Chapitre 17 - Retour au B14
Claire retrouva avec plus de plaisir qu’elle ne l’aurait pensé sa petite chambre du B14. Elle n’y avait passé que deux nuits, la pièce était minuscule, impersonnelle et austère, mais au moins, là, il y avait une fenêtre ! Avec avidité, elle se colla contre la vitre, regrettant de ne pouvoir l’ouvrir pour respirer un peu d’air frais.
L’Esplanade en contrebas était déserte et, hormis la circulation incessante des voies stratosphériques, il n’y avait nul signe d’âme qui vive. En face d’elle, au-delà de la colline, le soleil se couchait, tout au bout de la longue plaine recouverte de tours et de coupoles, et le ciel vira soudain à l’écarlate, au rose et au pourpre, dans un déchaînement de couleurs tel qu’elle n’en avait encore jamais connu. Fascinée, elle regarda la nuit tomber sur la planète-capitale, s’emplissant les yeux du ciel qui passait lentement à l’indigo, au-dessus de la plaine qui s’illuminait petit à petit, comme un tapis lumineux lointain et infini.
Lorsqu’elle se retourna, une icône clignotait sur sa console. Avec un frisson, elle reconnut les symboles qui indiquaient un message de Seigé Leftarm.
C’était la première fois qu’elle avait des nouvelles de son employeur depuis sa maladie. Avec hésitation, elle ouvrit la note, un message entièrement rédigé en Standard. Désormais, grâce à ses longues promenades sur l’HoloRéseau à l’hôpital, elle n’avait quasiment plus besoin de son bayni pour déchiffrer les inscriptions. Et l’écriture du Standard étant essentiellement phonétique, une fois l’alphabet maitrisé, le reste allait de soi.
Sans la moindre allusion aux semaines passées, son employeur l’informait qu’à présent qu’elle maîtrisait ses lettres – mais comment le savait-il ? -, elle avait désormais droit à un professeur particulier, un programme d’instruction pour pré-techs appelé Inause, qui se chargerait de lui apprendre tout ce qu’elle aurait besoin de savoir pour ses premiers pas dans le Quadrant Galactique.
Histoire, géographie, mathématiques, économie, us et coutumes des différentes sociétés et planètes : cet enseignant virtuel, ou Seigé Leftarm lui-même, semblait lui avoir prévu des séances intensives, qui commenceraient dès le lendemain.
Lorsqu’elle se rendit à la salle commune bondée, un peu plus tard, elle hésita devant les distributeurs de nourriture. Allait-elle savoir s'en servir seule ? Mais les machines étaient plutôt simples, et grâce aux holovids ingurgités pendant sa maladie, elle avait une meilleure idée de leur fonctionnement. Sans compter que parvenir à déchiffrer les menus était un grand progrès, par rapport à la dernière fois qu’elle s’était trouvée dans cette pièce ! Par mesure de sécurité, elle ne commanda cependant que ce qu’elle avait déjà goûté : elle ne se sentait pas d’humeur à faire de nouvelles découvertes tout de suite.
Finalement, cette puce d’identité était bien pratique. Il lui suffit de passer son poignet, sur lequel seule une vague trace rosée subsistait, devant le capteur approprié, pour que le repas soit directement débité sur son "compte".
Lorsqu’elle se retourna pour prendre place à une table libre, elle vit la Coordinatrice qui lui faisait signe.
— Ah, jayn Monestier ! Vous voilà de retour parmi nous ! Venez donc vous asseoir avec moi !
Au cours de ses pérégrinations sur l’HoloRéseau, Claire avait fini par mieux comprendre ce que signifiait ce fameux jayn, tant utilisé ici. Si, comme le lui avait dit la Coordinatrice, il s’agissait d’un mot qui englobait tous les jeunes, de quelque race ou sexe qu’ils soient, c’était surtout un terme de politesse, d’affection, et plus rarement, de mépris : une manière de s’adresser, de manière formelle ou non, à ceux qui n’étaient pas encore admis dans le cercle des adultes, mais n’étaient plus non plus des bébés, larves ou autres nymphes immatures.
N’osant refuser l’invitation, elle posa son plateau en face d’Elanore Matoovhu, qui avait presque terminé son repas.
