Chapitre 99 - Un nouveau départ

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 Le ciel était noir, piqueté d’étoiles brillantes et froides. On n’imagine pas, depuis la Terre, à quel point il peut y avoir d’étoiles dans le ciel, loin de toute lumière parasite. Ce qui avait le plus surpris Claire, lors de ses premières incursions dans l’espace, c’était l’aspect de ces étoiles. Loin de toute atmosphère, elles n’avaient pas ce scintillement familier des soirs d’été. Elles brillaient simplement, fixement, claires et lointaines.

 Mais, dans cet univers, elles n’étaient pas inaccessibles.

 Claire baissa les yeux. Elle était assise sur le plus haut gradin d’un petit amphithéâtre de pierre, dans un parc soigneusement entretenu, entre deux bâtiments bas aux toits inclinés. La pelouse parfaitement tondue voisinait avec les arbustes tout autant disciplinés et les fleurs plantées au cordeau. Un peu plus loin, une esplanade. Encore plus loin… les étoiles. Plus brillantes, plus nombreuses et plus froides qu’elle ne les avait jamais vues. Et pour cause. Seul un fin dôme de transparacier la séparait du vide spatial.

 Lorsque le groupe de Libertans avait enfin regagné le quartier général des insurgés, Claire l’avait contemplé lors de leur approche, abasourdie. C’était la première fois qu’elle le voyait depuis l’extérieur, car jamais encore, jusqu’à ce jour, elle ne s’était trouvée dans un cockpit à l’approche de la base des Libertans.

 Ce n’était pas du tout ce à quoi elle s'attendait.

 En face d’elle s’étendait une station orbitale de plaisance, du genre de celles qui gravitaient autour de Kivilis. Une sorte de gigantesque cylindre asymétrique, plus étroit en son milieu, couronné sur son extrémité la plus large d’un immense dôme d’acier transparent. Sous le dôme, des jardins, de multiples bâtiments, et même un lac, formaient un imposant complexe, réservé aux loisirs des oisifs fortunés de cet univers.

 Ces stations orbitales étaient des lieux de résidence excentriques, mais elle n’en avait jamais vu d’aussi grandes, ni d’aussi armées. Car il ne fallait pas s’y tromper : la structure avait été modifiée et agrandie, hérissée de passerelles et de rampes de chargements et de missiles.

 Camyl avait remarqué son air stupéfait.

— C’est vrai, avait-elle souri depuis le fauteuil du copilote, tu n’as jamais vu Claée de l’extérieur !

— Claée ?

— La Station Claée, avait précisé la jeune Libertan. Notre QG. À chaque fois que je la vois, j’ai l’impression de rentrer à la maison.

— C’est normal, c’est la tienne, avait répliqué Giles, vautré dans le siège du pilote. Franchement, si j’avais eu un truc pareil à moi…

 Les évènements d’Armora avait eu raison de tout vouvoiement entre les quatre jeunes gens. Survivre à une mort certaine, ça vous abat des barrières.

— Quoi, c’est à toi ? l’avait interrompu Claire en regardant Camyl. Il me semblait bien que Marc m’en avait parlé, mais je croyais qu’il me mentait…

— Marc, mentir ? avait ricané Giles. Il est désespérant d’honnêteté, celui-là ! Tu ne t’en es pas encore rendue compte ?

 Camyl l’avait fait taire d’un geste agacé.

— C’est tout ce qui fait le charme de ton frère, mais ça, tu n’es pas capable de le comprendre… Oui, Claée était à moi. Mais je l’ai donnée aux Libertans dès que j’ai quitté… dès que je les ai rejoints.

 Et Camyl, en peu de mots, lui avait expliqué comment, alors que les Libertans recherchaient un endroit d’où ils pourraient coordonner leurs actions, elle leur avait proposé d’utiliser Claée, qu’elle avait héritée de sa mère, issue d’une très vieille famille. Elle n’avait pas parlé cependant de la façon dont elle avait fui Kivilis et tourné le dos à son père. Son visage se fermait dès que le nom du Président Molla venait dans la discussion, et Claire n’osait pas encore lui poser de questions à ce sujet.

 Rapatrier puis utiliser Claée comme base militaire n’avait pas été sans mal. Un tel bâtiment avait besoin de beaucoup de personnel pour fonctionner et il avait fallu aussi s’assurer qu’il n’y avait pas à son bord de taupes qui les auraient livrés à Kivilis. Mais la plupart des employés de Claée servaient la famille Dadellei depuis des générations, et il leur aurait été inconcevable de trahir une représentante de la dynastie. Cela faisait maintenant deux ans que Claée était devenue leur quartier général, un QG fort pratique, car mobile.

 À l’origine, la Station Claée n’avait évidemment pas été construite dans un but militaire. Son étage supérieur, sous le Dôme, était constitué d’un immense parc parsemé de bâtiments bas, de courettes, de bassins et de jardins suspendus. Si tout le reste de la station avait été modifié, avec l’aménagement de nombreux hangars à vaisseaux et l’ajout de systèmes d’armement sophistiqués, Camyl avait cependant insisté pour que les Jardins restent intouchés. Ils étaient certes beaucoup moins bien entretenus qu’auparavant, car le personnel manquait et les fonds étaient attribués prioritairement à d’autres postes de dépenses, mais ils demeuraient quand même accessibles à tous, une oasis de calme et de verdure dans la froideur du vide spatial.

