Chapitre 16 - Le Mazesley

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 Claire se réveilla enfin.

 Durant des jours elle n’avait émergé de sa torpeur que pour replonger aussitôt dans un sommeil peuplé de cauchemars et de visages inconnus. Elle se sentait encore très faible, mais au moins, pour la première fois, elle avait les idées à peu près claires.

 Elle ne reconnaissait pas l’endroit où elle se trouvait. Grise et aseptisée, la pièce était petite et sans fenêtres. Des écrans couraient le long des murs, des lumières clignotaient sur des machines étranges. C’était de toute évidence une chambre d’hôpital, ce que confirmait sa perfusion sur un bras.

 Une femme vêtue de rouge entra dans la pièce. Elle la reconnut vaguement : c’était l’un des visages qui avaient hanté son délire. L’infirmière – car c’en était une - s’approcha avec un grand sourire.

— Ça va mieux, on dirait ! dit-elle d’une voix enjouée.

— Que… qu’est-ce qui s’est passé ? Où je suis ?

— Vous avez été très malade. Vous ne vous rappelez pas ? Vous vous êtes évanouie dans le Secteur B14. C’était il y a six…non, sept jours maintenant.

 Claire grogna. Ce n’était pas un cauchemar. Elle avait espéré un instant avoir rêvé tout ce qui lui était arrivé, mais elle était encore à Bhénak.

— Vous voulez dire que je suis restée sept jours ici ?!

 L’autre acquiesça et lui présenta une bouillie rosâtre au bout d’une petite cuillère.

— Tout à fait. Vous avez même passé deux jours en cuve de réhab. Mais vous êtes tirée d’affaire, maintenant ! Allez, mangez, vous vous sentirez mieux.

 Claire ouvrit docilement la bouche. Sept jours ! Seigé Leftarm devait penser qu’elle n’était décidément qu’une larve !

— Mais qu’est-ce que j’ai eu ?

— Un virus. Allez, ouvrez la bouche !

Moi qui ne suis quasi jamais malade, il a fallu que j’attrape le premier virus venu ! Décidément, je me surpasse ! Seigé Leftarm doit probablement regretter de m’avoir engagée !

 D’ailleurs, il lui semblait l’avoir vu, dans son délire, mais avait-elle rêvé ?

Seigé Leftarm…

— Il est descendu, oui, confirma la femme en approchant une nouvelle cuillérée. Il est rare qu’il se déplace jusqu’ici, d’ailleurs, mais là, il a pris de vos nouvelles tous les jours. Allez, mangez encore un peu !

 Tandis qu’on la nourrissait comme un bébé, Claire essayait d’organiser ses idées. Elle se sentait réconfortée qu’il se soit inquiété à son sujet. D’un autre côté, elle avait honte de lui avoir failli si vite.

 Lorsqu’elle eut terminé son assiette de bouillie, elle pouvait à peine tenir les yeux ouverts. Elle n’entendit pas l’infirmière quitter la pièce. Elle dormait déjà.

*

 Ses forces revinrent. Elle put bientôt se lever, faire quelques pas dans sa chambre. Dès qu’elle arriva à avaler des nourritures plus consistantes que la bouillie de ce premier repas, la forme revint très vite. Les jours passaient, visibles seulement grâce au chronomètre encastré dans le mur. Elle dormait beaucoup, mais commença vite à s’ennuyer. Alors, elle passa des heures à consulter l’HoloRéseau, l’équivalent local de l’Internet terrestre.

 Quelqu’un – Seigé Leftarm ? Elanore Matoovhu ? – avait fait déposer son bayni dans sa chambre. Son diffuseur holographique lui permit ainsi de regarder, en trois dimensions, la multitude de chaînes thématiques disponibles sur le Réseau Public, et de commencer à parcourir la masse de données à sa disposition sur le Réseau Alpha, le réseau interne à Bhénak, tout en améliorant sa maîtrise de l’alphabet Standard.

