Chapitre 73 - L'émeute (1/2)

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 Les rues s’élargirent. Les bâtiments, aux formes toujours aussi organiques, tout en courbes et en dômes, gagnèrent en hauteur au fur et à mesure qu’ils descendaient la colline et s’approchaient du centre. Marc filait toujours plusieurs mètres devant eux, sourd aux exhortations de Giles. Camyl se taisait, les traits fermés. La spatione semblait plus attristée qu’en colère contre le jeune Wardom, et le suivait avec ce qui ressemblait fort à du fatalisme.

Quelle mouche l’a piqué, celui-là ? Aller au cœur d’une émeute, c’est pas l’idée du siècle, même pour des terroristes !

 Ils laissèrent les derniers escaliers derrière eux, retrouvant un sol plus plat sous leurs pieds, et croisèrent enfin leurs premiers habitants, massés sous les porches ou discutant dans les courettes. Certains se dirigeaient vers le centre, munis de banderoles ou simplement de leur enthousiasme. D’autres, moins nombreux, en revenaient, pour prendre un peu de repos ou aller chercher des provisions. La plupart étaient Humains, mais Claire remarqua un certain nombre de Draafs replets, et même un groupe de Boleshs ailés, qui déplaçaient avec maladresse leurs grandes carcasses dégingandées dans une allée adjacente. Leurs impressionnantes ailes membraneuses leur permettaient d’effectuer d’extraordinaires acrobaties aériennes, mais lorsqu’ils restaient à terre, ils avaient une allure plutôt pataude.

 Ceux-là paraissaient très occupés : ils entraient et sortaient d’un des immeubles avec des caisses et des contenants divers, qu’ils chargeaient dans un glisseur. Alors que Claire et ses compagnons traversaient la rue, ils virent l’un de leurs congénères arriver en battant des ailes et en trillant d’un air excité. En réponse, les trois autres accélérèrent leur chargement, pépiant frénétiquement entre eux.

 Mais déjà Giles tirait violemment la main de Claire. Le groupe de non-hums disparut à sa vue, tandis que le pilote continuait à courir derrière Marc, entrainant la jeune fille dans sa course.

 Le Wardom s’était engagé dans une nouvelle rue, étroite et bordée d’arcades aux pieds évasés. La clameur diffuse perçue plus tôt se faisait de plus en plus forte, loin devant eux, et Claire pouvait la reconnaître désormais pour ce qu’elle était, même si elle ne l’avait jamais entendue : la voix d’une foule en colère.

 Sous les larges arches en pierre translucide, quelques commerces étaient ouverts, et l’air bruissait de conversations animées. De rares chalands allaient et venaient entre les étals, et des enfants couraient de part et d’autre des piliers massifs en criant, survoltés par l’ambiance de surexcitation générale.

 Soudain, Claire trébucha. Entre la fatigue des derniers jours et tout ce qu’il y avait à observer et écouter autour d’elle, elle manqua une nouvelle série de marches. Elle s’affala lourdement à terre, entraînant Giles dans sa chute.

 Le pilote se releva aussitôt en jurant et la tira violemment vers lui. Claire, qui avait eu le souffle coupé par l’impact, resta un moment assise, sonnée. Camyl lui tendit une main secourable et elle l’accepta avec reconnaissance, ignorant Giles qui pestait en la fixant d’un air assassin, persuadé qu’elle l’avait fait exprès.

 Dans le magasin le plus proche – un restaurant, de toute évidence – les tables avaient été repoussées contre les murs. Alors qu’elle se relevait, elle jeta un coup d’œil par l’ouverture voûtée qui menait à la salle intérieure, sombre et bondée. Elle s’aperçut qu’on enrôlait pour « l’Armée de la Libération de Maytessy » à tour de bras – c’est à dire qu’on distribuait des brassards, des haut-parleurs, des banderoles et des sandwichs avec de grands discours patriotiques.

 Médusée, elle échangea un regard avec Camyl. Derrière ses lunettes teintées, elle ne voyait pas l’expression de la jeune femme, mais cette dernière pinça les lèvres d’un air farouche. Elle aussi avait parfaitement noté ce qu’il était en train de se passer et, étonnamment, ça n’avait pas l’air de lui plaire.

