentrée, elle sonda un instant les alentours, mais nul n’avait remarqué que le gardien n’était plus à son poste. Alors, seulement, elle relâcha son esprit.

 Un brusque vertige la saisit, à un point tel qu’elle dut s’appuyer contre le mur. Jamais auparavant elle n’avait encore utilisé ses pouvoirs avec tant d’intensité, même lors de ses entraînements. Sauf peut-être ce fameux jour, sur la Station G-DAI, lorsqu’il lui avait semblé ne faire qu’un avec l’univers.

 Elle avait réussi ! L’exaltation qu’elle ressentait était presque aussi forte que sa fatigue, presque aussi forte que ses scrupules. Elle ne pouvait pas dire qu’elle était spécialement fière d’avoir dû imposer sa volonté au garde – cette facette de son pouvoir la mettait, décidément, très mal à l’aise - mais elle ne voyait pas d’autre solution pour sortir d’ici. Après tout, elle ne l’avait pas blessé, il allait juste dormir un peu !

Et il n'avait qu'à ne pas choisir le mauvais camp !

 Une fois remise, elle inspira un grand coup et rassembla tout son courage. L’uniforme – une combinaison auto-ajustable toute simple, sans signe distinctif ni indication de grade - s’était adapté à son corps en quelques secondes, et elle espérait que personne ne verrait qu’elle n’avait pas tout à fait les chaussures réglementaires.

À partir de maintenant, on y va au bluff !

 Son plan était simple. Risqué, sans aucun doute, mais elle ne voyait pas d'autre option. Elle devait trouver les hangars. Ensuite, soit dénicher un vaisseau sur lequel embarquer clandestinement, soit en voler un et le piloter elle-même.

 Ne pense pas à tout ce qui peut ne pas marcher… C’est comme lors des entraînements. Comme au Hangar Trois. Tu en es capable !

 Elle était loin, la lycéenne qui avait posé le pied sur Kivilis un an et demi plus tôt, cette fille qui osait rarement lever le doigt en classe et qui rougissait à la moindre occasion. Cette Claire-là, le Seigé l’avait fait disparaître, et Claire ne la regrettait pas vraiment, même si elle pensait parfois encore à elle avec nostalgie.

 Elle avait découvert qu’elle renfermait en elle beaucoup de colère, beaucoup de frustration. Leftarm l’avait aidée à les canaliser, à en faire une force. Loin des clichés sur un quelconque « Côté Obscur » - bien que le Seigé l’ait avertie qu’elle devait se garder d’une vie uniquement basée sur la colère, sans le moindre contrôle - la colère lui donnait ce surplus d’assurance qui lui manquait encore.

 C’était bien ce dont elle avait besoin, ici. Dans cet endroit rempli de criminels qui ne demandaient qu’à renverser le gouvernement en place pour exercer leur propre tyrannie, en cachant cela sous le doux nom de libération, elle n’avait aucun doute sur son bon droit. Les Libertans étaient des hypocrites, avides de pouvoir, et dangereux. Elle devait user de tous les moyens à sa disposition pour leur échapper, et elle n’avait à éprouver ni scrupules, ni remords !

 Serrant les dents, elle quitta le quartier des cellules.

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