CHAPITRE 12 – Un réveil brutal

6 minutes de lecture

 Des coups discrets frappés à sa porte la réveillèrent.

 Dehors, il faisait nuit. Se demandant ce qui se passait, Claire se leva. S’efforçant de défroisser ses habits, elle passa une main dans ses cheveux, dans une vaine tentative pour discipliner sa tignasse emmêlée. Vaincue de fatigue, elle s’était endormie sans même ôter ses nouvelles bottes, et elle n’avait pas le sentiment de s’être beaucoup reposée.

 Elanore Matoovhu l’attendait dehors, encore tirée à quatre épingles malgré l’heure précoce, ou tardive, Claire n’en avait aucune idée.

— Bonjour ! dit la Coordinatrice en l’apercevant. Ah, vous êtes déjà prête, c’est très bien.

— …bonjour. Prête pour quoi ?

— Mais votre entraînement, bien sûr ! Le Seigé vous attend dans la salle commune.

— Si tôt ? fut tout ce qu’elle trouva à dire.

— Oh, le jour va bientôt se lever, vous savez !

 Puis la femme recula, et l’observa d’un œil critique.

— Il y a quelque chose qui ne va pas… laissez-moi voir.

— Ah, oui, bailla Claire, pas encore complètement réveillée, je crois que mes vêtements sont trop grands…

 La Coordinatrice leva les yeux au ciel et, avançant le bras, pinça d’un geste expert le coin de la tunique de la jeune fille, pressant un symbole que Claire avait pris pour une simple broderie. Elle réitéra l’opération au niveau de la ceinture de la combinaison. Aussitôt, Claire sentit ses vêtements se resserrer autour d’elle, alors que la femme aux cheveux blancs bougonnait :

— Vous n’avez jamais porté de vêtements auto-ajustables, on dirait !

 Elanore Matoovhu se redressa, l’examina d’un œil expert, et fronça les sourcils en voyant sa crinière indisciplinée. Sans rien dire, elle sortit un lien d’une de ses poches et lui tira les cheveux en arrière, les nouant rapidement derrière la nuque. Ceci fait, elle balaya une poussière imaginaire sur l’épaule de sa protégée, se recula, puis, satisfaite du résultat, hocha la tête :

— Allez, venez !

 Sans plus attendre, elle se dirigea vers le bout du couloir. Claire la suivit, bien plus réveillée désormais, consciente d’être, encore une fois, passée pour une imbécile.

Parfait, parfait ! Le premier jour commence bien !

 D’un autre côté, l’attention bougonne, un peu brusque, de la Coordinatrice, était réconfortante. Quelqu’un s’était occupé d’elle, et c’était bien la première fois depuis sa traversée.

 Puis, alors qu’elle arrivait à la salle de repas, ses autres paroles firent sens à leur tour.

Bon sang ! L’entraînement ! Mais… supervisé par Seigé Leftarm en personne ? Sérieusement ?

 L’heure ! 700 !

 Elle avait complètement oublié de se renseigner à ce sujet. Elle avait bien compris que c’était ainsi que se mesurait l'heure ici, mais comment s’y retrouver ? Heureusement que la Coordinatrice était venue la réveiller, sans parler de la rendre présentable !

 La salle commune était encore vide. Seigé Leftarm était là, silhouette imposante drapée dans sa cape, debout devant la rangée de distributeurs. Il se retourna à leur approche, et remercia Elanore Matoovhu d’un signe de tête.

— Elle était déjà prête, Seigé, dit cette dernière d’un ton approbateur, et Claire se sentit rougir sous le compliment immérité.

 Apparemment, la digne femme semblait résolue à la présenter sous son meilleur jour.

— Merci, Coordinatrice, répondit-il gravement. Pourrez-vous passer à mon bureau ce matin ? J’ai reçu de nouvelles directives du Mont Miroir.

 La femme s’inclina.

— Vous pouvez compter sur moi. Si vous voulez bien m’excuser…

 Il lui donna son congé d’un signe de tête. Quand le bruit de ses pas se fut éteint, Seigé Leftarm se tourna vers la jeune fille.

— La Coordinatrice a mieux à faire que de vous réveiller, dit-il froidement. Dès demain, vous devrez être autonome. Maintenant, suivez-moi.

 Elle aurait dû se douter qu’il ne se laisserait pas duper. Cet homme devinait tout, à un point terrifiant. Elle était affamée, mais n’osa pas lui dire qu’elle n’avait pas mangé la veille, car sans même vérifier si elle le suivait, il était parti en direction des ascenseurs, enfin, des translifts comme ils disaient ici. Ou étaient-ce des turbolifts ? La veille, Elanore Matoovhu avait employé les deux termes, et elle n’avait pas osé lui demander la différence.

