Chapitre 98 - Met-Ahne
Il n’y avait pas âme qui vive. Une équipe de robots-ouvriers travaillait, imperturbable, sur la coque effilée. Claire reconnut le symbole des usines Letacla, sur ce qui semblait un modèle haut de gamme, mais elle aurait été bien en peine d’identifier précisément le type du vaisseau. La carlingue était ornée de protubérances à l'usage inconnu, et la lueur des arcs à souder illuminait par intermittence la pénombre dans un crissement d’étincelles.
Un puits de lancement montrait ses ténèbres au-dessus de la forme fuselée de la navette. Une explosion retentit dans le lointain, puis une autre, beaucoup plus proche.
Il faut que cette navette soit en état de voler. Il le faut !
Le sas était ouvert, et ils se précipitèrent. Les lumières s’allumèrent alors qu’ils posaient le pied dans la coursive, et une voix furibonde les interpella :
— Eh bien, vous en avez mis du temps ! Qu’est-ce qu’il se passe, dehors, bon sang ?
Ils stoppèrent net, instantanément en posture de combat. Mais le couloir était vide. Une nouvelle explosion se produisit, plus terrible encore que toutes celles qui avaient précédé. Ils titubèrent alors que le sol se soulevait et tremblait.
— Waouh ! reprit la voix, geignarde cette fois. C’est quoi ce bordel ?
— Qui êtes-vous ? Montrez-vous ! s’écria Camyl, hors d’haleine.
— Je suis l’IA du MET-AHNE X1, qui d’autre ? Et, qui que vous soyez, j’aimerais bien que vous me fassiez mettre les voiles, parce que franchement, ça sent le roussi, là-dehors !
Ils se fixèrent un instant, interloqués, subitement encore plus inquiets, au moins pour trois d’entre eux. Qu’il y ait des intelligences artificielles dans un vaisseau, c’était usuel, et nécessaire étant donné l’importance des paramètres à traiter et vérifier dans l’espace.
Mais depuis la catastrophe de Boutae, un véritable tabou entourait les IA anthropomorphiques, et, depuis lors, personne ne se risquait à leur donner trop de pouvoir et surtout de personnalité. Or, à en juger par l’intonation et le vocabulaire de l’ordinateur de bord de la navette, ils avaient affaire à une IA dotée d’une certaine indépendance. Claire n’avait pas beaucoup d’expérience en la matière, mais jamais elle n’avait entendu un vaisseau parler de cette façon.
À voir la réaction de ses compagnons, eux non plus.
Une autre explosion se produisit, faisant trembler la coursive. La voix glapit de nouveau :
— Eh, grouillez-vous, ça urge grave, là !
Camyl haussa les épaules et courut dans la direction de ce qu’ils espéraient être le poste de pilotage. Personne parmi eux, Giles compris, ne semblait connaître ce type de vaisseau.
Heureusement, la spatione avait vu juste. Ils débouchèrent bientôt dans une cabine panoramique de la toute dernière modernité, même aux yeux de Terrienne de Claire. Au dehors, la fumée emplissait désormais tout le hangar. Des flammes immenses ravageaient l’endroit d’où ils étaient arrivés.
Un gros bouton clignotait sur la droite du tableau de bord profilé, à côté d’une indication « Verrouillage de sécurité – Stationnement ». Camyl l’enfonça et, immédiatement, le vaisseau commença à s’élever, alors que la voix s’écriait :
— C’est pas trop tôt ! Allez, on dégage !
Giles se précipita vers le siège du pilote, bousculant Camyl qui lui jeta un regard noir. La jeune femme s’installa dans celui du copilote, d’un air de défi, alors que Claire et Marc restaient debout derrière eux, s’agrippant aux fauteuils, retenant leur souffle.
