Chapitre 7

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 La navette s’était posée.

 A la grande déception – mais aussi, en vérité, au soulagement - de Claire, ce premier vol, qui avait pourtant duré presque deux heures, ne l’avait pas emmenée dans l’espace. Elle avait seulement vu défiler sans fin, loin en dessous d’elle, un paysage urbanisé, qui avait fini par être remplacé par une mer, ou un océan, d’un bleu bien plus foncé que ce qu’elle imaginait de leurs homologues sur Terre. Puis de nouveau les terres, avec de longues séries de bâtiments sinueux qui se succédaient à l’infini.

 Contrairement à ses craintes, la verdure n’était pas totalement absente de la planète, même si elle ne vit pas trace de champs ou de prairies. Mais des parcs, petits et grands, et même ce qui ressemblait à de grands bois jalonnaient encore la mégalopole - ainsi que des rivières, soigneusement canalisées. Les immeubles, énormes, immenses, étaient omniprésents, mais elle n’avait pas vu les sombres canyons de verre et de métal, totalement déshumanisés, auxquels elle s’attendait. La plupart des édifices, massifs, n’étaient pas dénués d’une certaine grâce, même depuis les hauteurs stratosphériques d’où elle les contemplait. Des arches, des jardins suspendus, des ponts et des rampes reliaient les différents quartiers et si tout paraissait construit et domestiqué, sous le soleil matinal le paysage se révélait étonnamment agréable à regarder.

 La circulation était intense. Des files de navettes et de vaisseaux parcouraient le ciel en tous sens et à tous les niveaux. Elle n’avait aucune idée de leur vitesse, mais ils semblaient tous se déplacer bien plus vite que tout ce qu’elle avait jamais vu sur Terre. Et pourtant, l’intérieur de la navette était silencieux, hormis un léger bourdonnement, et nulle secousse ou turbulence n’était venue lui rappeler qu’elle se trouvait en plein ciel.

 Puis le vaisseau avait amorcé sa descente vers le sol. Une descente extrêmement rapide, sans que la décélération ne soit pourtant perceptible, avant que la navette ne se pose sur une esplanade creusée sur le flanc d’une colline solitaire, dressée au milieu d’une vaste plaine vierge de toute construction.

 Son nouvel employeur réapparut alors, son ample cape balayant lourdement l’air autour de lui. Abandonnant l’examen du paysage, elle tritura soudain son harnais, les mains moites, tandis que l’homme remontait l’allée centrale d’un pas lent. Il marqua un temps d’arrêt à sa hauteur.

Bon sang, comment ça s’ouvre, ce truc ?

 Elle se sentit rougir jusqu’à la racine des cheveux, alors qu’elle continuait fébrilement à presser le mécanisme exotique de toutes parts. Du coin de l’œil, elle voyait les plis amples de l’épaisse cape vert foncé de son protecteur, immobiles. Elle n’osa pas lever la tête, tentant désespérément de se sortir seule de ce mauvais pas.

 Quelques secondes, qui lui parurent une éternité. Une main passa devant elle, saisit la ceinture et, d’un geste, la déboucla. Sans un mot, Seigé Leftarm se redressa et continua son chemin.

 Se sentant parfaitement idiote, elle se leva et le suivit.

Parfait. Complètement ridicule dès le premier jour. Une assistante, moi ? Tu parles ! D’ici ce soir, je vais plutôt me retrouver à nettoyer les toilettes !

 Ils passèrent devant une rangée de soldats au garde-à-vous et descendirent la rampe, posant le pied sur l’esplanade, du côté opposé au paysage qu’elle avait vu depuis son hublot. Devant le spectacle qui se dévoila alors devant elle, elle resta bouche bée.

 Sans le moindre nuage, le ciel de ce début de matinée était d’un bleu aveuglant, presque blanc, strié de longues lignes s’entrecroisant très haut sur l’horizon : le trafic intense des navettes qu’ils venaient de quitter.