 Encore une de ces choses « évidentes » à apprendre, une parmi tant d’autres !

— Voilà quel sera votre programme lors des prochains mois, lui annonça-t-il alors que l’appareil s’ébranlait. Tous les matins, vous irez courir sur le chemin de ronde. Un exercice basique, mais qui vous permettra de retrouver rapidement une meilleure condition physique. Vous passerez le reste de la journée dans vos quartiers à étudier, la Coordinatrice vous expliquera comment fonctionne votre terminal. En fin d’après-midi, vous reprendrez l’entraînement physique, avec des séances particulières de formation au combat. L’un de mes meilleurs instructeurs s’occupera de vous : je compte sur vous pour être à la hauteur !

 Elle hocha la tête. Elle appréhendait énormément toute cette partie du programme, mais il le savait déjà, et paraissait s’en moquer totalement. De toute façon, elle avait bien compris qu’elle n’avait pas son mot à dire.

 Et que pouvait bien être le « chemin de ronde » ? Ce terme très médiéval semblait tout à fait incongru ici !

— Retenez bien le chemin, précisa-t-il encore. Dès demain, vous devrez vous débrouiller seule.

 Encore des couloirs, des halls, des rampes. Instinctivement, elle se mit à marcher un pas derrière lui, et il ne se retourna jamais pour lui faire signe de venir à sa hauteur. Ils croisèrent beaucoup d’OLS, qui tous se mettaient au garde-à-vous dès qu’ils les apercevaient, sans que Seigé Leftarm ne paraisse remarquer leur présence. Puis, après une dernière porte, ils débouchèrent à l’air libre. Claire cligna des yeux.

 À l’extrémité de la vaste plaine urbanisée, le soleil se levait, large boule rougeoyante posée en équilibre sur les tours lointaines. Ils avaient débouché sur le flanc nord de la longue colline irrégulière sur laquelle était bâti Bhénak, sur un chemin pavé qui paraissait très ancien. Assez large pour que quatre personnes puissent marcher de front, bordé d’un muret bas de pierres lisses, il serpentait de façon irrégulière le long de la colline. À intervalles réguliers, de petites formations – des tours d’un étage, ou des plateformes d’observation – piquetaient le chemin qui montait, descendait et tournait en suivant le relief. Elle apercevait un peu d’herbe, d’un vert un peu trop bleuté, des buissons aux feuilles pointues, et même quelques arbres rabougris. Derrière eux, par-delà une pente abrupte, juste au-dessus de leurs têtes, se dressait l’imposante silhouette de pierre brune de la forteresse, avec ses centaines de fenêtres qui brillaient dans l’ombre.

Seigé Leftarm sortit un objet de sa poche, une fine bande métallique d’une vingtaine de centimètres de long, sans inscriptions ni boutons, munie de deux segments légèrement plus larges en son milieu. Quand il appuya sur le premier, une série de symboles défila au centre du bandeau.

— Votre chronomètre, indiqua-t-il en lui tendant l’objet. Matériel standard. Il vous donnera l’heure, même si ce n’est pas sa seule utilité. Une journée sur Kivilis se compose de 28 heures divisées en 100 minutes, elles-mêmes divisées en autant de secondes. C’est ce qu’on appelle ici le Temps Standard Galactique.

 Il lui montra une icône :

— Ce symbole indique que votre chronomètre affiche le Temps Local de Bhénak. Ici, nous avons six heures de différence avec l’Heure de Référence, celle du Mont Miroir – le palais présidentiel (il pressa un autre dessin, et les symboles changèrent). L’Heure de Référence est l’heure utilisée dans tous les vaisseaux de la Flotte. Vous devrez donc toujours faire attention pour savoir si on vous parle en Temps Local ou HR : hors de question d’utiliser cette excuse pour justifier un retard.

 Il lui tendit le chronomètre alors qu’elle hochait la tête, se demandant comment elle allait bien pouvoir réussir à démêler les deux. Elle le tourna entre ses mains, essayant d’avoir l’air assuré, alors qu’il poursuivait :

— Vous allez courir sur le chemin de ronde pendant une heure. Vous verrez, vous ne serez pas la seule. Mais n’oubliez pas, je ne tolèrerai pas les bavardages ! Ensuite, vous pourrez rejoindre vos quartiers pour étudier, et vous attendrez de nouvelles instructions.

 Sans un mot de plus, il tourna les talons et rejoignit l’arche par laquelle ils étaient arrivés. Les portes coulissèrent sans bruit, et il disparut sans un regard en arrière, la laissant seule et abasourdie.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Marga Peann ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0