Chapitre 97 - Fuite

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 Un bruit assourdissant leur fit rentrer la tête dans les épaules. Les soldats qui les maintenaient en joue levèrent leurs armes, cherchant l’origine des déflagrations qui cascadaient tout autour d’eux, tandis que les techniciens se jetaient à terre en criant. Le plancher se souleva sous leurs pieds, alors que des alarmes se mettaient à hurler dans tous les sens. Les passerelles qui menaient à la plateforme centrale se tordirent sous l’effet de nouvelles explosions, et commencèrent à pencher dangereusement vers le sol du hangar, loin en contrebas.

 Marc, l’œil soudain beaucoup plus vif, sourit, et Claire comprit. Pendant que Leftarm était occupé avec elle, il avait utilisé son poeïr pour déclencher... quelque chose.

 Le Seigé n’avait pas bougé, malgré le bruit et la plateforme qui s’était mise à tanguer. Il hocha la tête, vaguement amusé.

— Impressionnant, ce petit tour. Mais j’ai bien peur que cela ne vous serve pas à grand-chose.

 Il embrassa la salle du regard, puis les fixa à nouveau avec un dédain ironique, alors que les échos des explosions se taisaient, et que le sol cessait peu à peu de trembler.

— Vous avez peut-être réussi à déclencher vos détonateurs à distance, déclara-t-il, faussement contrit, mais vous n’aviez pas eu le temps de mettre suffisamment de charges pour faire de vrais dégâts. Tout ça pour ça !

 Le bref espoir qui l’avait saisie s’éteignit d’un coup, comme la flamme d’une bougie. Elle vit le sourire de Marc disparaître. Giles remua, essayant de se redresser, entre les soldats qui ne l'avaient pas lâché malgré les explosions.

 Dans la même seconde, ils entendirent un grand cri, puis un plouf, suivi d'un deuxième. Ils se regardèrent, interdits.

 L’un des techniciens courut vers le Seigé, paniqué.

Seigé ! C’est une catastrophe !

 Une nouvelle alarme se mit à sonner. Cette fois, une voix suave emplit l’air :

 Attention, attention ! Une surtension majeure a été détectée. Le système de refroidissement est corrompu. Pour votre sécurité, nous vous demandons d’évacuer immédiatement le Complexe. Attention, attention ! Une surtension majeure a été détectée…

 Les soldats qui les entouraient se lancèrent des regards incertains par-delà leurs casques. L'homme expliqua d’une voix blanche :

— Quand la passerelle Sud s’est effondrée, les collègues sont tombés dans les cuves ! Tous les deux !

— Qu’est-ce que vous attendez ? Sortez-les de là ! ordonna Leftarm.

 Claire porta une main à sa bouche, horrifiée. Il devait sans doute parler des deux techniciens blessés qu’elle avait enjambés… n’était-ce que quelques minutes plus tôt ?

— C’est trop tard, balbutia l'opérateur. Ils sont déjà morts !

— Je le sais bien ! coupa le Seigé. Mais il faut empêcher à tout prix le combustible de se réchauffer davantage !

— Les systèmes de sécurité ont été sabotés, Seigé ! rapporta un soldat qui arrivait en courant.

Attention, attention ! Une surtension majeure a été détectée…

— Il va y avoir une réaction en chaîne, hurla un autre technicien depuis sa console, hystérique. On ne peut pas stabiliser les réacteurs, pas avec deux cuves de refroidissement compromises ! Et les modules de sûreté ont été bypassés ! Il faut partir d’ici !

 Un craquement gigantesque couvrit la fin de sa phrase. La totalité de la salle se mit à trembler, les bassins au-dessous d’eux entrant soudain en éruption. Bientôt, des poutrelles métalliques et des câbles se détachèrent de la structure qui oscillait violemment. Ils tombèrent autour d’eux alors que de nouvelles alarmes et sifflements ajoutaient encore à la cacophonie ambiante. Une série de petites explosions parcourut la colonne centrale, remontant le long des condensateurs et faisant fondre les boîtiers de contrôle en dégageant une fumée âcre et épaisse.

 Le Seigé se tourna vers les Libertans.

— Vous êtes complètement malades !

 Pour une fois, il paraissait sidéré.

 Avant qu’il n’ait pu ajouter quoi que ce soit, une poutre plus grosse que les autres se détacha, percutant violemment la plateforme. Ils tombèrent tous à terre. Plusieurs soldats, déséquilibrés, furent projetés contre la rambarde. L’un d’eux bascula en arrière en hurlant.

 Son cri d’horreur alors qu’il chutait vers la brume bouillonnante s’interrompit net quand il disparut dans le liquide proche du zéro absolu. De puissants geysers de vapeur et d'éclaboussures jaillirent de la cuve endommagée dans un glapissement strident.

