Chapitre 75 - Les instants d'Après
Les vaisseaux étaient repartis comme ils étaient venus. Une épaisse fumée planait sur la ville, lourde et suffocante. Des cris, des explosions se faisaient parfois encore entendre. Des sirènes et des alarmes retentissaient çà et là, assourdies par la distance.
Les rescapés, pour la plupart, erraient sans but dans les décombres, ou étaient assis sur la chaussée, hagards, maculés de cendres et de poussière.
Spontanément, Marc et Camyl se joignirent à un groupe qui essayait de déblayer les ruines de ce qui avait dû être un magasin, ou une taverne. Derrière les blocs de pierre et de béton, on entendait des gens qui appelaient à l’aide. Bien que gênée par son poignet toujours douloureux, la spatione n’avait pas hésité.
— Détache-moi, dit alors Claire à Giles, resté en arrière avec elle.
Il lui jeta un regard en coin.
— Tu me prends pour qui ?
— Écoute… je te promets de ne pas m’enfuir. Mais on pourra mieux les aider si on est libres de nos mouvements, tous les deux !
Elle se rendit compte avec surprise qu’elle était sincère. Là, elle ne pensait vraiment pas à s’enfuir. Ou presque.
Des gens sont en danger de mort, là ! On a besoin de tous les bras disponibles !
Le reste, elle verrait. Mais après. Elle avait été immensément choquée par ce qui venait d’arriver, mais elle ne voulait pas penser à ça tout de suite. Pas maintenant. Il y avait des gens à aider !
— C’est cela, ironisa le pilote. Tu te découvres une âme de bon samaritain et tu voudrais que je te croie ? À d’autres !
— Mais je te jure…
— Tais-toi. D’ailleurs, on ne devrait pas rester là.
Elle allait protester quand il s’avança et attrapa Camyl par son bras valide. Celle-ci l’interrompit avant même qu’il n’ouvre la bouche.
— Je sais, c’est dangereux, mais allez donc dire ça à Marc ! Et si nous ne les aidons pas, ces gens vont y rester…
— On doit se tirer d’ici en vitesse ! répliqua-t-il sèchement. Vous connaissez la procédure !
— Quelle procédure ? demanda Claire.
Camyl la regarda dans les yeux :
— Vous êtes vraiment naïve, ou vous le faites exprès ?
— Et vous connaissez la meilleure ? Elle m’a demandé de la détacher pour qu’elle puisse vous aider…
La jeune Libertan marqua un temps d’arrêt. Claire lui rendit son regard sans faiblir, essayant de distinguer les yeux de la spatione derrière ses lunettes couvertes de poussière. Peut-être qu’elle, elle comprendrait !
Mais Camyl détourna la tête et repartit sans un mot aider les autres. Quelques instants plus tard, un passage était ménagé dans le mur écroulé, suffisamment large pour que les personnes coincées puissent sortir à l’air libre.
— Maintenant, allez vite vous mettre tous à l’abri, ordonna Marc aux rescapés et aux sauveteurs. Cachez-vous !
Le jeune Wardom avait pris la direction des opérations et coordonné le déplacement des blocs avec calme et autorité. Claire l’avait senti utiliser le poeïr pour faciliter, discrètement, l’évacuation des plus gros débris, sans que les autres ne s’en rendent compte. Il paraissait serein et concentré, mais Claire percevait encore, bouillonnants, l’agitation et le trouble qui l’habitaient depuis qu’ils avaient parlé avec la vieille femme.
Il craignait le pire, et c’est arrivé ! Comment le savait-il ? Et pourquoi est-il toujours aussi inquiet, alors que c’est fini ?
Certains parmi les habitants autour d’eux opinèrent à ses paroles, et filèrent sans demander leur reste. Mais la plupart ne l’entendirent pas de cette oreille.
— Pourquoi ? protesta l’un des rescapés, un Quartet couvert de poussière et d’ecchymoses. Il faut qu’on aille à l’hôpital !
— Croyez-moi, partez le plus loin d’ici ! intima à son tour Camyl. Si vous ne savez pas de quoi Kivilis est capable pour maintenir l’ordre, je vous souhaite de ne jamais le découvrir. Allez dans la forêt ! Le plus vite possible !
— Dans la forêt ? geignit une jeune femme qui avait une entaille sanglante sur le front. Mais vous êtes fous ! C’est à une heure de marche d’ici !
— Ils ont raison, rétorqua une nouvelle voix. Kivilis va revenir finir le travail, croyez-moi. Vous feriez mieux de vous barrer d’ici, et en vitesse !
Claire se retourna et reconnut l’homme à l’épée. Comment avait-il réussi à les suivre dans le chaos du bombardement ? Mais il était là, et il les observait avec curiosité, surtout Camyl, dont le capuchon et l'écharpe avaient glissé, révélant sa peau pâle et ses cheveux blancs, couverts de poussière et de suie.