 Mais bien que le soleil fût déjà haut dans le ciel, il se trouvait masqué par un bâtiment immense, de l’autre côté de la place monumentale, qui traversait la colline sur toute sa largeur. Semblable à une antique forteresse – mais une forteresse démesurée, surtout pour des yeux plus habitués aux immeubles modestes d’une ville de province qu’aux gratte-ciels – la construction de pierre brune étendait son ombre jusqu’à la navette, pourtant posée à bonne distance.

 Ses deux tours massives et trapues s’élançaient très haut vers le ciel. Entre elles, un édifice tout aussi énorme, haut de près de soixante étages, peut-être plus. La partie basse de la formidable construction, constituée de pierre brute, n’arborait aucune fenêtre, contrairement à la partie supérieure, constellée de centaines, peut-être de milliers, de baies reflétant le bleu trop pâle du ciel.

 Derrière eux, la rampe se releva dans un chuintement aigu. Claire se retourna pour regarder la navette qui, presque immédiatement, décolla dans un grondement sourd, laissant traîner une odeur âcre qui la saisit à la gorge. Machinalement, elle la suivit du regard alors qu’elle s’élevait et disparaissait de l’autre côté de la colline. Cela ne dura que quelques secondes et pourtant, quand elle tourna la tête, elle s’aperçut que Seigé Leftarm ne l’avait pas attendue. Il était parti d’un bon pas en direction de l’édifice, la distançant déjà. Maudissant son inattention, elle se hâta de le rejoindre, frissonnant dans la fraîcheur matinale.

Décidément, je les fais toutes ! Allez, ma vieille, là, il va vraiment falloir se reprendre, et vite !

 Au bout de plusieurs minutes de marche, alors qu’ils sentaient la masse écrasante du bâtiment au-dessus d’eux peser de plus en plus sur leurs épaules, ils atteignirent une porte immense, à double battant, richement sculptée et ornementée. Seule entrée visible sur toute la façade de la forteresse, ses montants incrustés de dorures et de formes tarabiscotées formaient un étonnant contraste avec la façade brute qui les entourait.

 Bien que démesurée - une dizaine de mètres de hauteur, peut-être davantage – la porte paraissait minuscule à l’aune du reste de l’édifice. Elle était en bois, ce qui surprit Claire : depuis son arrivée ici, elle n’avait vu que de la pierre ou ce plastique étrange, qui ressemblait à du métal sans en être vraiment, et elle avait commencé à se dire qu’elle ne croiserait plus jamais ce matériau si commun chez elle et qui, sur une planète entièrement urbanisée, était probablement extrêmement rare. D’une certaine façon, elle fut réconfortée à cette simple idée que la nature, ou l’un de ses éléments, n’avait pas totalement disparu…

 Alors qu’ils approchaient, les hauts battants sculptés pivotèrent lentement vers l’intérieur, s’ouvrant sur l’obscurité. Cette fois, elle prit bien garde à ne pas laisser son ébahissement l’arrêter, et suivit son guide, qui s’enfonça sans hésiter dans le gouffre sombre.

 Malgré ses bonnes résolutions, en franchissant le seuil, la jeune fille resta une fois de plus bouche bée. Monumentale, la salle à l’intérieur était plus vaste, plus haute et plus sombre qu’une cathédrale. L’écho de leurs pas se répercutait sur les larges voûtes, entre les innombrables arches qui couraient d’une rangée de colonnes à une autre. Les immenses vitraux qui couronnaient les murs représentaient des scènes mystérieuses, aux personnages vivement colorés. Pourtant, Claire n’avait pas vu d’ouvertures à l’extérieur de la forteresse : comment faisait donc la lumière pour arriver ainsi de tous côtés ?

Des projecteurs, sûrement. En tout cas, ça en jette carrément ! Je me demande à quoi un endroit pareil peut bien servir…

 Bien qu’elle se hâtât derrière la haute silhouette de son employeur, elle ne pouvait s’empêcher d’admirer, fascinée, le jeu de lumières qui traversait les vitraux. Les taches multicolores ainsi projetées sur le sol rendaient encore plus opaques les zones d’ombre, percées de motifs lumineux qui s’entrecroisaient à même le sol. Sous leurs pieds couraient de vastes arabesques, formant d’énormes et mystérieux dessins, noirs, blancs et or. L’air, frais, était chargé d’une odeur indéfinissable, sèche et ancienne.