 Un autre soldat se trouvait coincé sous la monstrueuse poutre métallique qui s’était abattue avec fracas sur la plateforme. Il gémissait et appelait à l’aide, ses plaintes à peine audibles dans le tumulte ambiant. Des éléments du plafond continuaient à tomber autour d’eux, dans un déluge de gaz, de fumée, de débris et d’étincelles, alors que le hurlement assourdissant de l’alarme générale retentissait toujours. Derrière eux, la passerelle qui menait à l'extrémité de la salle avait disparu, emportée par l’explosion initiale. La plateforme centrale, privée d’appui de ce côté, oscillait dangereusement.

 Claire rampa jusqu’à Marc, réfugié sous une console. Giles et Camyl avaient profité de la confusion pour assommer les deux derniers soldats chargés de leur surveillance. Le pilote paraissait mal en point, mais son visage ensanglanté était empli de détermination. Il avait récupéré une arme et s'abritait avec Camyl sous l'ossature tordue d'une des passerelles supérieures. Une partie des étais qui supportaient la structure avait volé en éclat lors de la première série d’explosions, et l’extrémité la plus proche de la plaque métallique reposait maintenant, en équilibre instable, sur la console principale.

 La jeune fille risqua un œil prudent par-dessus l’enchevêtrement de métal fumant qui la séparait désormais de Leftarm.

 Le Seigé n’avait pas bougé malgré le chaos. Il était seul. Les techniciens s’étaient enfuis - ou étaient morts. Seuls deux soldats demeuraient près de la colonne centrale, toujours fidèles au poste, mais ils échangeaient des regards terrifiés par-delà leur casque.

 Elle sentit la haine du Seigé qui, si elle ne s’y était pas préparée, l’aurait assommée en un instant. Elle réussit à la contrer, mettant toutes ses forces dans la balance en un défi désespéré. Elle ne tiendrait pas indéfiniment, mais Leftarm ne submergerait pas ses barrières avant que tout ici n’explose, et il le savait.

 La superstructure se mit à vibrer encore davantage, alors que le hurlement de l’alarme s’intensifiait. À l’autre bout de la salle, du côté des transformateurs, une nouvelle série de violentes explosions se produisit, ajoutant à la fumée déjà épaisse qui régnait.

Seigé… commença l’un des soldats.

 Leftarm l’interrompit d’un geste impérieux, sans le regarder. Il fixait toujours Claire par-delà l’enchevêtrement de métal tordu qui les séparait, son poeïr cherchant à trouver une faille dans sa défense. Il savait tout comme elle qu’il était probablement trop tard et que la réaction en chaîne ne pouvait plus être arrêtée, pourtant il continuait à essayer de l’atteindre.

 Elle luttait de toute son âme contre la force qui tentait de la contraindre, tant physiquement que mentalement. Elle s’arc-bouta sur la console la plus proche, comme si cela pouvait l’aider.

 Soudain, une explosion encore plus intense que les autres se produisit et la projeta avec violence vers l’arrière, déséquilibrant par la même occasion le Seigé. Il s’agrippa à la colonne pour ne pas être éjecté à son tour. La connexion entre eux se rompit brusquement.

 Ce fut alors comme si le monde se disloquait dans un hurlement de métal tordu. La plateforme se souleva comme une mer démontée, s’arrachant aux passerelles autour d’elle tel un navire déchirant ses amarres. Le pilier monstrueux se mit à vibrer et à pencher, de la vapeur, de la fumée et des jets d’étincelles fusant de toute part.

 Claire vacilla alors que le sol s’inclinait brusquement. Elle chercha à s’accrocher à quelque chose, mais ne rencontra que le vide. Sa glissade s’accéléra d’un coup et elle sentit le bord du plancher au bout de ses bottes, puis plus rien, le néant. L’horreur la saisit alors que son corps basculait. Elle tendit la main, dans une tentative dérisoire pour attraper quelque chose, n’importe quoi, qui eut pu la sauver. Mais le sol de la plateforme était lisse, sans aspérités, et ses doigts glissèrent désespérément sur la surface polie. Elle tomba.

 Soudain, une main saisit la sienne, stoppa sa chute. Elle rencontra les yeux de Marc, fermement arrimé à son pupitre, qui lui agrippait solidement le poignet.

 Le corps tendu, elle mobilisa toute son énergie. Centimètre après centimètre, lentement, rassemblant la moindre parcelle de force qui lui restait, elle réussit à se rétablir, tremblante, le souffle coupé, à ses côtés, s’accrochant à la console qui s’inclinait de plus en plus.

