Chapitre 3

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 Claire serra ses jambes contre elle, se recroquevillant sur la banquette froide et inconfortable, faite d’une matière lisse qui n’était ni du métal, ni du tissu, ni du plastique, mais qui semblait un mélange étrange entre les trois. Elle ne pouvait s’empêcher de trembler. Si elle en croyait sa montre, cela faisait près de quatre heures qu’elle était enfermée ici, sans avoir vu personne. Elle aurait dû être rentrée depuis longtemps !

Mes parents vont me tuer !

 Toutes ses affaires lui ayant été confisquées, elle n’avait aucun moyen de les prévenir. Ils devaient être fous d’inquiétude !

Ils ne vont jamais me croire, en plus, quand je leur raconterai ça !

 À cette heure, ils avaient sûrement déjà prévenu la police. Elle qui détestait tant se faire remarquer…

Tout le lycée va être au courant, génial… !

 Bizarrement, cette idée, et la colère de ses parents, l’inquiétaient beaucoup moins qu’elle ne l’aurait imaginé seulement quelques heures plus tôt.

Si ça me permet de rentrer chez moi, ce ne sera pas trop cher payer, je pense…

 Mais était-elle donc ? Dans des installations aménagées dans les sous-sols de la ville ? Cela paraissait le plus logique, évidemment, bien qu’improbable…

Mais je n’ai pas eu l’impression de descendre, quand j’ai passé… traversé… franchi ce fichu truc !

 L’homme avait appelé l’étrange objet flottant un « Vortex ». Quoi que ce cela veuille dire, cela ne présageait rien de bon. Mais Claire refusait encore, obstinément, de se l’avouer.

 Pourtant, entre la langue, l’aspect technologique totalement étranger de cet endroit, avec ses couloirs colorés, cet éclairage fait de plafonds luminescents, ces portes qui se rétractaient dans les murs, ces soldats habillés comme dans de vieux films de science-fiction… sans compter cet homme, avec sa cape de super-héros un peu ringard, qui lui avait parlé mentalement… l’idée s’insinuait, bien qu’elle la refoulât de toutes ses forces.

J’en suis sûre, je n’ai pas rêvé ! J’ai entendu les mots directement dans ma tête !

 Mais une telle chose était impossible. C’était de la science-fiction, acceptable peut-être dans ces séries et ces films qu’elle regardait avec délectation, il y a – était-ce possible ? - quelques heures encore, mais pas dans la réalité…

 Pourtant, elle était bien passée à travers quelque chose. C’était un passage, comme une trouée dans l’air, qui l’avait menée ici. À partir de là, toutes les options étaient possibles. Y compris, aussi fou que cela paraisse, que ce soit une technologie avancée.

Genre, extra-terrestre. De la téléportation, un portail, ou quelque chose comme ça. Ou pire !

Et, dans ce cas, que je ne sois plus sur Terre…

 Elle secoua la tête, chassant d’un revers de main rageur les larmes de panique qui lui montaient aux yeux. Elle avait déjà suffisamment pleuré comme ça !

 Dès que la porte s’était refermée sur les gardes, évidemment, elle avait éclaté en sanglots. Elle savait bien que cela ne changerait rien à sa situation, mais elle avait été incapable de se retenir. Heureusement, personne ne la voyait, et elle avait laissé libre cours à ses larmes, souhaitant et redoutant à la fois que quelqu’un ne la surprenne.

 Mais nul n’était venu, et, ne pouvant pleurer indéfiniment, elle avait fini par se reprendre. Pourtant, parfois, les larmes revenaient de manière inopinée.

De la science-fiction…

 C’était une chose que d’accepter tout naturellement ces choses-là au cinéma, c’en était une autre que d’y être réellement confrontée. Et pourtant, l’idée folle demeurait, s’incrustait. Car tout cela, elle l’avait vécu, ressenti. Aussi incroyable que cela puisse paraître, c’était presque la seule façon d’expliquer ce qui venait de se passer.

 Et enfin, dernier détail… elle s’ennuyait trop pour que ce soit un rêve.

Sans portable, sans musique, sans même un livre, c’est vraiment la misère, ça oui… ! Je suis bien réveillée, ça ne fait aucun doute !

 Elle avait traversé quelque chose. Et quelqu’un lui avait parlé en esprit. Réellement. Alors… si elle décidait de croire ce qu’elle avait vu et entendu, l’incroyable devenait réel.

A moins que je ne sois complètement folle.

 Elle ne savait pas laquelle des deux options elle préférait.

 Tel était l’état de ses réflexions quand la porte s’ouvrit enfin, laissant place à l’homme à la cape.

 Il arborait un air aussi sévère et mécontent que lorsqu’il avait ordonné aux gardes de l’amener ici, mais étrangement, Claire se sentit soulagée de le revoir. On ne l’avait pas oubliée, et probablement, elle allait enfin avoir des explications…

 Elle sauta sur ses pieds, fébrile. D’un geste, il lui indiqua le siège le plus proche, avant de s’asseoir de l’autre côté de la table. Il tenait une tablette en plastique, très fine, qu’il posa entre eux d’un geste brusque. Elle entrevit brièvement une suite de symboles inconnus, avant que la surface ne devienne totalement transparente.