 Devant elle, Seigé Leftarm marchait d’un bon pas, sa cape volant lourdement autour de lui. Alors que les portes derrière eux se refermaient avec un claquement lugubre, la lueur du dehors disparut, ne leur laissant pour les guider que le chatoiement des vitraux et les motifs étincelants sinuant au sol.

 Contre le mur du fond, entre deux colonnes encore plus colossales que les autres, se dressait un large escalier de pierre. Après un palier, il se divisait en deux autres volées de marches, tout aussi imposantes, qui rejoignaient deux portes monumentales. À son pied, deux silhouettes les attendaient respectueusement.

 A leur approche, l’homme et la femme, tous deux d’allure stricte et sévère, le visage impassible, s’inclinèrent sans bruit, en si parfaite synchronisation que cela en paraissait mécanique. Sans leur jeter un regard, Seigé Leftarm passa devant eux et commença à gravir les marches.

 Claire risqua un coup d’œil timide sur le couple, se sentant, une fois de plus, totalement déplacée : elle ne savait pas si elle devait les ignorer ou les saluer – et dans ce dernier cas, comment elle devait s’y prendre. Heureusement, ils lui épargnèrent cette peine en restant tous les deux inclinés à son passage, sans relever la tête.

 Elle suivit son employeur, se sentant vaguement impolie. Arrivé sur le premier palier, Seigé Leftarm partit sur l’escalier de droite. Alors qu’elle allait lui emboîter le pas, une voix féminine toussota :

Jayn Monestier… ?

 Elle se retourna. Les deux employés les avaient suivis sans bruit et la femme, s’inclinant légèrement, lui montrait l’escalier de gauche.

 Encore ce jayn. Mais cette fois, dans la bouche de la femme, il ne semblait pas avoir cette intonation méprisante qu’elle avait sentie les autres fois.

— Veuillez me suivre, s’il vous plait…

 Indécise, la jeune fille chercha une indication quelconque du côté de Seigé Leftarm, mais celui-ci continua son chemin comme s’il n’avait rien entendu. L’autre employé en profita pour les dépasser, emboitant sans mot dire le pas à son patron. Cependant, en passant à côté d’elle, il lui fit un petit signe de tête… signe de tête qui pouvait aussi bien être un encouragement à suivre la femme qu’à lui emboiter le pas, à lui.

 Claire sentit alors la colère l’envahir. À quoi jouait donc celui qui s’était pourtant instauré son « protecteur », aussi bien que son employeur ? Il ne pouvait pas ne pas avoir entendu !

Non mais, sérieux, une petite indication, ce serait trop demander ? Pour qui il se prend, à la fin ?

 Après un dernier coup d’œil à la haute silhouette qui s’éloignait, elle décida de suivre la femme. S’il avait voulu qu’elle l’accompagne, il serait sans doute intervenu !

Et s’il ne sait pas où je suis passée, tant pis pour lui ! Il finira bien par me retrouver !

 Comme consciente de son dilemme, la femme lui souriait d’un air engageant. Serrant les lèvres, Claire lui emboîta le pas, et elles s’engagèrent sur l’escalier de gauche.

 Au sommet, une haute porte de bois sculpté les attendait. Elle tourna silencieusement sur ses gonds à leur approche, révélant un couloir moderne et bien éclairé. Après l’immense salle sombre et moyenâgeuse qu’ils venaient de traverser, le contraste était saisissant, et Claire plissa les yeux, éblouie, alors qu’elles passaient sous le linteau monumental.

 La porte se referma sans bruit derrière elles. Son nouveau guide s’anima alors, comme si le fait de quitter le hall grandiose – ou la présence de Seigé Leftarm - faisait soudain tomber un masque.

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