Chapitre 30 - Altercation (1/2)

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 Comme Claire le découvrit bientôt, la télékinésie n’était que la partie la plus "visible" de ses nouveaux pouvoirs. Un aspect certes très utile, mais un peu flamboyant et surtout bien trop reconnaissable - la "marque de fabrique" des Wardoms, comme le lui avait rappelé le Seigé.

 Comme elle l’apprit très vite, le poeïr avait bien d’autres usages. La détection, qui lui permettait de ressentir son environnement, était une curieuse faculté, à la lisière de la télépathie, de l’anticipation, de la prémonition, un mélange de tous ses sens physiques pour analyser un endroit, sentir les flux électriques, électroniques, positroniques, et pressentir les éventuels dangers. Elle n’aimait pas beaucoup ces séances, ayant énormément de mal à prévoir les différents pièges que le Seigé mettait sur sa route – et chaque échec était douloureux, au propre comme au figuré.

 Son professeur n’hésitait pas à faire appel à sa garde personnelle – les soldats entraînés et commandés par le Lieutenant Saulnier – pour lui tendre des embuscades entre le Grand Bureau et le gymnase. Ils surgissaient d’un couloir pour la maîtriser brutalement ou se détournaient de leur garde habituelle pour l’attaquer. Si elle n’avait pas anticipé le piège, le Seigé la laissait se débattre avec ses assaillants suffisamment longtemps pour qu’elle récolte bleus et meurtrissures, avant d’interrompre la lutte d’un ordre bref. Outre la déception qu’elle lisait alors dans le regard sévère, elle avait également droit le lendemain à des remarques assassines du Lieutenant. Ce dernier doublait alors la dose d’exercices, sans le moindre égard pour ses gémissements.

 Heureusement, sur d’autres aspects du poeïr, elle progressait beaucoup plus vite. Sur la télépathie, notamment. C’était beaucoup plus facile, surtout avec le Seigé. Elle apprit à pousser ses pensées pour lui parler mentalement – chose autrement plus difficile que la conversation d’esprit à esprit qu’ils avaient eu à Armora, quand elle ne connaissait pas encore le Standard. À l’époque, son professeur avait fait tout le travail, lisant directement les réponses dans sa conscience. Désormais, il lui fallait projeter les paroles et les idées vers lui, même lorsqu’il « n’écoutait » pas, ce qui s’avérait nettement plus compliqué, mais plus simple cependant que les exercices de détection qu’elle craignait tant. Il lui enseigna également à fermer son esprit, pour ne pas diffuser toutes ses émotions et le parasiter – même si, quoi qu’elle essaie, il arrivait toujours à savoir ce qu’elle pensait s’il le voulait vraiment.

 Elle apprit également à ressentir les émotions, voire les pensées, des personnes qui l’entouraient, à leur insu. Le Seigé lui expliqua alors qu’avec suffisamment d’entraînement, elle pourrait les manipuler, et même leur faire faire ce qu’elle voulait, sans qu’ils ne puissent s’y opposer.

 Une faculté dangereuse et crainte, celle-là même qui, selon le Seigé, était à l’origine de la perte de confiance, puis de la haine, qui avait conduit les Wardoms à leur perte.

 Elle était encore loin de tels exploits. Mais plusieurs fois, au cours de ses exercices, elle réussit à pénétrer les pensées des personnes à proximité, de la même façon qu’elle avait entendu le Seigé à Armora.

 Non que cela ne s'avérât très intéressant : untel avait mal aux pieds, une autre pensait à son prochain repas, un autre encore espérait qu’il resterait encore un robot-coiffeur au salon de beauté… Ce bavardage diffus, ininterrompu, des esprits qui naviguaient aux alentours du Grand Bureau, se révéla comme une mer à priori calme, mais bouillonnante, agaçante, dès que l’on tendait un peu l’oreille. Ces bribes de pensées décousues agressèrent son esprit, lui infligeant rapidement un mal de crâne qui persista jusqu’au lendemain. Mais une telle expérience aurait été tellement impensable, dans son ancien monde, que Claire ressortit de l’exercice avec un sentiment d’exaltation qui dura plusieurs jours.

 Mais si enthousiasmantes – ou effrayantes, c’est selon – que soient ces leçons, elle découvrit bientôt que le poeïr avait un autre avantage, bien plus utile au quotidien. Au fur et à mesure que sa maîtrise progressait, elle constata que ses capacités physiques « ordinaires » s’amélioraient d’autant, la menant bientôt à un niveau qu’elle n’aurait jamais cru possible à l’époque où elle était la fille toujours choisie en dernier lorsqu’il fallait composer les équipes en cours de sport.