Les quatre jeunes gens se rendirent vite compte qu’ils n’avaient rien à faire : Giles jura, impuissant, en constatant que le tableau de bord s’était verrouillé. L’IA avait pris les commandes avec autorité, et le vaisseau s’élevait avec célérité dans le puits d’accès, environné d’une fumée dense. Auraient-ils le temps de sortir avant que tout n’explose ? Ce n’était plus qu’une question de secondes !
Autour d’eux, les parois du conduit n’étaient plus qu’une longue traînée floue à cause de la vitesse. À quelle profondeur dans le Complexe se trouvait donc le hangar ? Quand déboucheraient-ils à l’air libre ?
La navette jaillit soudain du tunnel dans une boule de feu et se propulsa vers le ciel, alors que toutes les sirènes et les alarmes s’enclenchaient, et que de nombreux écrans saturés – ou leurs caméras détruites - s’éteignaient. Pendant quelques secondes, les baies du cockpit s’opacifièrent, en réaction à une trop forte lumière, mais les moteurs continuaient de rugir et le vaisseau de s’élever à une vitesse folle. Claire eut l’impression de sentir la fournaise qui se déchaînait dehors, mais n’était-ce que son imagination ?
Puis, tout aussi vite, les baies retrouvèrent leur transparence, la stridulation des alarmes s’éteignit et ils purent distinguer, à l’arrière de la baie panoramique, la boule de feu et de débris à laquelle ils étaient en train d’échapper, et dont ils s’éloignaient à vive allure.
Ils laissaient derrière eux un abîme de chaos et de destruction. Au vu des dégâts, une grande partie du Complexe Armora avait été dévastée.
Une nouvelle alarme résonna, les tirant de l’hébétude pétrifiée dans laquelle ils se trouvaient tous.
— Contrôle Planétaire à Vaisseau MET-AHNE X1 : le trafic est interrompu dans tout le secteur du Complexe Armora à la suite d’un incident majeur. Vous n’avez pas d’autorisation de vol. Veuillez renseigner votre code d’urgence ou vous poser immédiatement sur une aire appropriée.
— Ouais, bah on a eu chaud, brailla l’IA. Je lui dis quoi ? Vous avez un code, ou vous voulez qu’on se pose quelque part ?
Tous les regards se tournèrent vers Camyl, qui secoua la tête :
— On devait se trouver dans un transport cargo pour le retour ! Mes autorisations ne fonctionneront pas !
— J’ai… j’avais un code d’urgence, dit alors Claire. Un code vocal spécial de Leftarm... Je ne sais pas s’il marche encore, mais…
Leftarm avait-il eu le temps de s’enfuir ? Se pouvait-il qu’il soit mort ? Elle se sentait dépassée par l’énormité de ce qui venait de se passer, de ce qui se passait encore. Avait-il désactivé les codes qu’il lui avait donnés, il y a si longtemps ? Mais quel autre choix avaient-ils ? Ils ne parviendraient jamais à quitter la planète-capitale sans laissez-passer !
— Eh bien, vas-y, la pressa Camyl. Ça ne peut pas être pire que maintenant, de toute façon !
La navette avait continué sur sa lancée, et la gigantesque explosion n’était plus qu’un lointain nuage de fumée loin en dessous d’eux. Une nuée de vaisseaux s’éloignait du site de la catastrophe mais, plus haut, les files d’appareils qui encombraient les voies aériennes n’avaient qu’à peine ralenti. Le Contrôle Planétaire réitéra sa demande. Elle savait qu’au troisième appel, les batteries de laser en orbite les prendraient pour cible.
— Ouverture d’un canal vocal, commanda-t-elle après avoir pris une profonde inspiration. Code prioritaire de Bhénak, valeur écarlate. CNHJ-DEP-DRE8. Je répète, CNHJ-DEP-DRE8. Activation A-DXL2000.
Il leur sembla que la réponse prenait des heures. Mais quelques secondes plus tard, le communicateur bipa.
— Code accepté, MET-AHNE X1. Continuez sur votre trajectoire actuelle. Terminé.
Annotations
Versions