CHAPITRE 11 – Première soirée à Bhénak
Elanore Matoovhu était partie.
— Puis-je vous aider ? demanda la secrétaire aux yeux roses devant son air indécis.
Claire caressa un instant l’idée de demander un guide pour retrouver sa chambre, puis pensa à l’homme dans le bureau à quelques mètres d’elle. Il escomptait sûrement qu’elle soit autonome le plus rapidement possible, à elle de lui montrer qu’elle n’était pas aussi stupide qu’elle le semblait, toute jayn et « pré-tech » qu’elle soit !
Masquant son appréhension, elle refusa poliment, puis sortit dans le couloir.
Un premier ascenseur l’attendait. Il s’ouvrit devant elle.
— Niveau B14, secteur B, annonça-t-elle timidement.
— Destination impossible, énonça une voix mécanique. Ce turbolift dessert uniquement les zones protégées du Secteur A.
Interdite, elle fixa les parois lisses, sans le moindre bouton ou panneau de contrôle, sentant la panique l’envahir.
On a pris deux ascenseurs, oui, pour venir ici. Mais c’était quoi, la destination intermédiaire ? Mince, j’aurais dû faire plus attention !
— Une destination doit être énoncée, ou le système se mettra en alerte, prévint alors l’ascenseur. Alerte dans quinze secondes.
Il ne manquait plus que cela ! Elle ne pouvait pas se permettre de se ridiculiser dès les premières minutes où elle se retrouvait seule, comme la stupide jayn qu’elle était !
Qu’avait dit la Coordinatrice, déjà ?
— Alerte dans dix secondes, annonça la voix désincarnée.
Essayant de réfréner sa panique, elle tenta de réfléchir et de se remémorer les paroles d’Elanore Matoovhu.
— Alerte dans cinq secondes. Quatre… trois…
— Niveau A27 ! cria-t-elle alors que la mémoire lui revenait soudain. Zone K !
Le décompte s’interrompit.
— Destination autorisée, valida la voix imperturbable.
La cabine s'élança, et elle sentit son cœur remonter dans sa poitrine. Quelques secondes plus tard, les portes s’ouvrirent dans une antichambre qu’elle reconnut, soulagée. Elle était bien passée à cet endroit avec la Coordinatrice.
Deux OLS se trouvaient en poste devant l’ascenseur, de chaque côté de la porte. Non sans appréhension, elle présenta son poignet à l’appareil identificateur du premier soldat, comme elle avait vu Elanore Matoovhu le faire.
Mais ce dernier refusa d’un geste.
— Les identités ne sont vérifiées que pour l’accès au Grand Bureau, expliqua-t-il. Le contrôle à la sortie est inutile, jayn.
Elle rougit violemment.
Évidemment ! Je suis vraiment débile !
Persuadée d’avoir vu les deux soldats échanger un regard narquois, elle hocha la tête, et se dirigea vers la sortie, espérant n’avoir pas l’air trop ridicule.
Heureusement, elle avait bien mémorisé cette partie du chemin. Après quelques couloirs, elle reconnut le deuxième ascenseur, non gardé. Celui-ci accepta sa requête initiale sans plus de formalités et, quelques instants plus tard, elle était de retour dans le secteur résidentiel.
Elle erra quelque peu, mais finit par retrouver le chemin de sa chambre. Sur son lit, elle découvrit une combinaison grise, sertie d’un galon vert et noir, dans une matière plus épaisse et résistante que du sweat, mais tout aussi élastique. Une tunique assez épaisse, vert clair, une paire de bottes et deux lots de sous-vêtements complétaient l’ensemble. Elle essaya les bottes, qui lui allaient parfaitement. Comment son employeur – ou la Coordinatrice – avaient-ils pu avoir ses mesures ? En tout cas, ces habits tombaient à point nommé : enfin, elle allait pouvoir se laver et se changer !
La douche était minuscule. Il n’y avait ni robinet ni mitigeur, juste un pavé de douze touches, disposée sur quatre rangées et ornées de dessins inconnus. Avec hésitation, elle pressa le symbole en bas à gauche.
On dirait des gouttes d’eau, non ? Ou de la pluie ?
Avec un claquement sourd, une poudre jaune surgit soudain des quatre coins du cubicule, la noyant instantanément dans un brouillard pâle et piquant.