 Mais avant que Claire n’ait pu faire une remarque, Giles lui tira le bras pour la remettre en marche. Marc ne les avait pas attendus, et ils allaient le perdre de vue. Ravalant ses questions, elle se laissa de nouveau traîner par le pilote, alors que Camyl, après un dernier regard désabusé sur les mutins, leur emboîtait le pas d’un air sombre.

 Claire ne pouvait s’empêcher de pester.

Sérieux, une émeute ? Contre Kivilis ? Un Dynaste pris en otage ? Purée, on a bien choisi notre jour !

 D’un autre côté, c'était peut-être l'occasion qu'elle attendait... Si ce n'était le problèmes des entraves !

 Comme elle haïssait Giles, en cet instant !

 L’excitation qui régnait dans l’air était parfaitement tangible. Pourtant, bien qu’elle soit peut-être l'occasion pour elle de s’enfuir, elle l’inquiétait. Les révoltes n’étaient pas rares, lui avait appris Leftarm, car les temps étaient durs, et les agitateurs profitaient de la moindre excuse pour tenter de déstabiliser les gouvernements en place, mais c’était une chose de le savoir, et une autre que de se retrouver en plein milieu. Elle connaissait suffisamment bien son mentor pour savoir qu’il n’était pas du genre à laisser passer ce genre de choses. Si les force de la République intervenaient… elle ne voulait pas se trouver au milieu !

 Ce qui l’étonnait davantage, c’était l’attitude des Libertans. Entre le comportement de Marc, qui filait droit devant eux, paraissant les avoir totalement oubliés, et l’air sombre de Giles et Camyl, elle se posait une foule de questions.

Pourquoi ne se réjouissent-ils pas que la population ait décidé de défier Kivilis ? C’est pourtant bien leur but ! Quel meilleur endroit pour recruter pour leur cause ?

 Alors pourquoi ces visages fermés, ces airs atterrés ?

 Ces gens sont vraiment impossibles à comprendre !

 Ils quittèrent la rue aux arcades, traversèrent une autre place. Il y avait de plus en plus de monde, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Leur fausser compagnie serait plus facile au milieu de la foule ! Quitter une planète en proie à la guerre civile ne serait pas chose aisée, mais ce n’était pas cela qui lui faisait le plus souci : la première chose à faire était de trouver un moyen de se libérer. En attendant, elle pouvait toujours continuer à glaner des informations précieuses pour le Seigé.

 Ils traversèrent une galerie commerciale aux boutiques fermées, franchirent une énième place, et la foule se fit plus compacte. Le sol était jonché de papiers gras et d’emballages piétinés, et tous les gens convergeaient vers un point en aval. Le vacarme était intense. Marc ralentit enfin.

— Trouvons un point d’observation ! Non, pas par-là ! En haut ! cria Camyl en le retenant par le bras.

 Ils bifurquèrent dans une ruelle un peu moins encombrée. Giles leur trouva bientôt un escalier, qui les amena à une placette, légèrement en surplomb des autres rues - la ville était décidément très vallonnée, toute en terrasses et surplombs, même au fond de la cuvette dans laquelle elle était bâtie. Des dizaines d’habitants avaient déjà investi les lieux, vociférant et accrochant des banderoles, mais ce promontoire leur donnait une vue un peu plus large sur les évènements.

 Une immense esplanade s’ouvrait en contrebas, devant un immeuble imposant, probablement la résidence du Dynaste. Une foule compacte s’y trouvait massée et scandait des slogans. Des banderoles, à l’ancienne autant qu’holographiques, avaient été déployées, et des libelles à la peinture avaient été taggués sur les murs autour d'eux. Des Maytessy seul juge de ses citoyens ! Oui à la liberté d’expression ! côtoyaient les Nous seuls savons ce dont on a besoin ! et autres Rendez-nous nos enfants ! Au dernier étage de la grande construction aux parois incurvées, un groupe de personnes se tenait rassemblé sur un large balcon. Le Dynaste et sa suite, de toute évidence.

 Claire ne voyait pas de soldats ou de policiers parmi la foule. Était-il possible que cette révolte ait été pacifique, comme l’avait dit la vieille ? Difficile à croire ! Que faisait donc la Sécurité Planétaire ? S’était-elle retournée contre le Dynaste elle aussi ? C’était impensable. D’ailleurs, à en croire les cris de la foule, les étudiants n’étaient toujours pas revenus. Donne l’ordre, donne l’ordre ! criait-elle.

— Ces idiots… entendit-elle alors derrière elle.

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