Chapitre 84 - Réunion au sommet

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 Les Libertans ne se laissèrent pas convaincre aussi facilement.

 Quand Claire avait annoncé à Marc qu’elle les aiderait, elle n’imaginait pas la tempête qu’elle allait déclencher au sein de leur état-major.

 Elle comprit à cette occasion que Leftarm avait souvent tenté d’infiltrer des espions parmi les Libertans. Jusqu’à une période récente, cela s’était toujours soldé par des échecs, car Eléaga Fingelrod, la grand-mère Wardom de Marc et Giles, utilisait son poeïr pour détecter les personnes d’allégeance douteuse. Grâce à elle, aucune n’avait réussi à s’implanter suffisamment longtemps pour leur faire du tort.

 À sa mort, lui expliqua Marc, il avait pris le relais. Mais il lui avoua également, avec une franchise désarmante, qu’il manquait cruellement d’entraînement. C’était pour cette raison qu’elle-même était passée à travers les mailles du filet, même si elle n’était pas, à proprement parler, une espionne.

 Le Wardom avait certifié aux chefs Libertans qu’elle était sincère, et désireuse de les aider à accéder à Armora. Mais le fait qu'il n'ait pas identifié la menace qu'elle représentait lors de son arrestation semblait avoir amoindri leur confiance en ses capacités, et certains d’entre eux exigèrent de rencontrer la jeune fille pour se faire leur propre opinion.

 C’est ainsi qu’elle se retrouva face à un petit comité, constitué de trois Humains, un Margneral, et un Sullite. Elle ignorait s’il s’agissait vraiment des têtes pensantes des Libertans, mais ces cinq-là disposaient a priori d’un certain pouvoir.

 Parmi eux se trouvaient de vieilles connaissances. L’officier intransigeant qui avait procédé à son arrestation sur l’Œil du Cyclone, et qui l’avait ensuite interrogée, faisait partie des personnes à convaincre. Il s’appelait Yavad, et semblait en charge de tout ce qui concernait la Sécurité à bord de la base spatiale. À ses côtés, un autre visage familier : le Margneral, Bron’Di ’Yantès, qui avait tant apprécié son salut Reztet lors de sa tentative d’évasion.

 Deux autres Humains les accompagnaient, un homme rondouillard et avenant du nom de Fil, et une femme entre deux âges à la peau anthracite et aux yeux incisifs, qui ne révéla pas son identité. Un grand Sullite bleuté aux manières calmes, qui resta lui aussi anonyme, complétait le petit groupe.

 Claire, quant à elle, était escortée de Marc et de Camyl. Et elle vit rapidement se confirmer que, comme elle s’en était doutée lors de leur séjour sur Maytessy, la jeune spatione avait un poids certain dans l’organisation.

 Ce qui ne l’aida pas forcément à convaincre les autres, du moins au début.

— Non, je ne veux pas vous rejoindre, répéta-t-elle pour la énième fois. Je veux juste aller à Armora et voir par moi-même ce qui se passe là-bas !

 Ils restaient des terroristes à ses yeux, même si elle commençait à réaliser que la propagande de Kivilis leur avait attribué des exactions qui n’étaient, peut-être, pas toutes de leur fait.

 Mais ce n’était pas parce qu’elle accordait une certaine confiance à Marc et Camyl qu’elle allait croire aveuglément à tout ce que lui disaient les autres !

 Elle n’allait pas renier Leftarm, et tout ce à quoi elle croyait, ou avait cru, et se ranger aux côtés des Libertans, seulement à cause de quelques documents, et parce qu’elle trouvait quelques personnes sympathiques. Il lui fallait des preuves. De vraies preuves.

— Pourquoi devrions-nous vous faire confiance ? demanda froidement Yavad. Qu’est-ce qui nous dit que vous ne vous empresserez pas de de nous dénoncer dès que vous serez arrivée sur place ?

 Elle leva les yeux au ciel. Comment leur faire comprendre ?

 Elle devait voir par elle-même. S’il s’avérait que tout était vrai… que le Vortex existait vraiment, que, comme disaient les Libertans, il allait servir à piller et asservir des planètes… alors, et alors seulement, elle déciderait que faire.

 Ils comprenaient, lui assurèrent-ils. Et elle devait comprendre que c’était pour cela qu’elle ne pouvait pas participer à cette mission hautement dangereuse, à tous points de vue.

— D’autant plus que vous n’apporterez pas grand-chose à la mission proprement dite, ajouta Fil, le petit homme replet. Vous l’avez dit vous-même, vous n’avez fait que passer à la Base Armora, et sans vraiment comprendre ce que vous avez vu, à l’époque.

— Ce qui est toujours plus que nous, contra Camyl. C’est la seule ici à avoir approché du Vortex.

— Mais ses réactions peuvent être imprévisibles ! s’emporta Yavad. Enfin, elle ne sait même pas ce qu’elle veut, elle n’apportera rien de plus à notre équipe d’intervention, et elle risque de changer d’avis au dernier moment !

— Et elle sait se battre, elle a déjà passé le Vortex une fois, et elle connaît la façon de penser du Seigé, répliqua la spatione. Elle peut être l’atout qui fera tout basculer !

— Dans un sens, ou dans l’autre, énonça doucement Fil, s’attirant des hochements de tête de la femme anonyme et des deux non-hums.

