Chapitre 15 - Leçon particulière

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 Il paraît qu’on voit défiler sa vie avant de mourir. Pour Claire, ce fut juste une pensée incongrue qui la traversa en ce moment critique :

Ainsi, ici, ils utilisent vraiment des rayons lasers, comme dans les films. C’est marrant, j’aurais parié qu’ils étaient rouges… !

 Une fraction de seconde plus tard, le choc la propulsa contre le mur, tandis qu’une douleur effroyable lui broyait la poitrine. Elle sentit un millier de picotements parcourir tout son corps et elle glissa le long de la paroi, le souffle coupé.

 Ce ne fut que lorsqu’elle vit son assassin abaisser son arme, comme au ralenti, puis se diriger vers elle, qu’elle réalisa avec stupeur qu’elle n’était pas morte.

 Il lui fallut encore plusieurs secondes pour se rendre compte qu’elle ne sentait plus du tout son corps, et qu’elle était incapable d’esquisser le moindre mouvement, de parler, ou même simplement de cligner des yeux. Affalée contre le mur, bouche ouverte, joue contre terre, les yeux exorbités, elle vit les bottes impeccablement cirées se rapprocher, puis s’arrêter devant elle.

Qu’est-ce qu’il m’a fait ???

— Il faudra vraiment travailler les réflexes, reprocha-t-il tout en s’accroupissant à sa hauteur. Vous n’avez même pas essayé d’éviter le tir.

 Si elle avait pu parler, nul doute qu'elle en serait restée sans voix. Essayait-il de faire de l’humour ? Cet homme était fou, elle l’avait senti, elle aurait dû refuser son offre quand elle le pouvait encore ! Lui tirer dessus pour voir si elle était capable de l’éviter ! Que s’imaginait-il ? Mais elle n’arrivait toujours pas à comprendre comment elle pouvait être encore en vie.

 Il se pencha alors vers elle, posant son arme. Comme si son corps avait appartenu à quelqu’un d’autre, elle ne sentit pas ses mains lorsqu’il la saisit et la redressa en position assise, calée contre le mur.

 Toujours accroupi à sa hauteur, sa cape étalée en une flaque sombre autour de lui, il reprit alors son arme et l’examina un instant, comme s’il la voyait pour la première fois. Puis, d’un ton détaché, il la lui présenta :

— Voici ce que nous appelons un pistolaser à puissance variable. Un modèle standard, très répandu ici. Vous allez apprendre à vous en servir, avec rapidité et précision. Mais vous devrez également savoir comment il fonctionne, afin d’être capable de parer à toute éventualité.

 Incapable de répondre, elle sentait maintenant, petit à petit, la colère et l’indignation l’envahir. À quoi jouait-il ? Il lui tirait dessus, puis lui faisait une conférence sur l’art et la manière d’utiliser une arme ?

Il y a vraiment quelque chose de pas clair chez ces gens ! Et chez lui, en particulier ! Il est complètement malade !

 Il se redressa soudain, et au regard qu’il lui lança, elle se souvint, un peu tard, qu’il lisait ses pensées. Mais il dit simplement :

— Vous avez été touchée par un rayon paralysant de faible puissance, qui a dépolarisé vos fibres nerveuses – je ne sais pas si vous êtes capable de comprendre cette notion. Quoiqu’il en soit, vous pouvez respirer, et votre cœur bat encore, car une si petite charge ne peut annihiler de tels réflexes. Si elle avait été un peu plus forte, vous auriez également perdu conscience. Et bien entendu, une décharge plus importante vous aurait tuée, car même le cœur se serait arrêté.

 Il parlait avec l’indifférence étudiée d’un conférencier.

— Votre corps combat en ce moment même la dépolarisation, continua-t-il. D’ici quelques minutes, il l’aura surmontée. Malheureusement – et il eut un petit sourire froid – ce ne sera pas très agréable.

 Il observa encore un moment l’arme, puis lui désigna une touche encastrée dans la crosse.

— C’est ici qu’on augmente la puissance. L’avantage du paralysant, c’est qu’il suffit de toucher n’importe quelle partie du corps pour immobiliser son adversaire, car la charge se diffuse dans tout le corps. Mais on l’utilise rarement à pleine puissance, pour tuer. Car cela décharge totalement un pack d’énergie standard.

