Chapitre 92 - Révélations (2/2)

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 Claire tomba à genoux et lutta désespérément pour respirer, les tempes bourdonnantes. Elle avait l’impression qu’on serrait son cœur dans un étau, que ses poumons refusaient de fonctionner.

 Elle jeta un regard suppliant à Leftarm. Elle voulut parler, ne réussit pas à produire le moindre son. C'était comme si tout son être était paralysé, maintenu dans un carcan inflexible qui la broyait peu à peu. Son professeur l'avait déjà immobilisée à plusieurs reprises de cette manière, mais aujourd'hui la sensation était bien plus violente, sans aucune pitié. Ses fonctions vitales étaient gelées, comme si l'air avait soudainement disparu. Plus aucun de ses muscles ne répondait. Elle sentit son cœur lutter désespérément pour ne pas s'arrêter.

 Le Seigé ne la regardait pas. Toute son attention était désormais portée vers le Directeur, ignorant totalement Claire à ses pieds. Elle essaya de reprendre son souffle, de convoquer son poeïr pour résister, mais la poigne invisible était trop forte. Elle bascula à terre et se sentit tomber dans un long tunnel noir.

— Ça suffit ! intima une voix froide, loin, très loin.

 Tout aussi brusquement, l’horrible sensation disparut. Le sang afflua de nouveau. Luttant pour respirer, Claire tenta de se redresser, pour voir Leftarm et le Directeur qui se fixaient, chacun cherchant à faire céder l’autre du regard. Si quelqu’un s’était trouvé entre les deux, il n’en serait probablement resté qu’un petit tas de cendres calcinées.

 C’était d'ailleurs l’état dans lequel elle se sentait.

— Je crois, Votre Excellence, poursuivit Leftarm sans le quitter des yeux, que cette affaire est entre la jayn et moi. Pourriez-vous nous laisser un moment ?

 Rouge de fureur, le Directeur parut sur le point de protester. Il n’avait manifestement pas l’habitude de se faire aussi cavalièrement ignorer ni congédier. Mais, pour une raison inconnue de Claire, il céda.

— Soit. Mais n’espérez pas que votre jayn s’en tirera comme ça !

— N’ayez crainte, dit froidement le Seigé, sans qu’elle parvienne à saisir avec certitude à qui cette froideur était destinée.

 Recroquevillée sur le sol, haletante, elle remarqua à peine que le chef secret de Kivilis se retirait, d’un pas raide de fureur. Quand enfin ils furent seuls, Leftarm soupira, puis il se pencha vers elle et la releva sans la moindre douceur.

— Tu n’es qu’une idiote, la tança-t-il sèchement. Tu viens de te faire le plus puissant des ennemis.

 C’était bien le cadet de ses soucis ! Il dut le lire dans son esprit, car cela amplifia sa colère, coupante comme la glace.

— Tu n’imagines pas combien il peut être dangereux ! Je l’ai eu par surprise, mais je ne pourrai pas te sauver une seconde fois.

— Vous ne m’aviez pas dit qu’il était Wardom ! accusa-t-elle en s’écartant.

— Tu n’avais pas besoin de le savoir.

— Je n’avais pas besoin de le savoir… Bien sûr, suis-je bête ! s’écria-t-elle, indignée. Tout comme je n’avais pas besoin de savoir que les installations du Vortex n’avaient pas vraiment été détruites, et aussi que je vous fournissais sur un plateau les moyens de dévaster ma planète ! Tout comme je n’avais pas besoin de savoir que Kivilis était une dictature qui réprime dans le sang toute tentative d’opposition, même pacifique ! Et je n’avais pas besoin de savoir non plus que je n’étais qu’un pion entre vos mains !

 Elle se dressait devant lui, vibrante de colère. Elle le haïssait. Oh, comme elle le haïssait !

— Ainsi donc, quelques jours chez les Libertans, et tu crois à leur propagande, dit-il, mi-réprobateur, mi-sardonique. Je te pensais moins crédule.

— Non ! protesta-t-elle, non, je n’ai pas voulu croire à ce qu’ils me disaient, tant que je n’ai pas assisté à ce qui se passait réellement lors d’une manifestation ! Et même là, je vous cherchais encore des excuses !

 Elle secoua la tête, dépitée. Elle avait tellement espéré… Non, elle avait tellement cru, en lui, en ce qu’il représentait ! D’un geste las, elle indiqua la vitre d’une main :

— Et pour le reste… acheva-t-elle. En ce qui concernait Armora, j’ai eu bien raison de les croire, il me semble…

 Leftarm croisa les bras.

— Et que prévois-tu de faire, maintenant ?

 Qu’il lui pose ainsi la question la prit au dépourvu. Qu’allait-elle faire, en effet ? Avait-elle la possibilité de faire quelque chose ? Non, bien sûr. Il ne faisait que retourner le couteau dans la plaie. Elle secoua de nouveau la tête, réprimant des larmes aussi soudaines que malvenues.

— Pourquoi m’avez-vous montré ça ? Vous saviez bien quelle serait ma réaction. Vous n’imaginiez quand même pas que je pouvais approuver un plan pareil !

— Effectivement, convint Leftarm. C’est pourquoi j’aurais préféré que tu ne viennes jamais ici. Tu n’étais pas censée venir ici !

 Au ton réprobateur de sa voix, par habitude, elle se recroquevilla. Mais tout aussitôt, la colère la reprit et elle se redressa de nouveau.

— Je n’étais pas censée… ? Vous imaginiez me cacher une chose pareille ? Quand je pense… quand je pense que je vous faisais confiance !

