Chapitre 8 - La Coordinatrice

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 C’était une solide matrone d’âge mûr, aux cheveux courts et bouclés, d’un blond presque blanc. Elle portait une longue tunique bleu sombre à col polo, aux manches évasées, sur un pantalon blanc très large resserré aux mollets sur de petites bottines. Cela lui donnait une allure curieuse, un peu dansante, renforcée par sa petite taille.

— Seigé Leftarm m’a chargé de m’occuper de vous, annonça-t-elle d’une voix étonnamment grave, en la guidant le long du couloir. Je suis Elanore Matoovhu, Responsable Coordination du Secteur B de Bhénak. Vous êtes Claire Monestier, la future assistante, n’est-ce pas ?

 Claire acquiesça, un peu gênée. Être qualifiée « d’assistante » d’une personne importante comme son nouvel employeur lui semblait étrange, et même un peu ridicule. Elle n’avait aucune compétence, d’aucune sorte !

Ils vont vite comprendre que je ne fais pas l’affaire ! Ça se voit à son regard, d’ailleurs, elle se demande ce que je fais là ! Pourvu qu’elle ne me pose pas trop de questions !

 Après qu’elle eut accepté d’entrer à son service, Seigé Leftarm lui avait bien fait comprendre que le projet « Celer », le nom de code du Vortex, avait été mené dans le plus grand secret. Mais ce secret incluait-il ses employés ? Et sans mentionner Celer, qu’avait-elle le droit de dire sur elle ? Sur ce qu’elle savait, et surtout sur ce qu’elle ignorait ?

Elle a l’air hyper sévère, en plus. Même quand elle sourit, elle fronce les sourcils !

 Heureusement, devant son silence, la femme nommée Elanore Matoovhu n’insista pas et, d’un pas vif, la guida vers une batterie d’ascenseurs. Elle passa son poignet sur une plaque, et l’une des portes s’ouvrit après une note étouffée.

— Niveau B14, commanda la digne matrone. Deux personnes, autorisation spéciale du Seigé n°475.

 La porte se referma, et quelques instants plus tard Claire eut l’impression que son estomac lui descendait dans les talons. Elle déglutit, appréciant aussi peu l’expérience que la première fois, dans l’ascenseur avec les soldats. Mais déjà la cabine ralentissait et s’arrêtait.

— On ne badine pas avec la sécurité, ici, expliqua la femme avec le plus grand sérieux alors qu’elles sortaient de l’ascenseur. Chaque personne doit être identifiée pour pouvoir emprunter un turbolift. Il faut une autorisation spéciale pour procéder autrement. Vous en prendrez vite l’habitude, vous verrez.

 Claire hocha la tête, sans être sûre de tout comprendre.

— Vous ne devez pas hésiter à faire appel à moi, si vous avez un problème, ajouta son guide, comme en écho à ses pensées. On vous a attribué un logement dans le secteur B14-B.

— Merci, répondit Claire.

 L’autre eut l’air surprise.

— Oh, mais il n’y a pas de quoi… Quand êtes-vous arrivée sur Kivilis ?

— Avant-hier, répondit sombrement la jeune fille – plus amèrement qu’elle ne l’aurait voulu.

 Ainsi rabrouée, Elanore Matoovhu se tut, non sans lui lancer à la dérobée un regard inquisiteur. Claire ne s’étendit pas davantage, et pourtant, après le mutisme autoritaire de Seigé Leftarm, le simple bavardage de son guide, si normal, lui faisait déjà étonnamment du bien.

 Ici, les murs peints de couleurs pastel étaient réhaussés de moulures tarabiscotées, noires et argentées, soulignées de bandes lumineuses qui baignaient le couloir d’une lumière douce. Des panneaux métalliques recouverts d’inscriptions, dans cet alphabet inconnu déjà aperçu à de nombreuses reprises, jalonnaient les parois. Sur le sol, curieusement souple, les mêmes bandes de couleur que dans l’autre bâtiment, mais ici, elles étaient principalement grises, même s’il s’y mêlait parfois des lignes rouges, violettes et vertes.