 Maintenant, Claire était assise là, dans la curieuse lumière crue, non réfractée, d’un lointain soleil, sous un ciel de velours noir piqueté de diamants bruts, dans un parc arboré où tout était artificiel, et où la brise n’existerait jamais. À des centaines d’années-lumière, le Complexe Armora n’était plus que cendres, et les plus hautes instances de Kivilis avaient lancé un avis de recherche interplanétaire la concernant, elle, ainsi que ses trois compagnons. Jamais un tel montant de récompense n’avait été proposé. Leurs portraits tournaient en boucle sur les chaînes d’information. Curieusement, nul ne faisait le rapprochement entre le président Molla et sa fille, comme si elle n’avait jamais existé. Sur Kivilis et ses planètes affiliées, la censure tournait à plein régime.

 Quant à Claire… elle ne savait pas encore ce qu’elle allait faire. Probablement allait-elle rester ici, au moins un moment. Ne serait-ce que parce que tous les chasseurs de primes et milices planétaires du Quadrant étaient à ses trousses et la trouveraient si elle faisait un seul pas en dehors de la Station.

 Rejoindre les Libertans ? Certes, elle avait beaucoup de respect pour Marc et Camyl, mais elle jugeait leur combat vain. Kivilis ne pouvait pas être renversée, c’était une pieuvre aux trop nombreux tentacules. Et la renverser, pour la remplacer par quoi ?

 Avec l’explosion d’Armora et la destruction du Vortex, la Terre était sauvée, pour l’instant. Du moins, elle l’espérait, car il lui restait tant de questions sans réponses ! Est-ce que les soldats de Kivilis avaient eu le temps de disséminer Mazesley sur sa planète avant l’explosion ? Comment avaient-ils compté s’y prendre ? Était-ce très contagieux ? Du peu qu’on lui avait expliqué quand elle était tombée malade, ce virus ne se transmettait pas directement de personne à personne, mais il était présent dans l’air et le sol de quasiment toutes les planètes du Quadrant. Était-ce mieux ? Était-ce pire ? Leur action avait-elle été assez rapide pour protéger la Terre ?

 Ou pas ?

 Elle avait cru souffrir le martyre, quand elle avait été si brutalement arrachée à ses proches. Maintenant, elle se rendait compte qu’il y avait bien pire encore : ne pas savoir s’ils avaient survécu… et avoir choisi, sciemment, de ne pas saisir la chance de les sauver.

 À ce moment-là, elle ne pensait pas survivre longtemps à sa décision, qui lui avait paru la seule possible, même si elle était idiote, folle, romantique. C’était sans compter sur l’habileté et le génie de Marc et des défunts Bert et Messia. Ils avaient bricolé des explosifs avec le matériel fourni par Yanel, et les trois Libertans avaient réussi à en installer une partie sur place avant que les soldats n’arrivent, que Leftarm ne les prenne au piège, que les détonateurs ne leur soient confisqués.

 Le poeïr du jeune homme lui avait permis de les déclencher à distance quand tout semblait perdu, et la chance avait fait le reste, leur offrant une voie de sortie et une navette.

 Elle avait survécu. Maintenant, elle était condamnée à vivre avec ce poids de ce choix.

 Avec le recul, elle se disait que, si folle et irresponsable qu’elle ait paru sur le moment, sa décision avait peut-être été la moins mauvaise. Comment imaginer, connaissant son mentor, que ses parents et sa famille auraient été en sûreté sur Kivilis ? Certes, ils auraient été soignés, elle n’en avait aucun doute. Mais ensuite ? N’auraient-ils pas été les garants de sa bonne conduite ? Avec ce qu’elle avait découvert sur les capacités de manipulation de Leftarm et du Directeur, il valait peut-être mieux qu’ils soient restés sur Terre, hors d’atteinte.

 Ce qui ne rendait pas les choses plus faciles pour autant.

 Elle savait que Leftarm avait survécu. Elle le savait, au plus profond d’elle-même, tout comme il savait qu’elle avait réussi à s’échapper. Elle savait aussi que désormais, il la traquerait. Et que, sans aucun doute, un jour, il la retrouverait. Elle n’espérait pas survivre à une deuxième confrontation avec sa Némésis, mais elle pouvait essayer de s’y préparer, du mieux qu’elle pouvait.

 Avec un soupir, elle partit à la recherche de Marc. Le jeune Wardom était le seul qui allait pouvoir l’aider.


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Et voilà, ce premier tome de cette trilogie est fini ! Merci de m'avoir lue jusqu'au bout !
J'espère que ça vous a plu, et si vous n'avez jamais commenté, c'est le moment de me donner un avis général,  je suis curieuse d'avoir votre avis ;)


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