Chapitre 94 - Descente

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 Finalement, ce ne fut pas le Seigé, mais une escorte lourdement armée qui vint la chercher, la délivrant de son attente aussi vaine qu'angoissée. Claire hésita à leur sauter dessus et à les désarmer pour s’enfuir, mais abandonna rapidement l'idée. Ils étaient trop nombreux. D’ailleurs, ils devaient bien savoir qu’elle ne pouvait rien tenter, car ils ne prirent même pas la peine de la menotter.

 De toute façon, qu’aurait-elle fait ensuite ? Leftarm l’aurait tout de suite retrouvée. À moins qu’elle n'arrive à passer le Vortex…

 Et après ? Ça ne sauvera personne, de l’autre côté ! Par la maladie ou l’invasion, la Terre est condamnée ! Non, le seul espoir, maintenant, c’est que les Libertans réussissent leur pari fou et détruisent cet endroit avant qu’il ne soit trop tard…

 Et sinon…

 Sinon quoi ? Tu feras quoi ? Tu trahiras probablement les Libertans pour sauver ta famille ! Ah, ce n’est pas le beau rôle, mais ça risque bien d’être le tien, dans cette histoire !

 Quelques couloirs, puis ils montèrent dans un translift qui les entraîna loin dans les profondeurs du Complexe. La nuit était bien avancée et ils ne rencontrèrent quasiment personne dans les longs corridors soulignés de jaune et de marron, qui indiquaient qu’on l’emmenait dans un secteur de maintenance et d’industrie. Seuls quelques soldats vigilants, placés aux intersections, montaient la garde. Par endroit, le sol restait strié du bleu des installations scientifiques, comme dans la zone du Vortex. Pourtant, ils s'en éloignaient de plus en plus !

 D’énormes conduites, des câbles, des filins de toutes sortes longeaient les murs ; des symboles de danger et des avertissements étaient placardés un peu partout. Ils dépassèrent un nombre incalculable de portes et de sas de tailles diverses, certains assez larges pour laisser le passage à un véhicule d’assaut, d’autres de dimensions beaucoup plus modestes. Quelques-uns étaient équipés de hublots en plastacier : elle aperçut au passage des hangars, des réserves, ce qui ressemblait à des laboratoires, et d’autres pièces encore moins identifiables.

Où est-ce qu'ils m'emmènent ? Aucune trace du violet de la sécurité, ce ne sera donc pas une cellule ?

 Ils atteignirent finalement un cul-de-sac. Son escorte s’arrêta devant un dernier sas, solidement gardé. Sur un signe du soldat de tête, les sentinelles déclenchèrent l’ouverture, et une bouffée d’air froid et humide, au goût âcre et piquant, lui sauta au visage.

 De l’autre côté, en contrebas d’une rambarde de métal ternie, elle aperçut une salle immense, faiblement éclairée. Un entrelacs de passerelles s’étageait au-dessus d’un réseau de cuves gigantesques, serrées les unes contre les autres. Chacune était remplie d’un liquide bouillonnant, qui semblait briller de l’intérieur, recouvert d’une brume lourde, sous laquelle on devinait la substance frémissante. Des cylindres plongeaient dans les réservoirs depuis le plafond perdu dans les ombres, tandis que des tuyaux de toutes tailles filaient le long des équipements et des poutrelles.

 Un deuxième étage de passerelles de maintenance, plus étroites et sans rambardes, courait au-dessus des installations. Chacune supportait un fouillis de câbles, qui descendaient à intervalles réguliers vers les générateurs disposés entre les cuves.

 Avant qu’elle n’ait pu observer la scène plus en détail, les soldats la poussèrent vers la passerelle principale. Droit devant eux, elle s’élançait au-dessus des bassins frémissants, entre les colonnes de vapeur qui montaient des containers de refroidissement. L’air était empli de chuintements humides et de sifflements perçants, venant des machines qui entouraient les bacs et remontaient le long des poutrelles.

 Au centre de la salle, à demi dissimulée dans la brume glaciale, elle distingua bientôt une haute colonne, qui lui évoqua instantanément une pieuvre monstrueuse dont chaque tentacule plongerait dans l’une des cuves. Elle traversait une plateforme circulaire bordée de consoles de contrôle.

 Alors qu’ils approchaient, ils enjambèrent le corps inanimé d’un technicien. Puis d’un autre, affalé contre la rambarde. Son escorte ne ralentit pas. Claire déglutit, essayant de regarder droit devant elle.

 Plusieurs soldats montaient la garde sur la zone centrale. Les techniciens survivants étaient affairés sur leurs terminaux, l’air de souhaiter se trouver à tout prix ailleurs. Concentrés, ils ne dirent mot ni ne firent un geste à leur arrivée. Continuant diligemment à travailler, penchés sur leurs écrans et leurs manettes, ils ne jetèrent qu’un coup d’œil en leur direction. Elle sentait leur terreur. Des tabourets étaient renversés, des traces d’impacts achevaient de grésiller à plusieurs endroits, y compris sur la colonne monstrueuse et sur un certain nombre de pupitres. Un autre corps était étendu là, hâtivement poussé de côté sous une console. Les signes d’une récente et violente lutte étaient partout.

  Ils arrivèrent au pied de la pieuvre de métal, désormais, structure tellement énorme qu’elle masquait tout ce qui se trouvait de l’autre côté. Le pilier colossal était recouvert de tuyaux, d’écrans de contrôle et de voyants qui clignotaient faiblement. Une échelle grimpait le long de la colonne depuis le sol en contrebas, traversait le plancher par une fosse étroite sans garde-fou avant de rejoindre le réseau de passerelles dans les ombres au-dessus d’eux.

 Alors qu’un jet strident de vapeur non loin la faisait sursauter, son escorte s’arrêta sans un mot, en formation d’attente. S’immobilisant à son tour, Claire leur jeta un regard perplexe. Ils ne lui donnèrent aucune indication, se contentant de fixer la colonne devant eux.

 Quelques secondes plus tard, quand le sifflement de la vapeur givrée toute proche se fut enfin apaisé, elle entendit alors distinctement, de l’autre côté du pilier, des mots qui la glacèrent.

— … tomber si bas, disait Leftarm.

— Ce n’est plus mon père, répliqua durement une voix féminine qu’elle reconnut avec un pincement au cœur.

 Sans se préoccuper des soldats, qui n’esquissèrent d’ailleurs pas un geste pour la retenir, elle contourna la colonne, la gorge nouée. Elle savait déjà ce qu’elle allait voir.

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