Chapitre 65 - Une révélation
Claire attendait, les yeux baissés, le cœur serré, épouvantée. Leftarm déambulait avec fureur devant elle, sa longue cape comme animée d’une vie propre, se nourrissant de la violence de sa colère. Pétrifiée, elle n’osait faire un geste. Jamais elle ne l’avait vu ainsi, lui, toujours si maître de ses réactions. Aussi, quand il la frappa, fut-elle incapable de se protéger. Elle tomba par terre, tandis que le Seigé continuait sur sa lancée, d’un ton cinglant, méprisant :
— J’ai vraiment l’impression d’avoir perdu mon temps avec toi… Tu n’es qu’une idiote ! Comment as-tu pu te laisser avoir comme ça !?
Le pire, c’est qu’il avait raison ! Comment avait-elle pu ne pas voir que le jeune homme avait repris conscience et rampait, millimètre après millimètre, en direction du pistolaser de Giles, alors qu’elle se battait avec le pilote de l’Œil du Cyclone ? Le rayon paralysant, réglé sur « assommer », l’avait atteinte dans le dos, comme une débutante !
Elle tenta de se relever, pour se justifier, et ce mouvement la réveilla. Elle se dressa sur sa couche, hagarde, et soupira de soulagement en constatant que ce n’avait été qu’un rêve.
Un rêve, oui, mais il lui avait paru si réel qu’elle avait l’impression de sentir encore sur sa joue la morsure du coup que lui avait asséné le Seigé !
Elle leva la main vers son visage, hésitante, s’attendant presque à la retirer couverte de sang. Elle avait la bouche pâteuse, les idées embrumées, comme si elle avait été droguée. Soudain, elle se figea, sentant une présence étrangère dans la pièce. Une pièce qui, de plus, lui était totalement inconnue.
Il était assis sur une chaise près de la porte, et il la regardait sans mot dire. En voyant ce jeune homme aux yeux si graves, le responsable de ce fiasco, la mémoire lui revint immédiatement.
Ce n’était pas un simple cauchemar, en fin de compte !
Où était-elle ? À voir le style austère et dénudé de la pièce, et le mobilier solidement fixé au sol, elle se trouvait cette fois dans une cellule hautement plus sécurisée que la précédente. Les Libertans avaient appris la leçon !
Et que faisait-il ici, lui ? Ce fichu gamin à cause de qui tout avait mal tourné ? Son indignation, aussi violente qu’enragée, fut immédiate, et elle retint à grand-peine une envie de lui sauter à la gorge.
Elle se raidit, tous ses muscles tendus en un réflexe animal, irraisonné. Elle lutta pour garder son contrôle, consciente que cela ne lui servirait à rien. Pas maintenant, pas tout de suite.
Il n’avait pas bougé, pourtant, il ne pouvait avoir manqué de remarquer la violence de sa réaction. Elle le fixa avec colère, espérant lui faire baisser les yeux. Mais il ne cilla pas et lui renvoya son regard sans faiblir.
Au bout d’un moment, alors qu’elle commençait à se sentir ridicule - mais pas question d’abandonner ! - il murmura :
— On peut continuer ce petit jeu encore longtemps, vous savez…
Cela eut pour effet de raviver sa colère. Pour qui se prenait-il ?
— Qu’est-ce que vous faites ici ?!
— C’est précisément la question que je voudrais vous poser, jayn Monestier.
Elle haussa les épaules. S’il croyait la vexer ou l'impressionner en utilisant ce terme, il se trompait lourdement. D'autant plus qu'il n'était guère plus âgé qu'elle !
— Si vous connaissez mon nom, alors vous savez le reste ! Je n’ai pas arrêté de le dire à ces types qui m’ont interrogée !
— Je sais ce que vous avez dit, admit-il d’une voix calme. Mais ce que j’aimerais savoir, c’est la vérité.
— C’est la vérité, répliqua-t-elle avec aplomb.
— C’est ça. Et moi, je suis Seigé Leftarm.
