Chapitre 70 - Les faubourgs (1/2)

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 Sept jours de marche épuisante plus tard, la végétation finit par s'éclaircir. Enfin, ils approchaient de la civilisation !

 Ils débouchèrent bientôt sur un chemin, une vraie route pavée de grosses pierres translucides. Sur un signe de tête de Camyl, les yeux rivés sur son compas électronique, le petit groupe harassé commença à remonter la voie en direction du nord. La progression devint tout de suite plus aisée et rapide sur la chaussée qui allait en s’élargissant, mais sur laquelle ils ne croisèrent aucun véhicule. Les arbres étaient toujours aussi imposants, mais les alentours étaient dégagés de toute broussaille et soigneusement nettoyés.

 Puis les premières habitations apparurent, à demi dissimulées par la végétation. Blanches ou ocres, les maisons arboraient des formes organiques, irrégulières et sinueuses. Avec leurs fenêtres rondes, leurs dômes et leurs terrasses aux murets bas, elles se fondaient dans le relief vallonné, entourées de jardinets bien tenus et de plantes grimpantes aux teintes bleutées.

 Au-dessus d’eux, les arbres étendaient toujours leurs imposantes ramures. La route commença à serpenter entre les demeures de plus en plus nombreuses, séparées par des haies basses.

 C’était curieux, songea Claire. Exceptée la forme quelque peu psychédélique des maisons, formées principalement de dômes de toutes tailles collés les uns aux autres, cela ressemblait tout à fait à un quartier résidentiel banal. Il manquait les voitures garées dans les allées, les tondeuses à gazon et les piscines en plastique dans les jardins, mais sinon, jamais, depuis qu’elle était ici, Claire n’avait vu de paysage qui ne lui paraisse aussi familier. Plus de tours gigantesques, plus de stations spatiales. Simplement des maisons, et des jardins.

 C’était déroutant.

 Alors qu’elle observait le paysage autour d’eux, la jeune fille tentait d’ignorer Giles, qui lui broyait les doigts. Depuis qu’ils étaient sortis de la forêt, le pilote s’était entravé avec elle, afin de s’assurer qu’elle ne profiterait pas du retour à la civilisation pour leur fausser compagnie. Un observateur peu attentif penserait simplement voir un couple qui se tenait par la main, sans remarquer les menottes qui les reliaient, et Claire fulminait.

 Ces sept jours de marche avaient été particulièrement difficiles. Tous se ressentaient de leur atterrissage mouvementé, couverts de contusions et de courbatures. Leur progression avait été lente, dans une végétation dense au relief tourmenté. Entre Camyl, avec son poignet foulé, et elle, avec ses entraves, ils avaient avancé beaucoup moins vite que prévu.

 La plupart du temps, Giles ouvrait le chemin, une machette à la main, luttant contre des lianes épineuses particulièrement coriaces. Ensuite venait Camyl, étudiant son compas, puis Claire, soigneusement menottée – ce qui ne facilitait pas sa marche - et enfin Marc, qui fermait la marche, pistolaser pointé, tous ses sens aux aguets.

 Ils n’avaient heureusement pas rencontré de prédateurs ou de dangers particuliers, hormis un buisson aux fleurs rouges et bleues qui, effleuré par Giles le premier matin du voyage, lui avait valu une intense éruption, très douloureuse ! Cette dernière avait duré plusieurs heures et avait permis à Claire de découvrir qu’il pouvait jurer de manière très imagée et sans jamais se répéter. Ils avaient ensuite évité comme la peste les fameux buissons, par chance facilement repérables sur le vert bleuté uniforme de la forêt.

 Le reste du voyage s’était déroulé sans soucis particuliers, mais le terrain accidenté les avait forcés à de fréquents détours, pour contourner des ravines difficilement franchissables ou des pentes un peu trop abruptes.

