Chapitre 6

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 Une nouvelle nuit dans cette cellule, chambre, ou quel que soit le nom qu’on lui donnât. De longues heures passées à se morfondre, à pleurer encore, et à s’interroger sur cet homme et sur ce qu’il attendait d’elle.

 Un soldat – impossible de savoir s’il s’agissait du même - lui porta, sans un mot, un nouveau repas, avec des aliments au goût tout aussi étrange que la première fois. Elle essaya de manger, sans y parvenir. La boule qui lui plombait l’estomac depuis qu’elle avait compris qu’elle ne pourrait pas rentrer chez elle l’empêcha d’avaler plus que quelques bouchées.

 Entre ces murs aveugles, impossible de deviner si le jour arrivait. Sur sa montre, elle voyait lentement les heures passer, mais réalisait qu’elle n‘avait aucune idée de la durée d’une journée. Depuis sa « traversée », il s’était écoulé quarante-huit heures. Ou seulement trente-six ? Elle ne savait déjà plus. Sous ce plafond éternellement lumineux, elle avait l’impression que sa vie d’avant était déjà loin, très loin.

 Au cours de cette nuit interminable, elle se retrouva plusieurs fois à pleurer, à hoqueter de façon incontrôlable, alors que l’énormité de la situation la submergeait. Ses parents lui manquaient déjà tant, ils devaient être tellement inquiets !

Ce n’est pas possible ! Je ne peux pas ne jamais les revoir ! Cet homme s’est forcément trompé !

 Mais la réalité était là, terrible. La pression lui semblait alors si forte, qu’elle avait l’impression qu’elle allait éclater. Elle ne savait pas si elle souhaitait, ou craignait, que quelqu’un ne vienne voir ce qui se passait, mais la porte resta obstinément close. Chaque crise de larmes la laissait plus fatiguée que la précédente.

 Puis ce fut le matin. Elle avait fini par s’endormir, épuisée, et le soldat la réveilla en lui apportant ce qui était probablement le petit déjeuner : une bouillie au goût différent, une sorte de tisane, et des biscuits caoutchouteux. Là encore, elle ne put avaler plus d’une bouchée. Un peu plus tard, le soldat revint et lui fit signe de le suivre.

 Elle se sentait sale et poisseuse. Elle n’avait pas changé de vêtements depuis deux jours, peut-être même trois, et elle rêvait désespérément d’une bonne douche et d’un coup de peigne. Mais elle n’osa rien demander.

 Le soldat la guida à travers une nouvelle partie du bâtiment gigantesque, sans un mot. Depuis qu’elle avait accepté la proposition de Seigé Leftarm, elle n’avait plus qu’un seul soldat comme escorte, et il gardait son arme au côté. Une marque de confiance ?

Ils craignaient quoi, au juste, avant ? Que je m’enfuie ? Vers où, de toute façon ?

 Ils débouchèrent dans un immense hangar, occupé par une navette à la forme allongée, couleur bronze, hérissée de tubulures et à peu près de la taille d’un jet privé, sur Terre, mais en beaucoup plus massif.

 Des soldats en uniforme vert et noir montaient la garde, tandis que d’autres vérifiaient des circuits derrière des panneaux ouverts sous la coque. L’air était curieusement piquant. Il y avait du bruit, de l’agitation, des sifflements de vapeur, tant de choses à voir qu’elle ne savait plus où regarder, oubliant temporairement son abattement pour ne garder que la stupéfaction.

 Le soldat la conduisit directement vers une grande rampe qui se noyait dans les entrailles du vaisseau. Drapé dans sa cape, l’énigmatique Seigé se trouvait déjà là, conférant dans le couloir avec un homme vêtu lui aussi de vert et noir. Celui qu’il fallait bien appeler son nouvel employeur tourna la tête en sa direction et fit un bref signe à son escorte, qui la guida alors, par un escalier étroit, jusqu’à l’étage supérieur, qui ne ressemblait en rien à ce qu’elle aurait imaginé.

 Elle s’était attendue aux lignes épurées, au design fonctionnel qu’on pouvait trouver dans un avion, un jet privé, ou encore dans les images aseptisées des vaisseaux spatiaux de science-fiction qu’elle connaissait. Mais si l’idée générale restait la même – de part et d’autre d’une large allée centrale, plusieurs sièges capitonnés étaient disposés en face à face, entre deux longues baies ovales qui donnaient sur l’activité fourmillante du hangar – le style en était totalement différent.