 Il manipula une autre commande et un petit cylindre lui tomba dans la main. Il le fit glisser dans sa ceinture, en mit un autre à la place, tourna un bouton, et reprit :

— La plupart des gens évitent donc de gaspiller ainsi leur énergie, et préfèrent compter sur leur adresse avec le bon vieux rayon laser.

 Vif comme l’éclair, il se releva alors et tira. Un rayon de feu, rouge cette fois, vint percuter l’un des projecteurs qui éclairaient la pièce. Dans une pluie d’étincelles, ce dernier vola en éclat. Il se retourna vers elle, dans la pièce soudain plus sombre.

 Elle était toujours incapable d’esquisser le moindre geste, furieuse et choquée, mais elle se rendait aussi compte qu’elle l’avait rarement entendu aligner tant de mots à la suite, et que, pire, ce qu’il disait la fascinait.

— Ce n’est pas par souci d’économie que vous utiliserez votre arme en mode laser et non en paralysant, conclut-il. Le paralysant n’est qu’un gadget pour les mauvais tireurs, qui peut vous être fatal : si vous ratez votre coup, vous vous retrouverez désarmée.

 Sa voix claqua, soudain glaciale :

— Ce sont des choses que je ne répèterai plus.

 Quelques secondes plus tard, Claire commença à ressentir des picotements de plus en plus insistants le long de ses membres. Soudain, une douleur effroyable la submergea. Comme si on venait de la jeter dans un bain d’huile bouillante. Tout fut si rapide cependant qu’en aurait-elle eu la possibilité, elle n’aurait pas eu le temps de crier. Elle sombra avec reconnaissance dans les ténèbres. Après tout, ce n’était que la troisième fois en quatre jours !

 Ce fut la souffrance qui la réveilla et qui lui rappela instantanément ce qui s’était passé. Une chose était sûre, elle le sentait, désormais, son corps ! Elle avait mal jusque dans des endroits où elle ignorait qu’il était possible d’avoir des courbatures, et une violente nausée l’assaillit, lui laissant échapper un gémissement. Mais au moins, cela lui confirmait qu’elle était à nouveau maîtresse d’elle-même.

 Elle s’aperçut alors que quelqu’un la tenait. Elle ouvrit les yeux avec difficulté, et la lumière, bien que faible, lui donna la migraine. Elle cligna des yeux. Était-ce possible ? C’était bien le Seigé qui était penché sur elle, un bras passé autour de ses épaules pour la soutenir. Et il arborait une expression étrange, bien différente du masque impassible qu’il affichait habituellement.

 Mais elle n’avait pas encore bien repris ses esprits. Tout ce qu’il lui restait, c’était sa colère, son indignation. Elle se dégagea brusquement et se releva, titubante. Elle se retourna, et de nouveau le Seigé avait repris son visage de pierre. Et elle oublia.

— Vous êtes complètement cinglé ! lança-t-elle, rouge de fureur, alors qu’il se relevait lui aussi.

 C’était peut-être risqué, mais elle était trop choquée pour retenir ses paroles :

— Vous n’aviez pas besoin de me tirer dessus comme ça ! J’aurais pu me tuer !

 Si elle s’était brisé la nuque en tombant ? S’il avait mal réglé son arme… Elle n’osait y penser ! Bon sang, il lui avait sciemment tiré dessus !

 Soudain, elle fut de nouveau incapable de bouger. Mais de manière bien différente de la paralysie précédente. Comme si quelqu’un d’invisible la maintenait fermement. Elle lutta pour se dégager, en vain. En face d’elle, les traits fermés, il la regardait se débattre, les bras croisés, sans la moindre émotion. Quand elle cessa de se démener, ce qui arriva rapidement, car elle était trop courbatue et trop épuisée pour pouvoir résister longtemps, il la fixa droit dans les yeux.

— Exceptionnellement, Jayn Monestier, énonça-t-il d’un ton qui aurait gelé l’Enfer lui-même, j’oublierai ce que vous venez de dire. Mais sachez que je n’admettrai pas d’autres écarts. Je vais donc mettre les choses au point une bonne fois pour toutes : si jamais un jour, exceptionnellement, j’ai besoin de votre avis, je vous le dirai.

 Ensuite, vous apprendrez que rien de tel qu’être brûlé pour savoir se servir du feu avec discernement.

 Sachez que des milliers de gens seraient capables de tuer pour obtenir la formation que je vais vous dispenser. Je mettrai donc votre insolence sur le compte de votre ignorance.

 J’espère que je me suis bien fait comprendre.