 Claire ne l’aurait jamais avoué, bien sûr, mais elle n’en menait pas large dans cet environnement inhospitalier. Certes, la forêt était étonnamment semblable à ce qu’elle connaissait chez elle – sur les planètes de classe M, des espèces similaires aux hêtres, aux chênes et aux pins se retrouvaient fréquemment – mais elle n’osait imaginer ce qu’elle serait devenue si elle avait été seule, surtout la nuit ! Elle avait toujours été une citadine, et l’environnement ultra-protégé de Kivilis ne l’avait pas préparée, non plus, à vivre dans un milieu naturel et sauvage. Des insectes, des feulements lointains d’animaux, un bivouac inconfortable à même le sol, de l’humidité et du froid la nuit… l’aventure était loin d’être une sinécure, a fortiori en compagnie de personnes qui la retenaient prisonnière !

 Jamais leur vigilance ne s’était amoindrie durant ces sept jours. À vrai dire, si l’occasion de s’enfuir s’était présentée, Claire n’était pas sûre qu’elle l’aurait saisie, tant ces étendues boisées sauvages – totalement sauvages – l’avaient mise mal à l’aise, et même terrifiée ! Elle ne l’aurait jamais reconnu, mais elle était bien contente de ne pas s’être retrouvée toute seule dans cet environnement inconnu et passablement hostile. Sans équipement d’aucune sorte, elle n’aurait pas fait long feu dans la forêt. Rien, dans sa formation au Centre, ne l’avait préparée à ce genre d’expédition ! La nuit, en écoutant les bruits divers et en se recroquevillant dans sa couverture pour se protéger des bestioles, seule la colère qu’elle éprouvait envers ses geôliers – et sa fierté ! - l’avaient empêchée de pleurer de peur.

 Elle s’était consolée en se disant qu’il valait mieux attendre de sortir de la forêt, qu’elle aurait de meilleures chances en ville. Elle s’était dit que, dès qu’ils rejoindraient la civilisation, elle trouverait plus facilement l’occasion de leur fausser compagnie, même menottée.

 Mais, avec sa décision de s'entraver avec elle, Giles avait réduit ses espoirs à néant. Elle n'avait jamais apprécié le pilote, mais elle le haïssait désormais avec ferveur. S'il n'y avait pas eu Marc, elle aurait relâché le poeïr pour assommer son geôlier avant qu'il n'ait pu mettre son plan à exécution. Malheureusement, le jeune Wardom avait anticipé son attaque, la bloquant juste suffisamment longtemps pour que le contrebandier lui passe les menottes.

 Elle ressassait sans relâche depuis lors, sans trouver de solution.

 Le petit groupe continua sa marche, et atteignit bientôt une chaussée plus large, où les maisons se faisaient plus imposantes sous le couvert du feuillage bleu-vert omniprésent. La jeune fille observait autour d’elle avec curiosité, et pas seulement pour trouver un moyen de s’échapper. Mais ses chances seraient meilleures s’il y avait un peu plus de monde autour d’eux. Or, ce n’était pas le cas.

 L’endroit était calme. Très calme. À la réflexion d’ailleurs, trop calme. Hormis les oiseaux, ils n'avaient jusqu'à présent pas croisé âme qui vive. Ce fut Camyl qui, quelques minutes plus tard, en fit la réflexion à haute voix.

— Je n’aime pas du tout ça, ajouta-t-elle en observant d’un air méfiant les fenêtres autour d’eux.

 Pas de cris d’enfants. Pas d’aboiements d’animaux. Pas de voisins qui discutaient par-dessus les haies. Çà et là, ils aperçurent bien un ou deux robots-jardiniers, mais ce genre d’appareil était de programmation trop primaire pour pouvoir les renseigner.

— On est en plein milieu de la matinée, remarqua Giles. Ils sont tous au boulot...

— C’est possible, admit-elle à contrecœur. Mais quand même…

 Elle se tourna vers Marc, quêtant une suggestion. Mais ce dernier haussa les épaules, ne pouvant lui fournir une meilleure réponse.

 Puis même les arbres finirent par s’éclaircir. Apercevant à nouveau le bleu un peu trop pâle du ciel, Claire sentit un poids se soulever de sa poitrine. Elle ignorait si les autres ressentaient la même chose, et s'en moquait, mais elle avait quant à elle l’impression de respirer plus facilement. Même tenue par la main.