 Ici, la couleur bronze dominait. Les sièges recouverts de velours vert étaient si profonds qu’ils en paraissaient noirs. Les murs et le plafond incurvés, réhaussés de moulures et de gravures, donnaient davantage l’impression de se retrouver dans le Nautilus que sur l’Enterprise.

 Le soldat lui indiqua un fauteuil, lui fit signe de s’asseoir et lui boucla aussitôt son harnais. Puis il tourna les talons et disparut avant qu’elle n’ait eu le réflexe de le remercier.

 L’appareil bourdonna, presque imperceptiblement. Par la baie, elle vit les techniciens et les soldats s’écarter. Ils allaient décoller ! L’excitation la prit alors, la peur et le désespoir passant soudain au second plan. Elle qui n'était jamais montée dans un avion avait-elle vraiment embarqué dans une navette spatiale ?

 Elle se pencha vers la fenêtre autant que le permettaient la profondeur de son siège et la ceinture qui la sanglait, résolue à ne pas manquer le moindre détail.

 C’est alors qu’un bruit de pas retentit derrière elle. Seigé Leftarm remonta l’allée entre les sièges, et s’arrêta à sa hauteur. À regret, elle détacha son regard du hublot pour lever la tête vers son « employeur ».

Moi, employée par quelqu’un ? Ça fait trop bizarre, ça, sérieux !

— Nous nous rendons à Bhénak, mon domaine privé, sur le Continent Oriental, annonça-t-il. C’est là que vous serez formée.

 Ni un bonjour, ni même un sourire. Elle décida de ne pas le prendre pour elle : elle commençait à comprendre que c’était sa façon d’être. Alors qu’il détournait le regard sans rien ajouter de plus, poursuivant vers l’avant de l’appareil, elle rassembla tout son courage et lança :

— Excusez-moi, mais de quel type de formation s’agit-il, exactement ? Que devrais-je faire ?

 Il s’arrêta et se retourna.

— Considérez cela comme faisant partie des services spéciaux.

 Elle écarquilla les yeux, incrédule. Elle n’était pas vraiment sûre de ce qu’il entendait par là, mais si c’était bien ce à quoi elle pensait, elle entrevoyait déjà un problème de taille. Devait-elle le lui cacher ?

 Non, puisqu’il lit dans les pensées… et puis de toute façon, il l’apprendra très vite, alors autant commencer tout de suite aussi honnêtement que possible !

— Vous savez, hésita-t-elle, je ne suis pas très douée, côté… enfin, je ne suis pas très sportive.

Je suis même une quiche en sport, je déteste ça !

 Il la fixa sans répondre, et elle sentit le rouge lui monter aux joues. C’était extrêmement déstabilisant de se dire que non seulement il lisait probablement ses pensées, mais en plus, de ne pas pouvoir savoir jusqu’ il les avait lues ! Entendait-il vraiment tout ?

 Le silence s’éternisa, et elle baissa la tête et fixa ses genoux, confuse. Le bourdonnement s’intensifia, et du coin de l’œil, elle vit le paysage à l’extérieur changer.

Mince, j’ai raté le décollage !

 Il la prit alors au dépourvu en répondant :

— J’apprécie votre franchise.

 Elle releva les yeux vers lui, rassurée. Mais il ajouta d’une voix froide :

— Sachez que j’exige toujours, et la vérité, et l’excellence. Vous vous rendrez d’ailleurs compte toute seule qu’il est parfaitement vain d’essayer de me mentir.

Tu m’étonnes, s’il lit dans les pensées, c’est évident ! J’ai une tête à mentir ?

Enfin…

… J’enjolive parfois légèrement les faits, mais c’est pas pareil, non ?

 Elle rougit. Avait-il entendu ça aussi ?

 Il la fixait, de ses yeux insondables, qui ne cillaient pas. De manière inexplicable, elle qui n’avait jusqu’à présent jamais pu soutenir le regard d’un adulte, prit sur elle de ne pas baisser la tête.

 Jamais quelque chose ne lui avait paru plus difficile. Pourtant, elle réussit à garder la tête haute. Sans savoir pourquoi, cela lui paraissait important.

— Bien, conclut-il, avec une lueur de satisfaction pensive. Nous nous comprenons.

 Sur ce, il se détourna enfin, et disparut à l’avant de l’appareil. S’efforçant de chasser le malaise qui l’avait envahie, se demandant si elle avait bien fait de tenir bon, et se demandant pourquoi elle l’avait fait, la jeune fille fixa le paysage qui défilait désormais à une vitesse folle loin en dessous d’eux. L’excitation avait disparu.

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