Chapitre 85 – Retour sur Kivilis

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 Enfoncée dans le fauteuil du navigateur, Claire se demanda, non pour la première fois, si elle savait ce qu’elle faisait. Devant elle, dans le siège du copilote, Camyl fixait les écrans, mais son attention était manifestement ailleurs.

 Le cockpit, faiblement illuminé par les lueurs moirées de l’ultralux, était silencieux. Même Giles, concentré sur les commandes, avait cessé de crier haut et fort qu’ils couraient droit au suicide. Il s’était joint d’autorité au petit groupe, pestant qu’il ne pouvait laisser son frère risquer ainsi sa peau sans lui. Sinon, le fantôme d’Eléaga viendrait le hanter jusqu’à la fin de ses jours, avait-il prétendu !

 L’extravagant pilote avait pour l’occasion troqué son bandana et sa flamboyante redingote bleue pour une tenue plus passe-partout, et Claire avait encore du mal à le reconnaître quand elle le croisait dans les coursives, avec ses cheveux bruns sévèrement serrés dans un catogan et sa terne combinaison de mécanicien.

 Maintenant, ils étaient là, tous les quatre, dans une navette banalisée, approchant inexorablement de Kivilis. Deux autres personnes les accompagnaient, un Humain et un Sullite, spécialistes en explosifs, présentement en train de discuter à voix basse dans le carré.

 Et c’était tout.

 Quand elle avait découvert la taille réduite de l’équipe que les Libertans prévoyaient d’envoyer sur Kivilis, Claire avait d’abord pensé à une blague. Cinq individus en tout ? Six, si on la comptait, elle ? Pour une mission d’une importance si capitale ?

 La rapidité et la discrétion étaient les clés, avait expliqué Camyl. La précédente incursion des Libertans sur Armora avait échoué, en partie, parce que le groupe d’intervention était trop conséquent et avait attiré l’attention avant d’avoir pu finir proprement son travail.

 Avec le cargo sur lequel ils avaient embarqué, le réseau d’espionnage Libertan leur avait fourni une fausse identité pour chacun. Cela devait leur permettre de passer tous les barrages, au moins jusqu’au Complexe Armora, situé sur Kivilis Occidental.

 Les Libertans avaient les complicités suffisantes pour arriver jusqu’à Armora et pénétrer dans la base. Ensuite, ils avaient prévu de se rapprocher autant que possible de la machinerie du Vortex, notamment des installations qui généraient l’énergie phénoménale nécessaire, afin de trouver un moyen de les saboter.

 Claire n’en savait pas plus sur le plan véritable. Dans ce groupe déjà très réduit, elle n’était qu’un passager, presque clandestin.

 Elle le comprenait parfaitement. Elle en avait assez appris lors de sa formation au Centre pour réaliser à quel point sa seule venue était une entorse aux règles les plus fondamentales d’une mission d’infiltration, et pourtant, Camyl et Marc s’étaient portés garants pour elle…

 Certes, le Wardom percevait sa sincérité, mais elle ignorait toujours la raison pour laquelle la spatione avait accepté sa présence. Que sentait donc la jeune femme en elle, et pourquoi ? Était-ce simplement parce qu’elle savait pourquoi tout cela avait tant d'importance pour la petite Terrienne ? Ou autre chose ?

 Pour Claire, au final, peu importait. Tout ce qu’elle voulait, c’était voir de ses yeux le Vortex. Constater par elle-même qu’il existait, et vers quelle planète il se dirigeait.

On m’a trop menti ! Je ne croirai plus que ce que je verrai… Et là, seulement, je ferai mes propres choix.

 Rentrer chez elle avant que les Libertans ne détruisent le Vortex, par exemple.

 C’était un espoir tellement fou qu’elle n’osait même pas se le formuler entièrement.