 Elle profita de cette immobilité forcée pour apprendre tout ce qu’elle pouvait sur ce nouveau monde. Elle dévora les films – les holovids - ainsi que les actualités et les reportages. Tout la ravissait, tout l’étonnait. Biberonnée aux films et séries de science-fiction, elle se retrouvait dans un univers à la fois plus fou et, paradoxalement, plus terre-à-terre, que tout ce qu’avaient jamais imaginé les scénaristes d’Hollywood.

 C’était réel. Et ça, ça changeait tout.

 L’HoloRéseau lui permit également d’assouvir une partie de sa curiosité à propos des non-hums. Comme elle l’avait découvert lors de son arrivée à Bhénak, des dizaines de races sapientes non-humaines coexistaient dans cette partie de la Galaxie. Elles étaient familières aux Humains d’ici, qui interagissaient fréquemment avec elles, même si, apparemment, les différentes espèces se mêlaient peu. Les lieux comme Bhénak étaient l’exception.

 Il y avait des Skamanites, bien sûr, comme le Secrétaire Thranca. Elle découvrit qu’ils avaient longtemps été considérés comme une espèce dangereuse, qui n’hésitait pas à dévorer les autres espèces quand l’occasion s’en présentait. Ils avaient d’ailleurs savouré la première équipe d’explorateurs qui s’était posée sur Skamaïn, des millénaires plus tôt, avant de revenir à de meilleures dispositions envers les étrangers. Elle frémit donc rétrospectivement : la pointe d’humour du Secrétaire n’était pas tout à fait dénuée de vérité.

 Il y avait également les Sullites, ces humanoïdes à la peau bleue qu’elle avait croisés dans les couloirs, et les Treuzes, ceux dont la couleur de peau tirait plutôt vers le vert. Et encore les Yllus, ces petits extra-terrestres à l'allure de rongeur, d’excellents mathématiciens selon l'avis communément répandu. Et les Margnerals, les Sedicetts, les Boleshs, et bien d’autres encore ! Sans compter les mutants de ces diverses espèces, mutations causées par les radiations solaires ou par des pollutions diverses et variées. Toutes ces espèces et sous-espèces cohabitaient, à peu près en paix, depuis des millénaires, parlant presque toutes la langue « Standard », employée dans tout le Quadrant Galactique, en sus de leurs langues maternelles. Sur la planète Kivilis, centre de la République, les Humains étaient majoritaires, mais c’était loin d’être le cas partout.

 Quand elle ne dormait pas, elle dévorait tous les documentaires qu’elle pouvait trouver sur les non-hums. Il ne fallait pas qu’elle se ridiculise comme le premier jour avec le Skamanite ! Cela lui permettait également de penser à autre chose qu’à ses parents, sa famille, et la planète qu’elle ne reverrait jamais...

 Cette stratégie ne fonctionnait pas tout le temps. Mais, souvent, elle lui changeait suffisamment les idées pour surmonter plus rapidement les moments de blues.

 Les films et les documentaires lui permirent également de s’habituer, peu à peu, à la technologie de cet univers, y compris dans ce qu’il avait de plus prosaïque. Au détour d’un holovid, elle comprit par exemple que l’instrument bizarre en forme de Y, trouvé dans sa salle d’eau et également présent dans sa chambre d’hôpital, était l’équivalent local de la brosse à dent : il fallait placer la partie supérieure dans la bouche et la mordre fermement. Des micro-brosses et un jet de liquide désinfectant se chargeaient alors de nettoyer l’intégralité de sa dentition, lui laissant les mains libres pour faire autre chose. Elle mit un peu de temps à maîtriser l’ustensile, s’étouffant avec plusieurs fois, mais quand elle comprit le truc, elle se demanda comment elle avait pu s’en passer si longtemps.

 Tous les jours, le médico-chef, dans la tenue écarlate du personnel de santé, passait et vérifiait son état sur la console de son lit. Ce lit qui était d’ailleurs un véritable médecin à lui tout seul : il contrôlait sa température, sa tension, son indice de tonus musculaire, sa glycémie et bien d’autre encore. Il parlait, aussi, la prévenant par exemple lorsqu’elle devait faire de l’exercice ou s’il valait mieux qu’elle prenne du repos. Fascinée, elle avait essayé d’engager la conversation, mais s’était vite rendu compte qu’il n’était pas très bavard.