Bon, résonna de nouveau la voix dans son esprit. Où en étions-nous ?

 Nerveuse, elle se redressa. Ne pouvant s’empêcher de trembler, et espérant que les larmes ne viendraient pas la prendre en traître, elle demanda précipitamment, les mots se bousculant dans sa hâte :

— Excusez-moi, monsieur, combien de temps est-ce que je vais encore rester ici ? Et qu’avez-vous fait de mes affaires ? Il faudrait que je prévienne mes parents, ils vont s’inquiéter… !

Vous n’êtes pas obligée de parler tout haut, intima alors la voix. Pensez simplement à ce que vous voulez dire.

Mais c’est dingue ! Comment il arrive à faire ça ? ne put-elle s’empêcher de penser, avant de se dire, un peu tard, que s’il arrivait à lui parler en pensées, il pouvait probablement entendre la moindre de ses réflexions.

Là n’est pas la question ! claqua la voix, toujours aussi glaciale. Ce qui importe, c’est de savoir comment une gamine indigène de PKX348E3 a bien pu arriver jusqu’ici et mettre en péril toute cette opération !

PKX348E…? Indigène… ? répéta-t-elle, voyant ses pires suppositions se confirmer. Que voulez-vous dire exactement ?

PKX348E3, reprit la voix avec une nouvelle nuance d’impatience. C’est le nom sous lequel votre planète est répertoriée.

 Ainsi, elle avait vu juste ! C’était impensable… et pourtant, elle savait que l’homme en face d’elle disait la vérité. Avec cette voix qui lui parlait directement dans la tête, impossible de se dire que tout cela n’était qu’une blague. Et pourquoi aurait-on monté un canular si élaboré ?

Et… je suis où, exactement ? demanda-t-elle d’un ton atterré.

Vous vous trouvez sur la planète Kivilis, répondit négligemment l’homme. De l’autre côté de la Galaxie, par rapport à votre propre planète.

 Elle se recula sur sa chaise, le dévisageant avec stupeur. Même si elle avait fini par s’attendre à ce genre de révélation, malgré toute sa bonne volonté, elle n’aurait jamais imaginé entendre les faits exposés ainsi, de façon si plate, si factuelle.

 Mais l’homme en face d’elle continua à lui poser des questions, sans prêter attention à sa réaction sidérée. Paradoxalement, cela l’aida à rendre plausible l’inconcevable... De sa « voix » froide et précise, il exigea alors qu’elle lui détaille de quelle manière elle avait trouvé ce fameux « vortex », lui demandant notamment si elle avait remarqué d’autres personnes aux alentours avant de traverser, et s’il y avait beaucoup de monde « de l’autre côté ».

 Elle commença par répondre par la négative, avant de se rappeler l’homme en combinaison grise, sous les arcades… Comme s’il lisait en elle – ce qui était le cas, en réalité - l’homme parut capter l’image qui lui était venue à l’esprit, et exigea des explications. Lorsqu’elle lui raconta ce dont elle se souvenait, son interlocuteur parut fortement agacé. Il lui demanda des précisions, mais elle ne se rappelait malheureusement pas de grand-chose. Elle l’avait à peine vu, ce type en combinaison !

 Quand est-ce que je vais pouvoir rentrer chez moi ? finit-elle par implorer, alors que l’homme s’était interrompu pour observer un bracelet métallique qu’il portait au poignet en fronçant les sourcils.

 C’est alors qu’un grondement sourd, lointain d’abord, puis tout à coup beaucoup plus fort, se fit entendre, et ils levèrent tous deux les yeux en direction du plafond.

 L’éclairage clignota et s’éteignit brièvement avant de se rallumer. Elle sentit la table et le sol trembler violemment, alors que le grondement continuait. Le plafond papillota plusieurs fois, incertain, puis une sirène se mit à retentir.

 Elle réprima un cri. L’homme s’était brusquement levé. Il sembla écouter quelque chose qu’elle n’entendait pas, puis il saisit sa tablette et bondit vers la porte, dans un grand mouvement de cape, sans un regard en arrière.

Attendez ! Qu’est-ce qui se passe ?! s’affola-t-elle en voyant qu’il partait.

Ne bougez pas ! intima la voix dans son esprit alors que l’homme actionnait l’ouverture de la porte et disparaissait brusquement à sa vue.

 Avant que le panneau ne se referme, elle eut encore le temps de voir des gens courir dans le couloir et d’entendre des cris et des appels au loin. Malgré l’ordre de l’homme, elle contourna la table et se précipita à sa suite, mais la porte se referma avant qu’elle ne l’ait atteinte. Il n’y avait pas de poignée, comme elle l’avait déjà découvert, et elle se retrouva de nouveau enfermée, appuyant frénétiquement sur le montant, à l’endroit où venait de le faire son interlocuteur, mais en vain.

