Chapitre 31 - Altercation (2/2)

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 Les deux acolytes de Rika tentèrent de saisir Claire chacun par un bras afin de l’immobiliser. Mais la jeune fille ne subissait pas les foudres du Lieutenant Saulnier depuis des mois pour se laisser avoir aussi facilement. Elle esquiva leur attaque d’un mouvement fluide, pivota sur elle-même, envoya son coude dans la figure de la fille, tout en levant le genou pour frapper le garçon dans un seul mouvement tournant. Hasard ou chance, elle atteignit ses deux cibles en ce premier round : le jeune homme se plia en deux, ahanant de douleur, alors que sa comparse reculait brusquement en se tenant le nez.

— Tu fais faire le sale travail par les autres, Rika ? s’écria Claire en achevant son tour sur elle-même, les poings levés devant elle en position de défense, galvanisée par ce succès, alors que la blonde la fixait avec ahurissement.

 L’entraînement au combat rapproché ne faisait pas partie des enseignements des Cadets de Premier Cycle. Aucun des trois ne s’était attendu à ce qu’elle ne leur résiste. Après tout, n'était-elle pas qu'une jayn ?

 Se rendant compte qu’elle avait reculé involontairement, Rika redressa les épaules. Claire pensait qu’elle allait lui sauter dessus, mais l’arrogante cadette choisit un autre angle d’attaque.

— Tu es complètement malade, glapit-elle d’un air exagérément horrifié. Regarde ce que tu as fait à Jolianne !

 Prise au dépourvu, Claire cilla. Elle jeta un coup d’œil à la fille derrière elle. Cette dernière, le nez en sang, la dévisageait avec stupeur. C’était une brune trapue aux cheveux courts, qui souriait rarement, et qui faisait partie des proches de Rika. Claire ne se souvenait pas lui avoir adressé plus de deux mots jusqu’à ce jour, mais si elle faisait partie de ceux qui discutait derrière son dos, elle n’avait jamais été ouvertement désagréable avec elle. Enfin, jusqu’à ce jour !

 Jusqu’à présent, elle n’avait vraiment de problèmes qu’avec Rika. Se mettre à dos le reste de la classe n’était peut-être pas une bonne idée, même si c’était eux qui l’avaient agressée en premier !

 Sans compter, bien sûr, qu’elle risquait d’être renvoyée pour s’être battue. Ce qui était peut-être le but recherché par Rika, d’ailleurs, maintenant qu’elle y pensait.

 Elle baissa les poings et se tourna vers la Cadette brune, penaude.

— Je suis désolée, Jolianne, s’excusa-t-elle. Je ne voulais pas…

 Elle amorça un mouvement vers elle pour l’aider – mieux valait tard que jamais – mais l’autre la repoussa d’une main, alors qu’elle pressait son nez de l’autre pour tenter de contenir le saignement.

— Laisse tomber, lâcha la brune d’un air dégouté. Je l’ai bien cherché.

 Avec ses nouvelles perceptions, Claire sentit qu’aucun des trois n’avait prévu qu’elle ne résiste, ni même envisagé qu’elle pourrait leur donner du fil à retordre. Ils voulaient juste lui faire peur en la malmenant un peu. Sa réaction – brutale, sans concession - les avait totalement pris au dépourvu.

 Or, s’ils étaient prêts à faire les gros bras pour la terroriser, s’il fallait vraiment se battre, c’était une autre histoire. Bien que le Centre leur dispensât un minimum d’entraînement physique, entre l’endurance quotidienne sur les Remparts et quelques sessions de musculation, le principal axe d’apprentissage du Premier Cycle reposait davantage sur leurs capacités « intellectuelles » – avec des cours approfondis d’Histoire, de tactique militaire ou encore de mécatronique – que sur leur capacités physiques. Il y avait bien les entraînements au tir ou les leçons de pilotage, mais il s’agissait la plupart du temps de sessions individuelles en simulateurs, et rien ne les avait préparés à ce que la petite jayn toujours à la traîne soit capable de se défendre.

— La prochaine fois, Rika, poursuivit la Cadette brune, je te laisse gérer tes problèmes toute seule. J’ai pas signé pour ça. Ça va, Leogan ?

 Le jeune homme s’était redressé. Il était un peu pâle, mais ne semblait pas autrement blessé par le coup vicieux que Claire lui avait envoyé – hormis dans son amour-propre.