 Mais l’heure n’était plus aux suppositions, ni aux atermoiements : un bip insistant les informa que la sortie de l’ultralux était proche. Quelques seconde plus tard, les lueurs moirées cédèrent la place au velours piqueté d’étoiles de l’espace normal. Droit devant eux, scintillante et entourée de son trafic intense, la planète-capitale.

 Giles n’apprécia pas de se faire écarter du fauteuil de pilotage, mais Camyl fut inflexible. Elle déclara, avec cette autorité tranquille que Claire commençait à lui connaître, qu’elle maîtrisait mieux le ciel de Kivilis que lui, ce qui ajouta, encore, à son mystère. Pourquoi se mettait-elle en danger dans une mission pareille ?

Les Libertans ne manquent pas de commandos au point de devoir envoyer la propriétaire de leur principale base au feu, quand même ?

 Claire n'avait pas réussi à en savoir plus sur la spatione durant le voyage. Marc avait refusé de répondre à ses questions, et elle n'avait pas osé interroger Camyl de front, retrouvant, curieusement, son ancienne timidité.

 Camyl ajouta qu’elle avait besoin de Claire comme copilote, au cas où un imprévu se présenterait. Cette dernière accepta, flattée. Elle n’avait pas l'expérience de pilotage de Giles, mais elle avait effectivement passé l’année écoulée à s’entraîner dans l’espace aérien de la planète, tant en simulateur qu’en condition réelles. La confiance de la jeune femme la réconforta, comme peu de paroles auraient pu le faire, et elle retrouva un peu de l’assurance de l’Assistante qu’elle avait été… était… la dernière fois qu’elle se trouvait dans cette orbite… et qui paraissait si lointaine.

 Comme Giles continuait à protester, la spatione termina en rappelant une fois encore que Claire était la seule du petit groupe à avoir déjà posé le pied dans le Complexe Armora. La jeune fille hocha la tête, même si elle ne voyait pas vraiment en quoi cela allait pouvoir les aider.

 Elle espérait ardemment qu’aucun problème ne se présenterait. S’ils se faisaient prendre en chasse, oserait-t-elle utiliser un de ses codes prioritaires, au risque que cela ne remonte jusqu’au Seigé, et que cela n’entérine définitivement ce qu’il considérerait alors, à juste titre, comme une trahison ?

 Vite, bien trop vite, le voyage toucha à sa fin. Claire se disait qu’elle était en train de faire la plus belle erreur de sa vie, tout en se demandant ce qu’elle aurait pu faire d’autre. Rester cachée sur la base spatiale des Libertans, sans jamais savoir ? Laisser l’équipe partir seule, alors qu’elle était, à tout le moins, directement concernée ? S’enfuir, après tout ce qui s’était passé, et rentrer, l’air de rien, à Bhénak ?

Impossible !

 Et ils plongèrent vers Kivilis.

 La première partie de la mission se déroula aussi bien qu’il était possible de l’espérer. Ils franchirent les douanes sans problème et mirent le cap sur un District populaire de la mégalopole occidentale. Ils laissèrent le vaisseau chez un réparateur de navettes, sympathisant des Libertans, et embarquèrent aussitôt dans un petit appareil stratosphérique de livraison de denrées alimentaires, grâce à la complicité d’un deuxième employé – décidément, les ramifications de l’organisation étaient immenses ! Ils atteignirent sans peine le Complexe Scientifique, après un vol sans histoires, et se placèrent derrière d’autres cargos qui attendaient le déchargement, au-dessus d’un immense hangar.

 Les yeux collés à la verrière du cockpit, Claire tenta de reconnaître les lieux. Mais l’endroit était tellement grand – la taille d’une ville plus que respectable, même selon les standards galactiques – qu’elle mit du temps à repérer, dans cette forêt massive de tours et d’entrepôts, le lieu précis qui les intéressait.

— Ce bâtiment, là, à gauche, indiqua-t-elle soudain, en désignant une construction lointaine, aux degrés empilés très reconnaissables. C’est là.

