Chapitre 81 - Celer

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 Les Libertans virent Claire blêmir. Elle porta les mains à sa bouche, sous le choc.

— Vous connaissez cette planète ? s’étonna Camyl.

 La jeune fille hocha la tête, incapable d’articuler une parole. Les trois Libertans se penchèrent vers elle.

— Vous voulez qu’on trouve un endroit plus calme pour en parler ? demanda doucement la j spatione.

 Claire acquiesça, égarée. D’autorité, Camyl lui libéra les pieds, sans même consulter les autres. Giles leva les yeux au ciel, puis porta ostensiblement la main à son holster, défiant Claire du regard. Celle-ci l’ignora, effondrée.

 Ils se levèrent, et elle s’étonna que ses jambes puissent toujours la soutenir. Sous les yeux curieux des réfugiés, ils atteignirent la porte des soutes. L’un des hommes d’Aucyne s’interposa.

— Vous ne voyez pas qu’elle ne va pas bien ? protesta Camyl avec hauteur. Nous devons absolument aller à l’infirmerie.

 Elle devait effectivement être pâle à faire peur, car après un instant de réflexion, le garde s’effaça pour les laisser passer, mais il retint Marc et Giles. Après une brève discussion avec le pilote, où quelques voxels changèrent de main, l'employé les salua d’une courbette, et son collègue les accompagna jusqu'à une petite pièce, au fond du couloir qui menait aux soutes.

 L’infirmerie était minuscule, mais propre et vide. Giles ferma la porte derrière eux, au nez du garde. Il inspecta soigneusement les lieux, tandis que Marc fermait les yeux. Au bout d'un moment, ce dernier hocha la tête :

  • C'est bon, il est parti.

 Claire s’était assise sur la couchette, assommée. Ses pensées tourbillonnaient. Elle aurait voulu plus de temps, elle aurait voulu réfléchir. Elle aurait voulu protester, dire que ce n’était pas vrai, qu’ils lui mentaient.

 Mais elle savait. Tout avait changé.

 Car elle savait qu’elle allait parler.

— Alors, que pouvez-vous nous dire au sujet de PKX348E-3 ? fit doucement Camyl.

— C’est ma planète, répondit-elle simplement.

 Un silence accueillit ses paroles.

— Mais c’est à des années de vol en ultralux ! protesta finalement Giles.

— Très exactement, dix-huit années, précisa Claire d’un ton glacé, comme si c’était une étrangère qui parlait à sa place.

 Dix-huit ans de vol en ultralux, à vitesse maximale, sans compter les escales pour faire le plein et les détours pour éviter trous noirs et zones dangereuses. Bien plus, donc, en réalité. Combien de fois j’ai fait les calculs, au tout début, avant de me résigner ?

— Vous êtes arrivée par ce fameux Vortex, comprit Camyl. La dernière fois.

 Elle acquiesça.

— Oui. Il y a un peu plus d’un an et demi. Je l'ai traversé, sans le faire exprès...

— C’est impossible, coupa Giles.

 Les deux autres tournèrent leur regard vers lui. Il croisa les bras, provocateur, et poursuivit :

— C’est bien le Vieux - Seigé Leftarm - le responsable du projet ?

Camyl hocha la tête.

  • Je le connais pas aussi bien que vous, et heureusement, continua-t-il, mais de ce qu’on raconte, il n’est pas du genre à laisser vivants les civils qui ont vu ses petites installations secrètes ! Surtout celle-là !

 Sa remarque fit mouche, car lorsque les regards se tournèrent de nouveau vers Claire, ils attendaient une explication. Giles croisa les bras, l’air de dire, alors, comment tu t’en sors, de celle-là ?

 Leftarm était-il vraiment comme ça ? Aurait-elle dû mourir ? Elle se rappelait ces terrifiants premiers instants, les soldats en faction au pied du Vortex, la fouille, les discussions houleuses entre les soldats et les chercheurs et techniciens. Elle se souvenait de l’arrivée du Seigé, le soudain silence. Elle avait eu peur, oui, et elle avait craint pour sa vie, mais elle s’était persuadée, à ce moment-là et ensuite, que c’était juste son imagination.

— C’est faux, assura-t-elle. J’allais rentrer chez moi ! Il avait bien compris que j’avais traversé par erreur, que j’étais juste une gamine, une jayn, pas une menace !

 Elle en était sûre. Mais elle devait reconnaître que Leftarm n’avait pas évoqué le sujet de son retour, lors de son interrogatoire, et pour cause !

 Avec l’attentat, il n’en a pas eu le temps !

— Et pourtant, dit lentement Camyl, vous êtes toujours là.