 Elle réussit cependant à apprendre qu’elle avait été victime d’un virus appelé le Mazesley. Ce virus, banal chez la plupart des espèces, avait la particularité d’être très virulent sur les Humains. Il était souvent mortel sans le traitement approprié, surtout lorsqu’il touchait les personnes qui avaient atteint ou dépassé la puberté, alors que chez les enfants, il était sans gravité et passait le plus souvent inaperçu. L’HoloRéseau lui enseigna qu’il avait été responsable de très nombreuses morts longtemps auparavant (sujet d’un certain nombre d’œuvres de fiction, d’ailleurs, voulait-elle les voir ?), au moment du Grand Essor (besoin de plus d’informations sur cette période ? il suffit de demander !), avant que le traitement ne soit finalement trouvé. Depuis, présent dans l’air et l’eau de la plupart des planètes, il était devenu bénin car les Humains l’attrapaient tous dans leur enfance et se retrouvaient de fait définitivement immunisés.

 Dans son cas précis, la voix désincarnée de son lit l’informa que les traitements habituels avaient été compliqués par le fait que l’infection s’était doublée d’un choc nerveux, dû à un fort taux de stress, qui avait affaibli encore davantage l’organisme.

Un fort taux de stress ? Tu m’étonnes !

 Le médico-chef et ses assistants restaient très impersonnels. Seule l’infirmière qui l’avait nourrie le premier jour était un peu plus abordable et apportait un peu de chaleur à cet environnement très froid. Mais Claire avait l’impression que l’autre n’était pas très à l’aise avec elle. Elle comprit rapidement que l’ombre du Seigé planait au-dessus d’elle et n’encourageait pas à la conversation.

 Elle apprit cependant par l’infirmière que, suivant les protocoles en usage pour le personnel militaire, on avait profité de son hospitalisation pour lui poser un implant contraceptif. En apprenant la nouvelle, elle cilla – la moindre des choses aurait été de lui demander son avis ! – mais son interlocutrice ne semblait pas voir le problème.

— C’est la procédure standard, vous savez ! Et comme ça, vous n’aurez pas d’inconvénients mensuels. C’est quand même beaucoup plus pratique en mission !

— Mais c’est définitif ?

— Bien sûr que non, voyons ! Vous pourrez demander la désactivation quand vous le souhaiterez, en accord avec… qui vous savez, évidemment.

 Claire haussa une nouvelle fois les sourcils. En acceptant la proposition de Seigé Leftarm, elle n’avait pas réalisé à quel point elle perdait le contrôle sur certains aspects très intimes de sa vie.

— De toute manière, conclut l’infirmière d’un ton péremptoire, vous êtes encore une jayn. Vous n’avez pas à vous poser ces questions pour l’instant.

D’accord… On n’a pas la même notion du libre arbitre, on dirait !

 Qu’allait-elle encore découvrir ? Son corps – et sa vie - lui appartenaient-il encore vraiment ?

 Son redouté employeur, quant à lui, ne vint pas une seule fois. Si elle en fut soulagée, elle en fut également un peu inquiète. Était-il en colère ?

 Elanore Matoovhu ne la visita pas non plus, et Claire en ressentit un pincement au cœur. La Coordinatrice n’avait pas fait preuve d’une chaleur excessive envers elle, mais elle était ce qui se rapprochait le plus d’une figure maternelle, ici, et elle se sentit mortifiée qu’elle ne vienne même pas prendre de ses nouvelles.

 Une dizaine de jours après son réveil, le médico-chef déclara enfin qu’elle était guérie et qu’elle pouvait retourner en B14. Un OLS vint la chercher pour la raccompagner jusqu’à ses quartiers, et elle en fut reconnaissante, totalement incapable de retourner au Secteur B par elle-même...

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