 Le terrain commença à monter régulièrement, et le quartier changea. La route se mit à grimper le long d’une colline beaucoup plus raide que les autres, effectuant des virages étroits entre les maisons de plus en plus nombreuses. La plupart des habitations se retranchaient désormais derrière de hauts murs de pierre aux formes sinueuses. Des volées d’escaliers couraient entre les propriétés enclavées, pour rejoindre les virages supérieurs. Le soleil tapait fort, et ils furent bientôt tous en nage, regrettant l’ombre des arbres qui leur avait précédemment tant pesé.

 Camyl rabattit sa capuche devant son visage, cachant son nez et sa bouche derrière un foulard. La spatione supportait très mal les rayons du soleil, et même sous le couvert dense des arbres, elle s’était soigneusement protégée de toute lumière naturelle. Le jour, elle portait même des lunettes filtrantes, qui laissaient à peine deviner ses yeux derrière le plastique sombre des verres polarisants. Elle ne se plaignait jamais, mais la marche l’avait éprouvée, autant sinon davantage que ses compagnons Libertans.

 Claire se morigéna : il était hors de question qu’elle s’apitoie sur ses geôliers !

 Ils atteignirent enfin le sommet de la colline, débouchant après une dernière volée d’escaliers sur une place pavée et bordée d’arcades. Des boutiques, aux volets fermés, des distributeurs automatiques et des chaises vides en désordre longeaient les murs sous les arches. En face d’eux, l’esplanade se terminait en une vaste terrasse, qui s’ouvrait sur une large vallée, dans laquelle se nichait la ville.

 Une fontaine stylisée entourée d’arbres occupait le centre du parvis. Ils firent une pause bienvenue dans l’ombre des vastes ramures, au son de l’eau qui glougloutait dans les vasques munies d’antigrav. Les bulles d’eau dérivaient lentement au-dessus de la fontaine, avant de se rompre et de se précipiter dans les conques en dessous puis de remonter sous forme de jet et de reprendre leur ronde. Une fois que l’esprit avait admis la négation de gravité, l’effet en était curieusement apaisant.

 La ville s’étendait dans une large cuvette à leur pieds. Couverte de bâtiments bas, entrecoupée çà et là de quelques parcs, aucune de ses tours ne semblait dépasser les dix ou quinze étages. Les immeubles affichaient cette architecture arrondie, presqu’organique, qui semblait caractéristique de la planète. L’air tremblait dans la chaleur de la journée, brouillant les contours des bâtiments séparés par d’étroites ruelles.

 À l’ouest, six ou sept kilomètres plus loin, dans une autre dépression, un vaste espace dégagé entouré de baies d’envol, visibles malgré la distance, révélait l’emplacement d’un astroport, mais aucun trafic ne s’en élevait. Tout autour, à perte de vue, s’étendait la forêt et ses multiples collines, qui leur avaient donné tant de fil à retordre durant leur marche.

 Ils observèrent les alentours un moment sans rien dire. Toutes les boutiques étaient fermées, il n’y avait pas âme qui vive. Cette fois, même Giles avait l’air inquiet.

— Ce n’est pas normal, bougonna-t-il. Où sont-ils tous passés ?

— Il y a peut-être un match quelque part, répondit Claire en haussant les épaules.

— On t’a pas demandé ton avis, rétorqua sèchement le contrebandier.

— On est sur les nerfs, on dirait ? railla-t-elle.

— Ça va, vous deux, s’interposa Marc. Ce n’est pas le moment !

 Tout comme Camyl, il semblait lassé de la joute oratoire incessante entre Claire et le pilote, qui s’était poursuivie sans répit durant leur traversée de la forêt.

 Giles adressait rarement la parole à Claire, mais lorsqu’il le faisait, il ne pouvait pas lui parler sans agressivité, ironie ou sous-entendus agacés, et cette dernière avait pris un malin plaisir à le mettre hors de lui à chaque fois que l’occasion s’en présentait.

 Certes, c’était mesquin. Cela révélait même une facette de sa personnalité qu’elle ignorait encore jusqu’à ces jours-ci.

 Mais purée, qu’est-ce que ça fait du bien de le remettre à sa place ! Ce type est tellement insupportable !

 D’autant plus que c’était bien la seule chose sur laquelle elle avait encore du contrôle.

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