 Malgré son côté criard, cette similarité s’avérait presque réconfortante. D’autant plus que, très rapidement, elle trouva un nouveau sujet de vertige, fascinant autant qu’intimidant : contrairement à tous les couloirs qu’elle avait parcourus depuis sa traversée, ici, les lieux étaient bondés, et des hommes et des femmes de tous âges – même si aucun n’était aussi jeune qu’elle – parcouraient les couloirs d’un pas pressé.

 Parfois munis de tasses fumantes, ou de ces tablettes transparentes qu’elle avait déjà remarquées, ils discutaient par petits groupes sur le pas des portes. D’autres patientaient devant des ascenseurs, ou s’interpelaient avec bonne humeur d’un seuil à l’autre.

 Son employeur lui avait dit que la République de Kivilis englobait des centaines de planètes, mais si l’idée des extra-terrestres lui avait traversé l’esprit, elle l’avait rapidement oubliée, d’autant plus qu’elle n’en avait pas vu un seul jusqu’à présent.

 Ce n’était plus le cas.

 Dans la foule des employés se trouvaient des humanoïdes à la peau bleue, l’air parfaitement normaux, carnation indigo mise à part. D’autres arboraient une peau d’un vert très pâle, et un curieux visage aux yeux allongés, dépourvu de nez et de cheveux.

En fait, tout le monde ici, à part moi, est un extra-terrestre… même Elanore Matoovhu, qui a pourtant l’air aussi « humaine » que la conseillère d’éducation du lycée... Elle lui ressemble un peu, d’ailleurs, j’espère qu’elle n’est pas aussi stricte !

Mais quand même, ici, certains font un tout petit peu plus « extra-terrestre » que les autres !

 Impressionnée, la jeune fille essayait de toute ses forces de ne pas dévisager les créatures étranges, de peur que tout le monde ne devine immédiatement à quel point tout ceci était nouveau pour elle. Elle ne put cependant retenir un cri de surprise quand, au détour d’un couloir, elle se retrouva face à un bipède reptilien, au museau allongé, qui lui arrivait à peu près aux épaules. Vêtu d’une sorte de toge à manches longues, le monstre tenait entre ses mains aux doigts extraordinairement longs un étroit gobelet empli d’un liquide fumant.

 Devant son mouvement de recul, l’individu marqua un temps d’arrêt, protégeant soigneusement son verre. Elanore Matoovhu s’exclama :

— Ah, bonjour, Secrétaire Thranca ! Vous tombez bien ! Est-ce que vous pourrez passer à mon bureau d’ici 1200 ? C’est au sujet de cette session extraordinaire du Concile…

— Bien sûr, Coordinatrice, acquiesça l’autre d’une voix étonnamment flutée, qui contrastait totalement avec les écailles qui recouvraient son museau de crocodile.

 Il pencha la tête, observant de ses yeux fendus Claire, qui essayait vainement de dissimuler son appréhension.

— Votre amie a un souci ? interrogea-t-il alors de sa voix mélodieuse, retroussant les babines et dévoilant encore davantage ses crocs luisants en ce qui était – peut-être - une parodie de sourire.

Jayn Claire vient d’arriver, précisa son accompagnatrice d’un ton sec, comme si la jeune fille avait fait preuve de grossièreté. Elle n’a probablement pas l’habitude de la diversité de Bhénak. Claire, je vous présente le Secrétaire Thranca. Il est Premier Assistant du Dynaste Vithon, le représentant de Skamaïn, la planète d’origine des Skamanites, comme vous le savez certainement. Secrétaire, voici Claire Monestier, une de nos nouvelles recrues du B14.