 La lumière continua à papilloter, alors que le grondement et les secousses se poursuivaient. D’autres alarmes hurlaient dans le lointain. Elle entendit des bruits de cavalcade et des exclamations diverses à l’extérieur de la pièce. Terrifiée, ne sachant que faire d’autre, elle se réfugia sous la table, trop affolée pour pleurer, persuadée que sa dernière heure était arrivée.

 Le grondement finit par diminuer, de même que les tremblements du sol, et l’éclairage du plafond se stabilisa, mais les alarmes et les bruits divers et étouffés continuèrent pendant un long moment.

 Que s’était-il donc passé ? Est-ce que tout ça avait un rapport avec ce qui lui était arrivé ? Était-elle en danger ?

 Rassemblant son courage, elle finit par sortir de son refuge, et frappa quelques coups hésitants sur la porte.

 Un soldat ouvrit alors, et lui fit signe de reculer. Elle ne pouvait pas voir ses yeux, juste sa bouche sous la visière sombre. Il lui demanda quelque chose, du moins, c’est ce qu’elle supposa. Sans doute, pourquoi elle tapait sur la porte. Ou alors, il lui expliquait ce qui s’était passé ?

 Elle écarta les mains, essayant de montrer qu’elle ne comprenait pas. Il haussa le ton, et elle secoua la tête, impuissante à se faire comprendre. Il finit par lui indiquer le lit d’un geste brusque, avant de reculer d’un pas. La porte se referma et elle se retrouva de nouveau seule.

 Un peu moins effrayée, cependant. Quoi qu’il se soit passé, il y avait toujours des gens non loin, même s’ils n’étaient pas très accueillants. Mais au moins, ils étaient là…

 Obéissant au soldat, elle retourna s’asseoir sur la banquette, et attendit.

 Les heures passèrent. Personne ne revint vers elle, ni le soldat, ni l’homme à la cape. Elle avait faim, et soif, s’ennuyait comme un rat mort, mais cela ne semblait pas préoccuper ceux qui la retenaient prisonnière.

 Beaucoup plus gênant, elle sentait monter, de plus en plus urgemment, un besoin pressant. Pourtant, rien qui ne ressemblât à des toilettes dans la pièce…

 Quand elle ne put plus tenir, elle tambourina de nouveau sur la porte.

Je suis stupide, j’aurais dû en parler à cet homme, lui, au moins, il me comprends, il aurait pu m’aider !

 Mais l’homme n’avait pas reparu, et elle s’était résolue à demander au soldat, morte de honte – mais il le fallait, sinon, elle finirait par se faire dessus, ce qui était une option encore moins envisageable.

 Au bout de ce qui lui parut un long moment, la porte s’ouvrit enfin sur le soldat, qui aboya une phrase que, bien évidemment, elle ne comprit pas. Mais en se tortillant d’un air suppliant et en indiquant son bas-ventre, elle réussit à faire passer son message, puisque le soldat finit par hocher la tête, et lui montrer le gros escargot de métal, dans un coin, dont elle ne voyait pas du tout comment il pouvait s’agir de toilettes.

 Devant son air perplexe, il secoua la tête et, lui faisant signe de reculer, rentra dans la pièce, pointant son arme vers elle. Il se dirigea vers l’installation et appuya sur une plaque, juste au-dessus.

 Avec un vrombissement sourd, l’escargot de métal bascula d’un quart de tour, révélant ce qui ressemblait, effectivement, à une cuvette de toilettes. Le soldat lâcha quelques mots d’un ton peu amène – sans doute se moquait-il d’elle – puis appuya de nouveau sur la plaque. La cuvette rebascula d’un quart de tour, se plaquant en position verticale contre le mur alors qu’un grondement sourd retentissait. Le soldat appuya alors sur une deuxième plaque, non loin, qui surmontait un autre renflement métallique. Ce dernier bascula, révélant un lavabo semi-circulaire. L’eau coula quelques secondes, avant d’être remplacée par une soufflerie, puis l’installation bascula de nouveau, se plaquant contre le mur, de nouveau quasiment invisible.

 Elle se confondit en remerciements. Il ne pouvait pas la comprendre, mais le ton était sans doute éloquent, car il hocha la tête et eut un bref geste de la main, avant de reculer et de ressortir tout aussi vite, alors que la porte se refermait.

Comment j’aurais pu deviner que c’étaient des toilettes, ça, franchement ? En tout cas, je suis bien passée pour la fille arriérée, c’est clair !

 Mais le plus important, c’était qu’elle pouvait désormais se soulager. Sans attendre, elle se précipita vers l’installation et appuya sur la plaque d’ouverture.

 C’était divin.

 Ceci réglé, elle se remit à tourner en rond. Jamais de sa vie elle ne s’était trouvée ainsi désœuvrée, sans musique à écouter, sans vidéos à regarder, sans même le moindre livre à lire… Epuisée, elle se pelotonna de nouveau sur la banquette, et c’est là qu’elle finit enfin par s’endormir, en pleurant, vaincue par la peur et la fatigue.

Kivilis, il a dit ? Sérieux, qu’est-ce que c’est pour un nom, ça ?


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