— Pendant que le Seigé m’interrogeait, des terroristes ont détruit le Vortex. Enfin, précisa-t-elle avec un reste de défi qui sonnait pitoyable, même à ses oreilles, c’était des Libertans, des kamikazes ! Et c'est à cause d'eux que je suis coincée ici depuis !

 Elle s’attendait à une réaction, mais pas à celle qu’elle observa. Tous trois blêmirent. Giles serra les poings, Marc ravala son air, et Camyl porta la main à ses lèvres, manifestement atterrée.

— C’est ce que Leftarm vous a dit ?

— Vous allez nier ?

— Non, soupira la spatione. Il y a bien eu une mission désespérée pour détruire les installations du Vortex, sur Armora. Mais nous n’avons pas réussi. Pas suffisamment. Nous avons bien détruit une partie des équipements, mais pas tous les plans sur le Réseau. Il y avait une autre sauvegarde, hors d’atteinte, et nous l’ignorions à l’époque. Et grâce à cela, Kivilis a pu recréer un Vortex fonctionnel.

— Et pourquoi est-ce que je vous croirais ? rétorqua Claire, refusant de toutes ses forces l’évidence.

 Ils mentent, ils mentent, ils mentent !

— Écoutez, murmura Camyl d’une voix lasse, nous vous ferons voir les preuves rapportées par nos espions, si seul cela peut vous convaincre. Mais le Vortex est opérationnel, je peux vous l’assurer.

— Ce n’est quand même pas vous qui étiez chargés de l’attaque ? cingla Claire. On m’a dit que tous les terroristes survivants avaient été emprisonnés !

 Les Libertans échangèrent un long regard, où la peine se mêlait à la colère. Claire le vit, mais elle refusait toujours d’accepter la réalité de ce qu’ils lui affirmaient. Elle n’y repenserait que plus tard.

— Non, finit par dire Camyl. Mais c’était… une amie très chère. Elle et toute son équipe sont morts, précisa-t-elle froidement, torturés et tués par Kivilis sans même un procès.

— Torturés et tués ? blêmit Claire, soudainement arrachée à son déni par la douleur insupportable dans la voix de la jeune femme. Mais on m’avait dit… enfin…

 Elle se tut. Les terroristes étaient morts sous la torture ? Cela, Leftarm ne le lui avait jamais dit !

 En fait, réalisa-t-elle, jamais il n’avait évoqué le sort des prisonniers Libertans survivants, sauf pour dire qu’ils avaient été pris en charge. Dans sa naïveté, elle en avait conclu qu’ils avaient été jugés et emprisonnés. Et, à l’époque, elle avait bien d’autres choses à penser.

 Elle voulut parler, se ravisa. Que pouvait-elle répondre à ça ?

— Donc le Vieux t’a menti au sujet de tes possibilités de retour, c’est ça ? conclut Giles, rompant le lourd silence qui s’était installé. Il t’a dit que tu étais bloquée ici, que le Vortex n’existait plus. Pourquoi ?

 Le Vieux ? Il parlait de Leftarm ? Une heure encore auparavant, Claire aurait bondi, au moins intérieurement. Là, elle se contenta de soupirer.

— Il m’a prise à son service. Oui, j’avoue, capitula-t-elle enfin. Je suis bien au service du Seigé ! Je suis son assistante. Son assistante personnelle.

 Si les Libertans lui mentaient, elle venait sans doute de signer son arrêt de mort. Mais comme tout cela lui paraissait de peu d’importance, désormais ! Car ils n’avaient aucune raison de lui mentir au sujet de Celer. Et s’ils disaient la vérité… alors, c’était Leftarm qui avait menti. Qui avait menti pour la garder ici par la ruse ! Le Vortex existait toujours, et il ne lui avait rien dit !

— À cause du poeïr, souffla Marc, atterré, se faisant l’écho de ses pensées.

Elle détourna le regard. Un long silence s’ensuivit.

— Cela ne lui donnait pas le droit de te mentir ! éclata soudain Camyl. Il t’a manipulée, comme il a manipulé… comme il manipule tout le monde !

 Claire baissa la tête. Oui, si les Libertans disaient vrai, il l’avait bel et bien manipulée. Son ventre se nouait, alors que son univers s’écroulait autour d’elle.

 Qui croire, que croire ? Leftarm n’avait-il fait que lui mentir, dès le début ? Pourtant, il y avait bien eu un attentat…

 Le Seigé avait-il su que les dégâts n’étaient que temporaires ? Était-il de bonne foi quand il lui avait proposé de la prendre à son service, pensait-il vraiment que les installations étaient irrémédiablement détruites ?

 Mais dans ce cas, pourquoi ne lui avait-il pas dit, ensuite, que la reconstruction avait commencé ? Craignait-il qu’elle ne décide de rentrer chez elle ?

 Et, si on lui avait donné cette possibilité, qu’aurait-elle fait ?

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