Chapitre 87 - Seule

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 Tout allait trop vite ! Elle n’était pas prête, pas du tout ! Et pourtant, Claire savait que poursuivre avec les Libertans aurait causé irrémédiablement leur échec.

 Elle n’avait pas le choix.

 De toute manière, si je veux des réponses, il n’y a que lui qui puisse me les donner.

 Elle quitta le quai de nouveau désert, s'efforçant de retrouver son calme. Elle allait devoir trouver une bonne raison à sa présence ici, et vite. La vie de ces gens, qui lui avaient fait confiance alors que rien ne les y obligeait, en dépendait. Elle devait gagner du temps.

Qui essaies-tu de leurrer ? Il a toujours su quand tu tentais de lui cacher quelque chose. Il sait déjà que tu es là. Il sent déjà ton trouble. Il ne lui faudra pas longtemps pour deviner la vérité !

 Mais alors que lui revenait en mémoire la raison de sa venue ici, sa peur disparut, remplacée par la colère.

Il a menti au sujet de Celer.

 Si le Seigé s’était vraiment servi d’elle, si le retour sur Terre était possible, et qu’il ne lui avait rien dit, elle n’avait pas à se sentir coupable ! Et il aurait des explications à lui fournir !

 Elle prit un escalator au hasard, puis un autre, emprunta un long couloir bordé d’holoécrans diffusant des publicités criardes, et déboucha bientôt dans un atrium qui s'élevait sur plusieurs dizaines d'étages. D'un côté, de hautes façades vitrées s’ouvraient sur la noirceur de la nuit. De l'autre, les coursives s'empilaient jusqu'à ce que le regard se perde dans les hauteurs.

 Il s’agissait de quartiers d’habitation, reconnaissables à leurs murs dans les tons de rose et à leur éclairage tamisé. Plusieurs groupes de personnes étaient attablés dans un coin, près d’une rangée d’unités d’alimentation, à côté d’une série de boutiques automatiques. Un bosquet de grands arbres aux feuilles bleues étirait ses branches graciles jusqu’aux galeries supérieures, donnant à l’endroit un air paisible et accueillant. Ce n'était pas du tout ce à quoi elle se serait attendue d’un centre de recherches ultra-secrètes.

 L’un des Humains en train de manger avait enlevé sa blouse de travail et l’avait jetée en boule sur une table voisine. À demi levé, il racontait une histoire à grand renfort de gestes, s’esclaffant bruyamment, alors que ses compagnons l’écoutaient en riant et en levant leurs verres. Parmi eux, deux Yllus émettaient des petits couinements suraigus, ce qui était leur manière de rire à gorge déployée. Tous étaient vêtus du même uniforme bleu. La journée de travail terminée, ils profitaient tranquillement d'un moment de détente entre collègues.

 Plus loin, d’autres résidents, dont plusieurs Sullites indigo, étaient enfoncés dans de vastes sofas. Ils discutaient paisiblement autour d’une collation, fumant de grands narguilés ornementés. Quelques-uns étaient en civil, d’autres portaient la tenue rouge du personnel médical. Ils lui jetèrent à peine un regard avant de reprendre leur conversation. Dans un recoin, des vigiles étaient rassemblés autour d’une console et riaient devant un holovid.

 Tout le monde paraissait gai, sans soucis. En traversant l’atrium d’un pas rapide, la tête haute, Claire ne put s’empêcher de les envier amèrement.

 Elle emprunta une longue rampe qui la mena finalement dehors, dans un petit parc suspendu entre deux immeubles colossaux. Elle s’aperçut alors qu’il pleuvait, et resserra frileusement le col de sa blouse.

 Le jardin était obscur, éclairé de loin en loin par quelques lampadaires qui fumaient sous la pluie. Elle s’approcha d’une épaisse rambarde de pierre et son regard plongea vers le sol en contrebas. Le parc descendait en terrasses douces vers une esplanade déserte, qui luisait sous la lueur des lampes. En face d’elle, de l’autre côté de la place, des tours encore plus hautes s’élevaient dans la nuit, leurs ribambelles de fenêtres scintillant tels des joyaux.

 Elle avait l’impression que l’air frais lui faisait du bien, l’aidait à clarifier les émotions qui virevoltaient follement dans sa tête. Elle inspira profondément, sentant peu à peu le calme revenir dans son esprit. Elle tenta de se perdre dans la contemplation du paysage, essayant de faire le vide pour se préparer à la confrontation à venir.

 Maintenant qu'elle avait paré au plus urgent et s'était éloignée des Libertans, elle devait trouver un plan.

 Soudain, elle entendit un chuintement étouffé. Aux deux extrémités du jardin, les portes venaient de s’ouvrir. Un bruit de cavalcade résonna dans les flaques d’eau. Avec un brusque pincement au cœur, elle se retourna. Deux dizaines de soldats lourdement armés venaient à sa rencontre.

— Pas un geste ! Vous êtes en état d’arrestation !

 Résignée, elle leva lentement les mains.

 Autant pour le plan ! Pourvu que j'aie quitté les autres assez vite...

 Elle n’opposa pas la moindre résistance lorsqu’on la fouilla, sans rien trouver. Les Libertans n’avaient pas poussé la confiance jusqu’à lui fournir une arme, et elle s'en félicita.

Maintenant, arrête de penser à eux ! C'est vital !

 On ne lui posa aucune question, preuve, s’il en était besoin, du commanditaire de l’opération. Quelques minutes plus tard, une navette s’immobilisa à la hauteur du jardin, et on la fit grimper à l’intérieur. Utilisant toutes les techniques qu’elle connaissait pour cacher sa peur, elle garda un visage impassible. Un visage d’Assistante Personnelle de Seigé Leftarm.

 Bien vite – trop vite – le vaisseau ralentit. La coupée s'abaissa et on lui fit signe de descendre. Et, bien qu’elle s’y soit quelque peu attendue, c’est avec un pincement au cœur qu’elle reconnut l’endroit où elle débarquait. Elle l’aurait reconnue entre mille : c’était la terrasse, aussi humide et sombre que la première fois, où elle avait accepté d’entrer au service de Leftarm…

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