 Quand elle parvenait à se concentrer suffisamment, sa vigilance, sa force et sa rapidité s’en trouvaient accrues, ce qui lui devint peu à peu un grand avantage lors de ses entraînements au combat ou en simulation de vol. Le Lieutenant Saulnier cessa enfin de la regarder avec commisération, et s’il était toujours aussi brutal dans ses exercices, il parvenait de moins en moins souvent à l’envoyer au tapis. Il grommela même un jour qu’elle se débrouillait de mieux en mieux, ce qui, pour cet homme éternellement maussade, ressemblait fort à un compliment.

 Les jours passaient sans qu’elle ne s’en rende compte.

 Même en sachant qu’elle n’y était pour rien, qu’il s’agissait simplement d’une affaire de gènes, et donc d’un pur hasard, elle ressentait au sujet de ses nouveaux pouvoirs une intense fierté et, il fallait bien l’avouer, de l’orgueil aussi. Si la brutale mise au point de son professeur lui avait fait comprendre qu’elle devait continuer à garder profil bas, elle ne pouvait cependant se défaire d’un sentiment de supériorité qui rendait les mesquineries de Rika souvent guère plus désagréables que des piqûres de moustiques : gênantes, certes, mais, la plupart du temps, insignifiantes.

 La Cadette blonde ne l’attaquait jamais frontalement. Elle se contentait de remarques et de sous-entendus, qui ne manquaient pas de faire ricaner le petit groupe d’Humains qui la suivait avec adoration. Claire faisait le dos rond, l’ignorant et s’accrochant au poeïr. Elle brûlait d’envie d’en découdre, mais l’ombre du Seigé la retenait.

 Bientôt, cependant, un évènement fit tout basculer.

 Quelques jours après son troisième mois au Centre, Claire fut retenue par son instructeur de vol après sa séance de simulateur, au sujet de son prochain examen. Quand il la libéra enfin, elle réalisa qu’elle n’avait plus le temps de faire le détour par ses quartiers du Secteur B avant de rejoindre le gymnase et le Lieutenant Saulnier. Elle évitait en général les sanitaires du Centre, mais ce jour-là, l’envie était trop pressante.

 Alors qu’elle sortait du cabinet, la porte des toilettes s’ouvrit, laissant le passage à Rika et deux autres Cadets, un garçon et une fille, tous deux Humains.

Et zut ! Autant pour mes dons de détection !

— Alors, la jayn, on traîne ? lança la blonde.

— Je pourrais te retourner la question, Rika, répliqua calmement Claire.

 Son cœur battait à tout rompre, mais pour rien au monde elle ne l’aurait montré à son adversaire. D’un côté, elle s’en voulait de ne pas avoir su anticiper le piège. De l’autre, elle brûlait d’envie d’en découdre : ce conflit futile commençait à l’agacer et elle voulait rabattre son caquet à Rika une bonne fois pour toutes.

— Regardez-moi ça ! ricana l’autre. Ça va pleurnicher auprès des officiers pour obtenir une chambre personnelle, et ça veut donner des leçons !

— C’est quoi ton problème ? rétorqua Claire en levant les yeux au ciel. Qu’est-ce que ça peut te faire, que je ne dorme pas avec vous ?

— Je n’aime pas les passe-droits, répondit Rika d’un air mauvais.

— Tu parles, répliqua la jeune fille. Tu m’avais déjà dans le nez avant ça !

 La blonde, qui la dépassait d’une bonne tête, s’approcha. Les deux autres Cadets encadrèrent Claire, menaçants.

— Vous espérez faire quoi, là ? leur demanda Claire, sans manifester la moindre peur.

 À côté de Leftarm et du Lieutenant, se rendait-elle brusquement compte, il s’agissait vraiment de gamins, même s’ils étaient plus grands et plus âgés qu’elle.

 Déstabilisés par son attitude, les deux Cadets se regardèrent, puis jetèrent un coup d’œil à Rika. Cette dernière les encouragea :

— Allez, ne me dites pas qu’un avorton comme la jayn vous fait peur ! Il faut qu’elle comprenne !

— Que je comprenne quoi ? s’enquit la jeune fille, sans se départir de son calme.

Elle bluffait, bien sûr. Ils étaient trois, et même si elle avait fait de grands progrès avec le Lieutenant, ce n’était pas au point de pouvoir s’en tirer avec trois adversaires. Mais hors de question de montrer sa peur à cette vipère !

— Tu as peut-être un protecteur parmi les officiers, siffla la blonde, mais même lui finira par se rendre compte que tu n’as rien à faire ici. « Ne jamais laisser à ses adversaires l’occasion de l’isoler en dehors du champ des caméras de surveillance », c’est pourtant l’une des premières leçons que tu aurais dû apprendre ici, si tu avais vraiment le niveau…

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