 La pression se relâcha soudain, et Claire tomba à terre, à bout de forces, tremblant de tous ses membres. Quand elle osa enfin relever la tête, la salle était vide.

*

 Lorsqu’elle se réveilla, tôt le lendemain matin, après une très mauvaise nuit parsemée de réveils et d’impression de tomber dans un puit sans fond, elle se sentait toujours aussi nauséeuse et courbatue. Cela n’avait rien d’étonnant, après tout : jusqu’à la veille, elle avait rarement demandé autant à ses muscles, et les effets du paralysant se faisaient probablement encore sentir. sans compter qu’elle avait perdu conscience déjà trois fois depuis son arrivée ici, et que ça ne lui avait probablement pas fait du bien !

Allons, n’essaie pas de te trouver des excuses pour couper au footing ce matin. Ça m’étonnerait qu’il t’en dispense parce que tu te sens un peu moulue…

 Au souvenir de la veille, elle frissonna. Elle ne faisait pas confiance à cet homme, mais elle n’avait pas tellement le choix. Et elle devait bien avouer que son employeur l’intriguait comme personne ne l’avait encore jamais fait, en même temps qu’il la terrifiait, là encore, comme personne ne l’avait encore jamais terrifiée.

 Il était autoritaire, oui, tout-puissant, manifestement, et sans doute complètement mégalo. Mais après tout, peut-être était-ce un comportement normal ici ! Ce n’était pas parce que cette planète semblait – en partie ! - peuplée d’humains comme elle qu’ils devaient réagir de la manière qu’elle connaissait. Elle était totalement ignorante des théories de l’évolution, mais il était déjà suffisamment incroyable que des humains existassent sur d’autres planètes sans demander, en plus, qu’ils agissent en tous points comme ceux de la Terre.

 Et il y avait ces fameux pouvoirs ! Seigé Leftarm possédait-il vraiment des pouvoirs mentaux, dans la plus pure tradition des mythes et des films qu’elle adorait, mais qui n’avaient toujours été que des histoires, que personne de sensé ne pouvait croire, ou n’était-ce que l’expression d’une technologie tellement évoluée qu’elle lui paraissait, à elle, la petite « pré-tech », magique ?

 En attendant, il allait falloir qu’elle se lève, et qu’elle affronte une nouvelle journée dans cet univers tellement étranger, tellement empli de questions. Avec effort, elle quitta son lit, tremblant de tous ses membres. Elle se dirigea vers la salle d’eau, parcourue d’un nouveau frisson. Bon sang… elle aurait tout donné pour rester couchée !

 Mais déclarer forfait dès le deuxième jour, alors qu’elle n’était déjà pas allée au bout la veille… ça, jamais !

 Elle s’évanouirait peut-être de nouveau sur la piste, mais elle irait quand même ! Mais pourquoi donc le sol semblait tanguer sous ses pas ?

 La lumière s’alluma lorsqu’elle franchit le seuil du minuscule cabinet de toilette, et elle eut un mouvement de recul, se protégeant les yeux. Elle n’avait pas remarqué auparavant que l’éclairage était si vif ! Regardant son reflet dans le miroir, elle cilla. Elle avait vraiment une tête à faire peur, même sans le pansement qui lui couvrait une partie de la joue.

 Elle frissonna de nouveau, et se figea. Elle saisit son poignet, chercha son pouls… oui, c’était bien ce qu’elle craignait ! C’était rapide, bien trop rapide pour quelqu’un qui venait de se lever ! Cela ne pouvait signifier qu’une chose : elle avait de la fièvre.

Non, pas ça ! Il ne faut pas que je tombe malade ! Pas maintenant ! Il va me prendre pour une incapable, et il me renverra !

 Elle parvint à faire une toilette sommaire et à s’habiller, bien que le plus infime changement de position lui fasse tourner la tête. Peut-être que de l’aspirine lui ferait du bien, mais comment en trouver sur cette fichue planète ?! Si elle croisait Elanore Matoovhu, elle lui demanderait.

 Oui, c’est ça. Trouver Matoovhu.

 Qu’est-ce que j’ai attrapé ? La grippe ?

 Elle sortit dans le couloir. Serait-elle seulement capable de trouver la Coordinatrice ? Le couloir était si long, et elle avait la tête si lourde ! Elle se retint à un mur pour ne pas tomber. Il fallait à tout prix qu’elle trouve de quoi se soigner. Coûte que…

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