— Vous dites n’importe quoi, s’emporta le Quartet, ses mains inférieures sur les hanches. On va pas aller dans la forêt alors qu’on est blessés. C’est de soins qu’on a besoin !
Les autres acquiescèrent. L’homme haussa les épaules, et tourna les talons, ajoutant sans se retourner :
— Libre à vous ! On vous aura prévenus… Moi, je me tire !
— Bon débarras, siffla Giles entre ses dents
L’attention de Claire fut subitement attirée par une brusque agitation au bout de la rue.
— Et merde ! jura Camyl de bien peu élégante façon en suivant son regard.
Des soldats. Il s’agissait bien de soldats de Kivilis qui avançaient, quadrillant méthodiquement la rue, forçant les gens à se relever et les regroupant.
Enfin, les secours !
— Barrons-nous ! murmura Giles.
Sans attendre leur réponse, il se glissa dans la ruelle la plus proche, traînant Claire derrière lui. C’est en vain qu’elle essaya de résister, alors que le pilote la tirait vers le haut de la venelle, extrêmement pentue, qui remontait en direction des faubourgs de la ville. Évidemment ! Les Libertans ne comptaient pas rester là où des soldats de Kivilis, fussent-ils des équipes médicales, débarquaient !
S’il s’agissait bien de secours. Une heure plus tôt, elle n’en aurait pas douté. Mais après ce qu’elle venait de voir…
Elle jeta un regard incertain sur les murs au-dessus d’eux, probablement instables. Elle ne savait pas si les rescapés les suivaient, et à vrai dire, elle n’était pas sûre de comprendre vraiment ce qui se passait.
Elle manqua renverser Giles quand celui-ci s’arrêta brusquement, quelques rues plus loin. Ils avaient atteint une promenade, bordée de maisons étroites sur un côté, avec une vue plongeante sur la rue en contrebas de l’autre. Il recula et la força à se baisser, pour se cacher derrière le parapet avec lui.
— On est coincés ! avertit-il Marc et Camyl, qui s'accroupirent immédiatement.
Claire releva précautionneusement la tête pour jeter un coup d’œil dans la rue en dessous. Et ce qu’elle surprit la glaça encore davantage que ne l’avait fait le bombardement. Incrédule, elle vit les soldats qui progressaient méthodiquement maison par maison, forçant les portes qui n’avaient pas été soufflées par les explosions, tirant les gens dehors et les rassemblant sous bonne garde, qu’ils soient blessés ou que ce ne soient que des enfants.
Les militaires ne ressemblaient pas du tout à une équipe médicale.
Un bruit de bottes au bout de l’allée : d’autres soldats arrivaient par derrière. Ils ne les avaient pas encore vus, mais ils leur coupaient désormais toute retraite.
Giles sortit doucement son arme de son holster. Comme s’il avait la moindre chance face à un tir croisé !
— Pssst ! Par ici !
Du porche le plus proche, l’homme à l’épée – encore lui ! - leur faisait signe. Les trois Libertans se regardèrent, puis d’un même mouvement, se relevèrent à demi et coururent jusqu’à l’abri inespéré qu’on leur offrait. De nouveau, Claire, tirée sans ménagement par Giles, fut obligée de les suivre.
Leur mystérieux sauveur referma aussitôt la porte derrière eux, puis les conduisit à travers un salon en désordre jusqu’à ce qui ressemblait à une cuisine. De la vaisselle traînait dans l’évier et sur la table, comme si les propriétaires étaient partis précipitamment. L’homme passa la main sur les faïences au-dessus de la console de nourriture, et une trappe, jusque-là indétectable parmi les grands carreaux de grès rouge du sol, se rétracta silencieusement.
— Vite, descendez ! Ils arrivent !
On entendait les lourdes bottes marteler les pavés. Sans poser de questions, ils descendirent l’échelle, Marc aidant Camyl toujours embarrassée par son attelle. Ils se retrouvèrent alors dans une resserre étroite, faiblement éclairée par un soupirail à demi caché derrière des étagères dépareillées. L’homme fut le dernier à descendre. Il remit la trappe en place au moment où des coups violents se faisaient entendre sur la porte d’entrée, et pianota rapidement sur un mécanisme situé sous le panneau.
Un verrou s’enclencha avec un chuintement étouffé. Quelques secondes plus tard, une violente déflagration ébranla le sol et les murs, faisant dégringoler une fine poussière sur le petit groupe, et les bottes des soldats résonnèrent bientôt sur le sol au-dessus d’eux.
Giles tenait toujours solidement Claire. Il lui avait glissé le canon de son pistolaser contre la nuque, lui chuchotant :
— Si tu fais un seul bruit, je t’assure, je te descends.
Elle sentait sa détermination, et savait qu’il n’hésiterait pas. Elle se tendit, puis réalisa qu’elle n’avait pas vraiment envie qu’ils soient découverts. Pas là. Pas par ces soldats.
Que lui arrivait-il ?
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