— Confiance ! répéta Leftarm avec ce qui ressemblait à de l’amertume. Comment oses-tu parler de confiance ? À moi ? Tu n’étais rien en arrivant ici, rien, une jayn empotée, une pré-tech ignorante ! Je t’ai offert la chance de ta vie, une position et un pouvoir tels que tu n’aurais jamais pu en rêver, et à la première occasion, tu m’as trahi !

— Je n’ai pas… commença-t-elle.

— Oh, je t’en prie ! la coupa-t-il. Tu crois vraiment avoir fait illusion, tout à l’heure ? Je dois reconnaître que ta petite histoire était bien jolie… quelqu’un qui ne te connaît pas pourrait peut-être s’y laisser prendre, mais ne me fais pas cet affront !

— Je ne vous ai pas trahi ! répéta-t-elle avec véhémence. Mais j’ai voulu vérifier par moi-même ce qu’on m’avait révélé. Et malheureusement, les Libertans avaient raison ! S’il y a un traître ici, c’est vous !

 Elle se tut, effarée. Ses paroles avaient dépassé ce qu’elle avait prévu d’exprimer. Leftarm se rapprocha, ses yeux jetant des éclairs. Elle recula et se retrouva bloquée par la vitre dans son dos.

— Tu ne m’as pas trahi, vraiment ? cingla-t-il. Alors que tu te promènes munie d’une fausse identité dans mes installations ?

— Dans ce cas, pourquoi m’avoir sauvée du Directeur, à l’instant ? contrattaqua-t-elle, refusant de céder à la peur alors qu’il la dominait de toute sa hauteur.

 Il balaya l’argument d’un geste agacé et se pencha vers elle, murmurant froidement :

— Je te croyais plus vive d’esprit, décidément ! Tu crois que je n’ai pas vu clair dans ton petit jeu ? Tu crois que je ne sais pas que tu n’es pas venue seule, mais accompagnée de Libertans qui ont pour objectif de détruire à nouveau ces installations ? Et tu oses me dire que tu ne m’as pas trahi ?

 Claire sentit ses jambes se dérober sous elle, une nouvelle fois. Il savait ! Malgré tout ce qu’elle avait raconté, elle ne l’avait pas abusé une seconde !

 Il sourit, d’un sourire froid de prédateur, dans lequel se mêlait, étrangement, ce qui ressemblait à du regret.

— Non, je ne savais pas. Je n’ai fait que le supposer, à ton trouble, aux fioritures inutiles de ton récit, au soin que tu as mis à éviter de mentionner certains détails de ta « captivité ». Tu avais étonnamment bien protégé tes pensées, mais tu n’as pas encore compris que ce n’était pas suffisant.

 Il se redressa, et s’éloigna brusquement.

— Alors maintenant, Assistante Monestier, vous allez tout me dire.

 Le retour au vouvoiement la glaça bien plus que les simples mots qu’il venait de prononcer. Ce n’était plus Leftarm, le professeur attentif qu’elle avait devant elle, ce n’était plus le protecteur, le mentor, celui qui l’avait sauvée du Directeur quelques minutes plus tôt. Non, c’était le Seigé, le Ministre des Questions de Sécurité. Celui qui n’hésitait pas à interroger lui-même les suspects. Celui qui avait torturé et tué Eléaga Fingelrod, la grand-mère de Marc. Elle n’avait pas voulu le croire, quand le jeune homme le lui avait affirmé, mais maintenant, avec tout ce qu’elle venait de découvrir, comment pouvait-elle encore en douter ?

— Je vous ai tout dit, se défendit-elle avec colère.

 Il secoua la tête. Il parut pensif quelques secondes, puis soudain son visage s’éclaira d’un sourire qui n’était qu’une mince ligne. Il prit son communicateur, et ordonna, sans la quitter des yeux :

— Suspendez les opérations.

Dans le hangar en contrebas, un officier leva la tête vers eux, interloqué.

— J’ai dit ! répéta Leftarm. Suspendez jusqu’à nouvel ordre.

 Il revint vers elle, l’air satisfait. Dans la salle, l’ordre fut relayé, et l’activité s’arrêta peu à peu. Les manutentionnaires s’assirent ou se mirent à discuter par petits groupes, levant parfois le regard vers la grande baie qui se dressait au-dessus d’eux. Les soldats restèrent en faction, mais les casques se tournaient les uns vers les autres, perplexes.

— Je suis peut-être stupide, mais pas à ce point, se défendit Claire. Comme si je ne savais pas que lorsque je vous aurai dit ce que vous voulez entendre, les opérations reprendront, comme si de rien n’était.

— Oh, je ne pensais pas à cela, répondit Leftarm. Mais si, pour chaque information valable que vous me donniez sur l’attaque en cours, vous gagniez une vie de votre planète… une vie de proche, par exemple… Une personne qui viendrait ici, qui recevrait le traitement lui permettant de survivre à Mazesley…

 Outrée, Claire s’apprêtait à répondre vertement de ce qu’elle pensait de son chantage quand il l’arrêta d’un geste.

— Non, ne vous précipitez pas. Je vais vous laisser le temps de réfléchir. Pesez bien le pour et le contre…

 Sur ces paroles, il referma son bayni et se dirigea vers la porte, sans plus se préoccuper d’elle. Alors que la porte coulissait, il se retourna et ajouta :

— Réfléchissez bien, jayn Monestier. Je vous laisse quelques heures, je ne doute pas qu’elles vous porteront conseil.

 Puis, dans un grand mouvement de cape, il disparut.

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