Chapitre 22 - Pieric (2/2)

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 C’est alors qu’un groupe de techniciens avait soudainement fait irruption dans le coin repas, interrompant Claire et Pieric. C’était la fin du quart.

— Eh, Pieric, tu nous présente ta copine ? avait lancé un homme à la peau noire, si foncée qu’elle en paraissait presque bleue.

— Claire, voici Onery, avait souri Pieric. Et voici Heuser, Roman, Ani, Jib et Patris. Et tout à l’heure, tu as croisé Rescia et Déana.

 Elle avait hoché la tête, intimidée. Roman était le petit Yllus qui ressemblait à un castor, Heuser et Ani les deux Treuzes, et Jib et Patris un couple d’humains aux cheveux bruns mais aux traits tellement semblables qu’ils devaient être frère et sœur.

— Je vous présente Claire, du Secteur B, avait annoncé Pieric avec grandiloquence. Elle vient de débarquer, alors je compte sur vous pour être sympas et lui montrer qu’on n’est pas des rustres, ici, au Secteur E !

— Du Secteur B, carrément ! avait commenté Patris d’une voix traînante. T’en as marre du cambouis, Pieric ? Tu veux monter les étages ?

— Tu les prends un peu jeunes, non ? avait renchéri l’un des Treuze.

— Ne les écoutez pas, avait alors siffloté le petit Yllus en se glissant vers Claire, qui avait commencé par se rapprocher de Pieric, mal à l’aise, avant de se figer. Ils sont un peu taquins, mais pas méchants. Bienvenue à Bhénak, jayn Claire !

 Elle avait souri avec reconnaissance au petit non-hum à face de rongeur, aux traits étonnamment expressifs. Lui arrivant à peine à la taille, il portait la même combinaison orange que les autres mais sans chaussures. Ses mains, comme ses pieds et sa tête, étaient recouverts d’une courte fourrure caramel, jusque sur ses doigts longs et graciles.

— Merci, Roman, avait alors répondu Pieric, fusillant du regard les deux autres.

— Si on peut même plus plaisanter… s’était défendue la fille brune, alors que son compagnon lui donnait un coup de coude.

— Vous voyez bien que vous mettez Claire mal à l’aise, avait répliqué le grand technicien.

 Le Treuze avait levé les yeux au ciel, mais n’avait rien ajouté. L’autre non-hum à la peau verte et aux yeux bridés avait levé le verre qu’il tenait à la main, et salué Claire d’un air impassible.

— Pieric a raison, on est une bonne équipe, au Hangar Dix-Sept. Alors bienvenue, Jayn Claire.

— Merci beaucoup, avait-elle murmurée, intimidée.

 Avec le Secrétaire Thranca, qui lui avait fait si peur ce premier jour dans le Secteur B, Roman le petit Yllus et ces deux Treuzes étaient les premiers non-hums qui lui adressaient la parole. Elle s’était efforcée de ne pas trop les dévisager, en essayant de ne pas paraître éviter de les regarder, non plus, ce qui était un peu compliqué. Le petit groupe avait repris sa discussion, manifestement entamée bien avant qu’ils ne fassent irruption dans l’aire de repos. Elle avait écouté de toutes ses oreilles pendant un moment, sans tout comprendre. Ils parlaient manifestement de sport, même si elle ignorait ce qu’était le ballgrav. Elle avait ensuite cherché un moyen de s’éclipser poliment : il commençait à se faire tard, et la journée avait été longue.

— Je suis désolée, je vais devoir rentrer… avait-elle commencé.

— Déjà ? s’était récrié Pieric, apparemment désolé. Tu ne restes pas manger un bout avec nous ? J’espère que nous ne te faisons pas fuir, avec nos histoires… Ici, le ballgrav est une vraie religion, tu sais !

— Non, pas du tout, mais j’ai eu une grosse journée … Et je dois me lever tôt demain !

— Sans compter que la vieille Matoovhu n’est pas réputée pour être commode, avait commenté Jib, le frère de Patris. C’est vrai, ce qu’on raconte, qu’elle fait marcher tout le monde à la baguette, là-haut ?