— Alors, comment allez-vous ? Vous nous avez fait une belle frayeur, vous savez !
— Ce n’était pas voulu, je vous assure, répondit Claire, en essayant d’ignorer l’amertume qu’elle avait ressentie en constatant que la Coordinatrice n’était jamais descendue la voir au Centre Médical.
— J’en suis sûre, répliqua la Coordinatrice. Cela arrive parfois, lorsqu’on change de planète. Enfin, vous êtes remise, c’est le principal ! Au fait, vous trouverez sur votre console le programme des prochaines décades. Sachez qu’il y aura aussi un exercice d’évacuation dans quelques jours. Nous devons impérativement faire mieux que la dernière fois : le Seigé était très mécontent ! Ah, et je vous ai mis deux cents voxels supplémentaires sur votre compte : j’avais pris la liberté de vous faire livrer des vêtements le premier jour, mais il vous faudra sans doute des accessoires. Pour la tenue civile, on verra plus tard, enfin, vous verrez avec qui vous savez. Bien entendu, vous imaginez bien que tout achat sera contrôlé, pas question d’acheter des babioles !
— Bien entendu, répéta docilement Claire, un peu sonnée sous le déluge verbal de son interlocutrice.
On dirait que je ne vais pas pouvoir faire ce que je veux de mon argent de poche !
— Allez, je vous laisse, j’ai du travail ! N’oubliez pas : demain vous reprenez votre entraînement à l’heure habituelle ! Est-ce que vous aurez encore besoin d’un guide… ?
Le ton était neutre, mais Claire rougit, et répondit qu’elle était capable de se repérer. La Coordinatrice hocha la tête d’un air satisfait et prit congé, lui recommandant une nouvelle fois de la contacter si elle avait le moindre problème.
Soulagée de son départ, la jeune fille termina son repas, tentant d’ignorer les regards que lui jetaient les autres occupants de la zone de repas. La plupart étaient des Humains, mais il y avait également un Sullite bleu, et deux Treuzes verts, qui discutaient à voix basse. Se sentant le point de mire de l’assemblée, elle se hâta d’avaler ses dernières bouchées, puis retourna dans sa chambre.
Aussitôt rentrée, elle demanda à son terminal d’afficher le plan de Bhénak. Elle n’avait encore jamais expérimenté cette option lors de ses voyages sur l’HoloRéseau, et ne savait pas trop à quoi s’attendre, aussi fut-elle subjuguée quand elle vit l’énorme construction se matérialiser sous ses yeux.
Avec ses dizaines de niveaux, la Résidence tournoyait lentement au-dessus du bureau. Certaines parties restaient opaques, mais la plupart des secteurs étaient clairement définis, voire annotés : hangars, maintenance, bureaux, quartiers d’habitation, jardins, production… Chacun dans une couleur bien particulière : jaune pour la production, rouge pour le service médical, orange pour la maintenance, gris pour l’administration, violet pour la sécurité. Elle comprenait enfin ainsi la finalité des lignes de couleur qui quadrillaient les couloirs ! Selon les niveaux, elles indiquaient le chemin à suivre pour se rendre dans le secteur de la couleur correspondante le plus proche.
Entre ces différentes zones, construites aussi bien dans la roche même de la colline que dans les bâtiments émergés de la forteresse, ascenseurs, rampes, couloirs et escaliers tissaient un réseau tentaculaire, un fouillis labyrinthique de voies d’accès, de puits et de baies d’envol, une toile apparemment inextricable dans laquelle elle allait devoir apprendre à se déplacer, et vite !
Un minuscule point violet indiquait l’endroit où elle se trouvait, dans le tiers supérieur de l’édifice, du côté Ouest. Elle comprit assez rapidement comment manipuler le plan et agrandir les différentes sections pour les examiner plus à loisir, et réussit même à retrouver l’endroit, sur le chemin de ronde, où l’avait emmenée son employeur, ce premier jour, déjà si lointain. Elle passa le reste de la soirée à examiner le plan fabuleux, le tournant et le retournant dans tous les sens, se demandant si elle arriverait un jour à en connaître les moindres recoins…
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