— Vous me voyez enchanté de vous rencontrer, s’inclina la créature en un long mouvement sinueux. Je vous rassure, ajouta-t-il d’un ton de conspirateur, je ne mange les jeunes Humains que si je n’ai pas eu mon petit déjeuner.

 Cela eut le mérite d’arracher un léger sourire à son austère chaperon, alors que Claire bredouillait un bonjour inaudible.

— Thranca, vous êtes incorrigible.

— C’est un de mes nombreux talents, Coordinatrice, répliqua l’extra-terrestre en s’inclinant encore plus bas – tout en réussissant à ne pas renverser son verre rempli à ras bord. Je suis désolé, s’excusa-t-il ensuite en montrant le récipient, je vais devoir vous laisser : le Dynaste attend son xobjedd, et il préfère quand il est brûlant…

— Mes amitiés au Dynaste, répondit Elanore Matoovhu. Nous ne vous retiendrons pas plus, alors.

 La créature – le Skamanite, donc, si Claire avait correctement retenu le nom de son espèce – poursuivit son chemin d’un pas trottinant, tenant sa tasse avec précaution. L’adolescente ne put s’empêcher de se retourner et de le suivre du regard, fascinée. Elle fut rappelée à l’ordre par un toussotement discret de la Coordinatrice, qui fronçait les sourcils. Rougissante, elle s’empressa de lui emboîter le pas.

— Il y a un certain nombre de non-hums à la Résidence, expliqua son guide alors qu’elles continuaient leur route. J’ignore les usages de votre planète d’origine, mais ici, comme sur tous les mondes civilisés, il est très impoli de dévisager aussi ouvertement une personne d’une autre espèce, même pour les jayns. Vous avez de la chance, le Secrétaire est moins susceptible que la plupart des Skamanites…

— … je suis désolée, murmura-t-elle, honteuse.

— Ça ira pour cette fois, fit l’autre, magnanime, mais je compte sur vous pour maîtriser mieux vos réactions à l’avenir ! Je ne voudrais pas qu’il y ait d’incidents… certains non-hums sont vraiment pointilleux sur cette question, vous le savez bien ! Être jayn n’excuse pas tout !

 Claire s’arma alors de courage :

— Excusez-moi, mais que veut dire exactement jayn ?

 L’autre la regarda en haussant les sourcils, et elle se demanda quelle bourde elle avait encore commise. Que savait son interlocutrice à son sujet, exactement ?

Est-ce qu’elle sait que je viens d’une planète vraiment arriérée, genre ?

 Probablement pas, car elle semblait prendre pour acquis que la jeune fille était accoutumée à l’existence d’autres espèces – du moins, à l’idée de l’existence d’autres espèces. Et que les termes étranges qu’elle utilisait parfois lui étaient familiers.

 Or, si la connaissance de la langue inculquée de manière tellement improbable par le Seigé Leftarm lui permettait de comprendre les gens et de s’exprimer comme dans sa langue maternelle, un certain nombre de termes – qui n’avaient probablement pas d’équivalent en français – lui demeuraient pourtant obstinément étrangers. Et notamment ce jayn qui la tracassait depuis la veille.

Jayn ? Eh bien… comment dire ça ? C’est un terme générique pour désigner les jeunes d’une espèce – quelle que soit l’espèce. Au-dessus des tout-petits, pas encore capable de se débrouiller seuls, mais pas encore des adultes responsables, vous voyez ?

 Claire hocha la tête sans répondre, mortifiée.

— Je ne voulais pas vous vexer, reprit la femme en voyant son air peiné. Je vois bien que vous êtes une jeune fille intelligente. Mais c’est une expression tellement courante ici pour s’adresser à une jeune personne, je n’ai pas pensé…

— Non, ça va, pas de soucis, répliqua Claire en s’efforçant de sourire. C’était juste pour savoir.

Déjà que je me demande à quoi je vais bien pouvoir servir, ici, si en plus on me jette constamment à la tête que je suis une gamine, ça va être encore plus compliqué que prévu…

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