Elle parvint à rester impassible, mais son cœur se serra d'un coup. Il l’observait attentivement, mais elle n’aurait su dire s’il avait dit cela à dessein, ou si c’était juste une boutade ici, du genre : et moi, je suis la Reine d’Angleterre !
Avaient-ils craqué son identité, finalement ? Ou avaient-ils compris ce qui s’était passé quand elle avait, si brièvement, retrouvé son pouvoir, juste avant d’être abattue ? Non, c’était très improbable… tout était allé si vite, ils ne pouvaient pas avoir remarqué… et même, comment auraient-ils fait le lien avec le Seigé ?
Mais il avait réussi à lui mettre le doute. Et les paroles suivantes ne la rassurèrent pas.
— Vous êtes démasquée, vous savez.
Elle ne put s’empêcher de tressaillir, ce qui la mit encore plus en colère, et contre le jeune homme, et contre elle-même !
Il suffit que le nom de Leftarm vienne dans la conversation pour que je commence à perdre le contrôle !
Mais elle se reprit aussitôt. Techniques d’interrogatoire classiques, se répéta-t-elle.
Il veut m’impressionner, rien de plus ! Je ne vais pas me laisser avoir si facilement, qu’est-ce qu’il croit ?
— Nous étions prêts à croire votre histoire et à vous laisser repartir, continua-t-il. Si vous ne vous étiez pas trahie, à l’heure qu’il est vous seriez dans un vaisseau à destination d’une planète d’où vous auriez pu rejoindre Kivilis.
Elle eut un reniflement dédaigneux :
— Et vous voudriez que j’avale ça ?
— C’est la vérité, affirma-t-il d’un ton calme.
Elle haussa un sourcil sarcastique. Il pensait vraiment qu’il allait lui faire croire une chose pareille ?
Pourtant, il y avait quand même quelque chose d’étrange. Elle n’arrivait pas à sentir la duplicité en lui. Sans doute était-ce une séquelle de son utilisation intensive du poeïr, lors de son évasion manquée : elle n’avait pas encore retrouvé toutes ses capacités.
Elle devait lui accorder une chose : il était très bon menteur. Il arrivait à paraître parfaitement convaincu de ce qu’il disait.
Raison supplémentaire de ne pas lui accorder la moindre confiance !
Elle savait qu’il mentait. Elle avait vu les holoactus, même si elle était bien placée pour savoir qu’elles n’étaient pas forcément fiables. Elle avait lu des rapports. Elle était prisonnière d’un groupe de terroristes qui ne relâchaient jamais les civils tombés entre leurs mains - à moins d’une forte rançon. Alors il pouvait bien lui raconter ce qu’il voulait, elle ne tomberait pas aussi facilement dans le panneau.
Non, ce garçon qui avait encore l’air d’un gamin, n’étaient ses yeux, si pensifs et sages, mentait. Il mentait extrêmement bien, mais il mentait, tout simplement.
Il essaie juste de m’embrouiller !
Le Seigé lui avait dit un jour que souvent, les groupes comme les Libertans faisaient subir un véritable lavage de cerveau à leurs recrues. Des plus efficaces, si elle en jugeait par l’ampleur qu'avait pris ce mouvement. Mais si c’était ainsi qu’ils s’y prenaient, Claire ne comprenaient pas comment ils pouvaient y arriver.
C’est tellement gros, sérieux ! Ils croient vraiment que j’aurais marché ?
— Moi, j’ai dit la vérité, contra-t-elle avec aplomb. Je n’ai rien à voir avec vous ! Je ne savais pas que l’Œil du Cyclone était un vaisseau terror… Libertan ! Je devais seulement aller le plus rapidement possible sur Kivilis. C’est tout ! Et à cause de vous, j’ai raté mon exam, et j’ai sûrement perdu mon année !
Et vu comme j’ai tout fait tourner au désastre, je n’ose pas imaginer l’accueil de Leftarm et du Directeur à mon retour…si retour il y a.
Elle serra les dents. Elle trouverait bien le moyen de rentrer sur Kivilis, et elle rapporterait suffisamment d’informations au Seigé pour lui faire oublier ce fiasco !