Purée ! Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
Toussant et crachant, elle se frotta les yeux, aveuglée, avant de presser au hasard une autre icône. Par chance, cette fois, une eau tiède se mit à tomber en pluie du plafond. Toujours hoquetant, elle rinça la poudre, qui s’enfuit en rigoles dorées dans une ligne d’évacuation, au bas du mur principal.
Non mais sérieux ! D’abord les toilettes, et maintenant ça !
Trempée, elle examina avec plus d’attention les symboles. Ceux des côtés, pour les trois premières lignes, étaient identiques. Seul celui du milieu changeait. Les trois derniers boutons, en bas – dont celui de la poudre ! – étaient, eux, tous différents.
Alors qu’elle restait immobile sous l’eau tiède, n’osant appuyer sur aucun autre bouton de peur de déclencher une autre catastrophe, une voix synthétique annonça que l’eau était rationnée. Quelques instant plus tard, les symboles de la troisième ligne s’illuminèrent, en lieu et place de la première. L’eau s’arrêta et une soufflerie se déclencha. En moins d’une minute, l’air chaud qui jaillissait de tous côtés la sécha complètement.
Elle sortit de la douche, frustrée. Elle aurait préféré rester beaucoup plus longtemps sous l’eau. Et, sans savon ni shampooing, hormis cette poudre bizarre, elle n’avait pas l’impression d’être vraiment plus propre qu’avant.
Dans une niche à côté du lavabo escargot, elle trouva un peigne, de forme aisément reconnaissable. Mais les accessoires suivants étaient beaucoup plus intrigants, et elle les tourna un moment en tous sens, sans parvenir à déterminer leur fonction. Il y avait un petit appareil en forme de Y, percé de minuscules trous sur ses branches supérieures, ainsi qu’un boitier qui ressemblait à trois coquillages fixés les uns sur les autres. Elle ne trouva ni brosse à dent, ni déodorant, et se dit qu’il faudrait qu’elle se renseigne auprès de la Coordinatrice. Si elle l’osait.
Vraiment, elle va me prendre pour une crétine !
En soupirant, Claire revêtit ses nouveaux sous-vêtements, frottant machinalement son poignet. Le slip et la brassière, très couvrants, étaient fait d’un tissu extrêmement fin, souple et brillant. La combinaison lui posa plus de mal, jusqu’à ce qu’elle comprenne que les longues fermetures qui partaient des hanches et remontaient de chaque côté jusqu’au cou étaient aimantées et que leur verrouillage se gérait par une pression sur le col – découverte faite par hasard, après une longue bataille avec l’habit récalcitrant. Après quoi, la tunique, fermée par le même système, lui parut d’une simplicité enfantine.
Cependant, une fois habillée, elle s’examina dans le miroir de la salle de bain d’un œil critique. N’était-ce qu’une impression, ou les habits étaient-ils trop grands ? Ils tire-bouchonnaient sur les chevilles et les poignets, et étaient bien trop larges au niveau des épaules. Était-ce bien comme cela que cela se portait ? Ou Elanore Matoovhu s’était-elle trompée de taille ?
Elle s’assit sur son lit, épuisée par toutes ces complexités inattendues.
S’il me faut une heure juste pour m’habiller, je ne suis pas près d’arriver à grand-chose ici !
Elle savait qu’elle aurait dû faire l’effort d’aller manger, mais alors qu’elle se retrouvait enfin seule, enfin propre, elle ne se sentait pas le courage d’aller de nouveau affronter des gens, quels qu’ils fussent, dans la « salle commune ».
Elle se sentait vidée. Tout allait trop vite ! Elle avait peut-être pu s’illusionner, penser que ce n’était qu’un rêve, ou un cauchemar, mais la douleur dans son avant-bras lui rappelait que tout était bien réel. Follement intéressant, impressionnant, et même exaltant, d’une certaine manière, peut-être, mais dès qu’elle se laissait aller à ce sentiment un peu euphorique, immédiatement, elle se rappelait qu’elle n’avait aucun moyen de faire machine arrière. Désormais, elle était ici, et jamais elle ne reverrait plus….
Elle pleura comme elle n’aurait pas pensé pouvoir encore pleurer, étant donné toutes les larmes qu’elle avait déjà versées.
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