— Elle est assez stricte, c’est vrai, avait admis Claire. Mais elle est très gentille, avait-elle aussitôt ajouté, ne souhaitant pas être déloyale envers la Coordinatrice. Elle m’a beaucoup aidée quand je suis arrivée.

— Ils sont un peu coincés, là-haut, avait rétorqué Patris. C’est à force de côtoyer tous ces hauts dignitaires du Mont Miroir, ça leur monte un peu à la tête.

— Patris ! avait fustigé Pieric. Je te l’ai déjà dit, un jour, ta grande gueule te posera des problèmes !

— Quoi ? avait répliqué la brune. Je ne dis rien que ce que tout le monde sait ici. Ta jayn Claire s’en est certainement déjà rendue compte toute seule, et en plus, je ne dis rien de mal !

 Décidément, ce jayn pouvait vraiment faire passer beaucoup de messages différents, selon le contexte. Alors qu’il était à la fois respectueux et affectueux, quand Pieric ou Roman l’employaient, dans la bouche de Patris, cela ressemblait surtout à une insulte. Pieric avait levé les yeux au ciel, sans répondre, puis il avait raccompagné Claire jusqu’à la porte la plus proche.

— C’est bon, tu sauras retrouver le Secteur B toute seule depuis ici ? Tu veux que j’appelle un OLS ?

 Comme elle secouait la tête, il avait ajouté :

— Ne fais pas attention à Patris, elle se la joue un peu rebelle, mais c’est une excellente mécatronicienne. Et elle est très fière d’appartenir à Bhénak, c’est juste qu’il faut toujours qu’elle se fasse remarquer.

— Pas de soucis, avait souri Claire, vaguement mal à l’aise, se demandant quelle aurait été la réaction du technicien s’il avait su qui était vraiment le dignitaire dont elle était la « stagiaire ».

 Sans doute lui aurait-il parlé beaucoup moins librement. Quant à son équipe, elle l’aurait considérée avec une véritable méfiance. Non, mieux valait effectivement qu’elle garde le secret sur ses relations avec le Seigé.

 Comme c’était ce qu’il lui avait ordonné, cela tombait bien.

 Malgré tout, elle était heureuse d’être descendue au Hangar Dix-Sept. Elle ne s’était pas sentie particulièrement à son aise, mais cela la changeait de la froideur du Seigé, de l’attention compassée de la Coordinatrice – pas spécialement appréciée par tous, de toute évidence – et de l’attitude maussade du Lieutenant Saulnier.

— N’hésite pas à revenir nous voir, si ça devient trop pesant, là-haut, avait ajouté Pieric, comme en écho à ses pensées. Bhénak est très grand, et je suis sûr que tu y creuseras ton nid, comme nous tous, mais ça peut être un peu compliqué, au début.

 Elle n’avait su quoi répondre devant tant de gentillesse. La gorge nouée, elle avait hoché la tête.

— Allez, vas-y, avait souri le technicien. Si la Coordinatrice Matoovhu est conforme à sa réputation, il ne vaut mieux pas qu’elle t’ait dans le nez parce que tu te promènes en dehors de ton Secteur tard le soir.

— Merci. Vraiment.

— Y’a pas de quoi, avait répondu Pieric. Tu sais, tu me rappelles vraiment ma petite sœur. Alors si je peux t’aider en quoi que ce soit, tu n’hésites pas ! Et la prochaine fois, tu restes manger avec nous, hein !

 Elle avait de nouveau hoché la tête, hésitant à lui sauter au cou, mais la timidité avait été la plus forte. Pieric avait fait signe au planton, qui avait ouvert la porte, et après un dernier signe de main, Claire avait quitté le hangar, sentant peser le regard des deux hommes.

 Elle avait retrouvé le Secteur B et sa chambre, soulagée de ne croiser personne. Elle était contente d’avoir fait cette visite, fort instructive au demeurant, au Secteur E, mais tout cela avait achevé de l’épuiser. Jamais, dans sa vie d’avant, elle n’aurait pu imaginer qu’on puisse avoir des journées aussi remplies.

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