 La vague mentale de l’attaque du Seigé s’était dissipée et elle ne parvenait pas à distinguer Leftarm dans le chaos ambiant, fait de crissements et d’explosions, de fumées et de vapeur. Elle tenta de se relever, cherchant Giles et Camyl du regard. La chaleur était devenue infernale, l’air envahi d'émanations toxiques qui rendaient la respiration douloureuse. Ce n’était qu’une question de secondes avant que leur abri précaire ne bascule lui aussi totalement et s’abîme dans les cuves en contrebas.

— Il faut partir d’ici !

 Marc la tira par le bras. Derrière, elle aperçut les deux Libertans qui leur faisaient signe. Ils s’étaient hissés sur la passerelle supérieure, qui avait ployé jusqu’à leur niveau, et dont l’autre extrémité était toujours reliée au réseau de maintenance, leur offrant ainsi une issue providentielle.

 Sans réfléchir davantage, Marc et Claire montèrent sur la console et sautèrent sur la structure branlante et fortement inclinée. Ils grimpèrent en s’accrochant aux bords coupants, tentant de ne pas penser aux cuves bouillonnantes en contrebas, alors que le rail de métal tremblait et gémissait sous leur passage.

 Cela leur parut une éternité, mais ils parvinrent bientôt à l’étage supérieur, où une balustrade encore presqu’intacte ceinturait la salle des générateurs. En prenant pied sur ce sol plus ferme, Claire jeta un regard en arrière. À travers la fumée et les flammes, elle crut apercevoir la silhouette du Seigé.

 Je te retrouverai, Claire !

 La menace et la haine qu’elle perçut dans cette pensée étaient si fortes qu’elle manqua s’étrangler et trébucha. Marc la retint avec fermeté, puis la tira vigoureusement par le bras, lui faisant franchir la porte la plus proche dans un bond. Ils se retrouvèrent dans un étroit corridor, où clignotait l’alarme générale.

 Attention, attention, une surtension générale a été détectée. Deux minutes avant perte de contrôle totale, attention, attention….

 Ils couraient droit devant eux, s’éloignant de la salle des générateurs. Claire n’avait aucune idée d’où ils allaient, et s’ils savaient ce qu’ils faisaient. Le couloir se termina bientôt en cul-de-sac, sur une énorme porte blindée et verrouillée. Elle comprit qu’ils étaient pris au piège. Giles pointa son arme et, avant qu’ils aient pu faire un geste, vida le chargeur sur la serrure. Cela ne changea rien, bien évidemment, et quand la fumée se dissipa, la porte était toujours là.

— Espèce de crétin ! jura Camyl d’une voix blanche. Tu viens de bousiller le mécanisme d’ouverture !

— Parce que tu as une meilleure idée ?

 La lumière papillota, s'éteignit. Ils se retrouvèrent dans la pénombre, seulement troublée de loin en loin par les lueurs rouges et clignotantes du système de secours.

— Les derniers générateurs ont lâché ! comprit Marc. Ce n’est plus qu’une question de minutes avant que tout n’explose !

 Prise d’une inspiration subite, Claire rassembla son poeïr et l’envoya sur la porte.

 S’il n’y a plus de courant, il n’y a plus de verrou magnétique…

 Tout d’abord, rien ne se passa. Parce qu’elle n’avait plus rien à perdre, elle persévéra. Marc la regarda en fronçant les sourcils, puis comprit ce qu’elle était en train de faire. Elle sentit son pouvoir se joindre au sien, l’épaulant, le renforçant. Soudain, la lourde porte commença à se soulever en grinçant. Luttant de concert, ils firent signe à Giles et Camyl, abasourdis, qui se hâtèrent de se glisser par l’interstice, puis ils se faufilèrent à leur suite, toujours intensément concentrés.

 Complètements accordés par la pensée, ils cessèrent leur effort à la même seconde. Avec un fracas sonore, la porte retomba lourdement derrière eux.

 Le souffle court, ils échangèrent un regard. Malgré la gravité de la situation, Claire se retrouva à rougir, sans vraiment savoir pourquoi. Ils avaient partagé quelque chose, et elle ne savait quoi. Marc ne dit rien, se contentant d’incliner légèrement la tête, mais elle sentit que lui aussi était troublé.

 Un toussotement les interrompit. Dans la faible lueur des éclairages de secours, narquois, Giles les fixait, tandis que Camyl hochait la tête d’un air entendu, auquel se mêlait ce qui ressemblait à de la résignation.

— Belle équipe, railla le pilote.

— On n’est pas tirés d’affaire, répliqua sèchement Marc. Allez, vite !

 Encore un couloir, puis une arche, et ils débouchèrent dans un nouveau hangar, beaucoup plus petit que celui des générateurs mais qui paraissait cependant immense dans la pénombre. Il était sporadiquement éclairé par les balises de sécurité, et ils aperçurent des établis, des treuils, des caisses et, au centre d’un berceau de montage, un vaisseau !

 N’osant croire à leur chance, ils se précipitèrent.

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