— Pourquoi vous enfuir ? répliqua le jeune homme. Si vous étiez si inoffensive que ça, vous n’auriez pas essayé de me tuer ! De toute manière, vous l’aviez déjà raté, ce fameux examen ! Pourquoi prendre tant de risques ?
— Vous êtes des terroristes ! rétorqua-t-elle avec colère. Vous me retenez prisonnière ! Évidemment que j'ai essayé de m'échapper ! Je n’ai pas envie d’être utilisée comme otage, ou comme bouclier vivant, ou encore expédiée dans les mines !
Il la regarda et secoua la tête, offusqué.
— Des boucliers vivants ? Sérieusement ? Nous ne sommes pas des bouchers ! Vous ne devriez pas croire aussi aveuglément à la propagande de Kivilis, vous savez ! Non mais, répéta-t-il d’un air incrédule, arrivant à paraître à la fois furieux et choqué, est-ce que vous vous entendez ? Vous croyez vraiment que nous allons avaler que n’importe quelle banale étudiante aurait pu se débrouiller comme vous l’avez fait, là-bas, dans le hangar ? Sans parler du contrepass militaire !
— Mais je ne savais pas que c’était un objet illégal ! répliqua-t-elle vivement. C’est mon…
— Oui, vous nous l’avez déjà dit, la coupa-t-il, l’air de ne pas en croire un mot. On vous l’a donné, bien sûr. C’est tout à fait le genre de cadeau romantique qu’on offre à sa petite amie.
Elle resta impassible. Pourtant, là était le point faible de son argumentation. Elle avait fait une bourde monumentale ce jour-là, et elle n’avait aucune excuse. Comme Leftarm serait furieux si – quand – il l’apprendrait !
— Bien entendu, poursuivait le jeune homme, vous refusez de nous dire le nom de cet ami si prévoyant, pour ne pas le mettre en « danger ». Et pourtant, vous saviez parfaitement comment vous en servir ! Alors, s’il vous plaît, arrêtez de nous prendre pour des imbéciles…
Il se leva, et elle espéra ardemment qu’il allait la laisser seule. Il n’en fit rien. Au contraire, après une imperceptible hésitation, il se dirigea vers elle. Comme elle ne disait rien, se demandant ce qu’il avait derrière la tête, mais se tenant prête à tout, il s’assit à l’autre extrémité de la couchette. Elle recula vivement, aussi loin de lui qu’elle le pouvait. Il jeta un coup d’œil vers la porte, comme s’il craignait que quelqu’un n’entre. Puis il la regarda à nouveau et dit, sur le ton de la confidence :
— Tu sais, je suis ici à titre personnel. Les caméras sont désactivées. Quoi que tu puisses en penser, je ne suis pas ton ennemi…
Elle leva les yeux au ciel, trouvant le piège encore plus grossier que celui qu’il avait précédemment essayé.
Sérieux, il me prend vraiment pour une débile !
Mais bien sûr, eut-elle envie de répondre. Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu… Mais il n’aurait pas compris – personne ici ne pourrait jamais comprendre – et elle se contenta de hausser un sourcil.
Il rougit sous son regard sarcastique, ce qui fit ressortir le bleu qu’il avait à la mâchoire – séquelle de leur combat, de toute évidence. Ce faisant, il parut encore plus jeune. Pourtant, il ne baissa pas les yeux. Des yeux d'un brun chaud, piqueté de paillettes d'or, qu'elle avait déjà vus quelque part.
— Je sais très bien quand tu mens, continua-t-il. Et si mes présomptions sont exactes, tu as la possibilité d’en savoir autant à mon sujet.
Elle le fixa, tout d’abord sans comprendre. Et puis, soudain, tout s’éclaira, et elle put enfin mettre un nom sur certains des curieux sentiments qu’il avait suscités en elle.
Le poeïr… c'est pas vrai, lui aussi, il maîtrise le poeïr… !
Il y avait un Wardom chez les Libertans !
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