— La grande pyramide, là-bas ? dit Camyl en se tordant le cou pour apercevoir la tour qu’elle montrait du doigt. Zut, on en est vraiment loin !

 Quand leur tour arriva, ils ouvrirent les soutes pour laisser les robots-manutentionnaires récupérer les containers, et sortirent dans le hangar, comme pour se dégourdir les jambes.

 Un Treuze rondouillard, à la peau verte et aux yeux bridés, supervisait le déchargement au milieu d’une volée de robots et d’employés. Il affichait un sourire que rien ne semblait vouloir effacer, ni les maladresses humaines, ni les pannes robotiques. Il leur fit de grands signes :

— Entrez, entrez, dans la salle là-derrière il y a de quoi vous restaurer avant de repartir !

— Génial, fit Camyl. Est-ce que vous avez des nouilles à la sauce d’Uruk ?

 À ces mots, les yeux du non-hum s’agrandirent. Il marqua un temps d’arrêt, les examinant d’un coup d’œil, puis répondit comme si de rien n’était :

— Je ne crois pas qu’il m’en reste. Mais si vous voulez bien attendre quelques minutes, dès que j’ai fini, on ira voir ça…

— Ça tombe bien, on n’a pas d’autres livraisons prévues pour aujourd’hui, indiqua Camyl en souriant.

— Bon, eh bien on va voir ce qu’on peut faire. Il ne sera pas dit qu’on ne trouve pas tout ce qu’on cherche chez Yanel !

 Vingt minutes plus tard, le dénommé Yanel leur faisait signe de le rejoindre. Ils parcoururent une salle de détente où d’autres livreurs étaient attablés, traversèrent de vastes cuisines où quelques employés étaient occupés à nettoyer les immenses grills, et entrèrent dans un débarras encombré de produits d’entretien, de combinaisons de travail et de chaises cassées. Yanel déplaça quelques containers et en sortit plusieurs tenues.

— Tenez, fit-il en en lançant une à Bert, le Sullite, qui était le plus grand, je crois que celle-là vous ira…

 Bientôt, ils eurent tous revêtu la tenue bleue des chercheurs. Camyl, qui de par son aspect exotique risquait davantage d’attirer l’œil que ses compagnons, dissimula ses cheveux duveteux sous un calot de même couleur, et releva soigneusement la capuche de sa combinaison.

 Yanel sortit alors une petite boîte avec précaution et apposa son pouce sur la serrure. Avec un déclic, elle s’ouvrit, révélant une petite unité de programmation. Décidément, ce genre de matériel, légalement impossible à trouver, était beaucoup plus répandu qu’elle ne l’aurait cru.

 Une demi-heure plus tard, les six puces étaient reprogrammées.

— Les identités d’origine avaient les droits pour accéder au Cercle Interne, le secteur du projet Celer, dans la Grande Tour, donc vous devriez pouvoir vous rendre là-bas sans trop de problèmes. Ensuite, ce sera à vous de jouer…

 Yanel leur expliqua encore comment parvenir jusqu’à leur destination. Comme l’avait noté Camyl, ils étaient assez loin de leur but, le bâtiment principal du Complexe, situé à plusieurs klicks des hangars de déchargement : la première couverture des Libertans ne leur permettait pas d’approcher davantage en navette. Ils allaient désormais devoir emprunter les transports en commun, en espérant que les identités fournies par le cuisinier seraient suffisamment solides pour résister aux mesures de sécurité renforcées du Cercle Interne d'Armora.

 Le Treuze tendit ensuite d’un air entendu de petites sacoches à Marc, Bert et Messia, le dernier Humain de l’équipe. Ces derniers les camouflèrent soigneusement dans les plis de leur combinaison. Claire haussa un sourcil interrogateur, mais préféra ne pas poser de questions. Moins elle en saurait, mieux cela vaudrait !

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