 L’exaspération de Claire montait petit à petit. Fil ne lui était pas ouvertement hostile, il la considérait même avec bienveillance, mais ses paroles de sagesse lui donnaient envie de hurler.

— D’autant plus que si vous êtes vraiment l’Assistante Personnelle du Seigé, expliqua gentiment Bron’Di‘Yantès de sa voix flutée, il serait très dommage de vous faire risquer votre vie dans une telle entreprise…

— Oui, ce serait folie, alors que vous possédez sans doute tant d’informations qui pourraient être vitales pour nous, ajouta l’Humaine à la peau sombre.

 C’était l’argument de trop.

— Je n’ai pas besoin de votre approbation, coupa Claire. Si vous ne voulez pas m’intégrer au groupe qui partira, j’irai seule ! Demandez à Marc : vous ne pourrez pas m’en empêcher !

 Consulté du regard, ce dernier acquiesça, fataliste :

— Je crois qu’elle en serait capable. Il faudra bien que je dorme, à un moment.

— Vous vous feriez tuer, répliqua froidement Yavad. Si le Seigé apprend que vous l’avez trahi…

 Claire secoua la tête.

— Je ne le trahis pas ! Mais vous ne comprenez pas… il faut que je retourne là-bas…

 Cet homme ne pouvait pas concevoir ce qui la liait à Leftarm, ce qu’ils partageaient.

 S’il m’a menti à propos de Celer, il y a une explication. Je le sais. Et j’irais la lui demander.

 Mais en attendant, c’est absolument hors de question que je reste les bras croisés s’il y a ne serait-ce qu’une possibilité que le Vortex soit ouvert vers la Terre !

 Comme s’il avait lu dans ses pensées, Fil tenta une autre approche.

— Je comprends votre impatience, mais soyez raisonnable. Vous n’êtes pas prête pour cela. Votre planète pourra très bien être sauvée sans vous – si c’est vraiment cela qui vous importe.

 Claire ne put pas en supporter plus.

— Tout ce que vous voulez, ce sont les informations que je pourrais vous fournir ! jeta-t-elle en se levant. Alors écoutez-moi bien : si vous ne me permettez pas d’aller là-bas, vous n’aurez jamais aucun renseignement de ma part ! Vous pourrez me faire croupir dans une de vos cellules jusqu’à ce que Kivilis ne trouve votre base et ne la détruise, je resterai muette jusqu’à la fin !

 Elle sortit de la pièce, regrettant que les sempiternelles portes coulissantes ne puissent claquer.

 Une heure plus tard, Marc vint la retrouver. Il fit signe au garde qui ne la quittait pas d’une semelle – protection dérisoire ! – de les laisser, et s’assit à côté d’elle.

— Ils ont accepté.

 Elle hocha simplement la tête, sans le regarder.

— Je viens aussi, poursuivit-il.

 Elle se tourna vers lui, à demi surprise seulement.

— Ça ne leur plait pas, continua-t-il, mais Camyl et moi avons réussi à les persuader. D’ailleurs, ils n’avaient pas trop le choix, même si ça ne les enchante pas. Camyl fait rarement entendre sa voix, mais lorsqu’elle le fait, ils ne peuvent pas s’y opposer.

— Pourquoi ?

— Après tout, nous sommes chez elle, ici.

— Comment ça ?

— La Station lui appartient, expliqua le jeune homme.

— Pardon ? suffoqua-t-elle.

— Je crois que ce n’est pas à moi de te raconter cette histoire, éluda-t-il en haussant les épaules. Elle t’en parlera, si elle le veut.

 Claire mit un moment à digérer l’information, mais Marc n’avait pas l’intention d’en dire plus.

— Pourquoi m’accompagnes-tu ? demanda-t-elle.

— C’est plutôt toi qui nous accompagne, corrigea-t-il. Que ce soit bien clair : nous, notre but est de détruire le Vortex. Correctement, cette fois. Nos équipes de hackers ont localisé les sauvegardes extérieures. Ils les détruiront dès que cette mission sera lancée, mais il faut faire place nette aussi à Armora. Et beaucoup mieux que la dernière fois.

— Tu veux dire, vous allez de nouveau tout faire sauter ? s’effara-t-elle. Mais il va y avoir des dizaines, voire des centaines de morts !

 Ce sont vraiment des terroristes, finalement !

— On a discuté de toutes les options. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont créé le Vortex sur Kivilis même : on ne peut pas en prendre le contrôle, il y a beaucoup trop de troupes, au sol et en orbite. La seule solution, c’est l’infiltration d’un petit groupe afin de le détruire, et sans laisser possibilité de le reconstruire cette fois.

 Le jeune Wardom dut sentir son choc, car il poursuivit, plus doucement :

— Ça ne me plaît pas plus qu’à toi… mais une telle arme entre les mains de Kivilis causera bien plus de morts si on ne fait rien… C’est pour le bien de tous les habitants du Quadrant !

 Pour le bien commun…

 Il s’agissait exactement des mots du Seigé pour justifier certaines actions de la République…

 Si les deux camps peuvent utiliser cet argument, alors, est-il vraiment valable ? Qu’est-ce qui fait la différence entre eux ?

 Elle secoua la tête, refusant de creuser davantage. C’était beaucoup trop perturbant.

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