— Ça va, marmonna-t-il, non sans jeter à Claire – et Rika – un regard noir.

— Et vous allez la laisser s’en tirer comme ça ? s’exclama la blonde, incrédule, en voyant que les deux se détournaient et se dirigeaient vers la porte.

— Ta jayn sait se défendre, on dirait, répliqua fraîchement Jolianne. Il lui reste peut-être à apprendre à discuter avant de frapper, mais à mon avis, elle a toute sa place ici.

Claire rougit.

— Je suis vraiment désolée, répéta-t-elle.

— Ne m’approche pas, c’est tout ce que je demande, répliqua l’autre, la main toujours pressée sous le nez.

 Dans les toilettes ici, il n’y avait pas de papier, ni de sèche-main. Tout se faisait avec de l’eau et de l’air chaud, ce qui n’était pas du tout pratique dans le cas présent.

— Je ne suis pas venue jusqu’ici pour me battre contre une jayn, poursuivit-elle en levant les yeux au ciel.

 Si les nouveaux dons d’empathie de Claire ne la trompaient pas, il y avait même comme du respect dans sa voix. Le fait qu’elle ait su se défendre semblait avoir changé un certain nombre de choses. Mais Jolianne rajouta d’un ton dégouté, qui démentait le semblant d’excuses qu’elle venait de faire :

— Pour ma part, tu peux bien dormir où et avec qui tu veux, ce n’est pas mon problème !

 Sur ces mots, elle passa devant Rika, interdite, et sortit de la pièce, suivie de près par Leogan, qui ricanait. La blonde, furieuse et incrédule, lança alors un regard à Claire avant de leur emboiter précipitamment le pas. De toute évidence, ayant compris que Claire n’était pas autant sans défense qu’elle l’imaginait, elle ne souhaitait pas rester seule avec elle.

Bon, eh bien j’ai au moins gagné ça…

 Claire ne savait pas si elle devait se réjouir, ou pas. Elle avait peut-être gagné un respect récalcitrant de la part de certains, mais Rika en resterait-elle là ? Et Leogan, serait-il aussi magnanime que la Cadette brune, ou prendrait-il comme un affront personnel d’avoir été mis hors d’état de nuire par une petite jayn ? Avait-elle empiré les choses au final ?

 Étonnamment, le Seigé ne revint pas sur l’altercation, ni ce jour-là, ni les jours suivants. Étaient-ils vraiment dans l’angle mort des caméras de surveillance, comme l’avait affirmé Rika ? Se pouvait-il qu’il y ait des choses qu’il ignore, au sein de Bhénak ? Ou, plus simplement, s’en moquait-il ?

 D’un autre côté, elle ne regrettait absolument pas de s’être défendue. Évidemment, elle aurait grandement préféré casser le nez de Rika, directement, plutôt que celui de Jolianne – qui prétexta une glissade dans les douches pour justifier l’appendice violacé qu’elle arbora toute la décade suivante – mais il aurait été hors de question qu’elle se laisse menacer sans rien faire !

 Bien malin qui aurait reconnu la jeune fille timide qui avait traversé le Vortex quelques mois plus tôt. Le processus enclenché le soir où elle avait découvert ses pouvoirs, ce ras-le-bol généralisé qui l’avait menée à jeter sa raison et sa prudence aux orties, avait laissé des traces. Tout le reste, le poeïr, les entraînements avec le Seigé, avec le Lieutenant, n’avaient fait que confirmer cette montée progressive en assurance. Non qu’elle n’affichât ouvertement supériorité ou aplomb face aux autres Cadets, mais sans qu’elle ne le remarque vraiment, ses épaules s’étaient redressées, son port de tête s’était affermi, son regard avait gagné en confiance. Et ce, encore plus après cet épisode, qui eut même un effet plutôt imprévu.

 Alors que les jours, puis les décades, s’écoulaient, elle se rendit compte que les autres Cadets – les Humains, du moins, car les expressions des non-hums s’avéraient beaucoup plus difficiles à interpréter – ne la considéraient plus de la même manière. Des rumeurs sur l’incident avaient dû fuiter, pensa-t-elle au début, car les commentaires désobligeants s’étaient tus peu à peu, remplacés par une courtoisie impeccable, bien qu’un peu empruntée. Entre son âge, son externat et le fait qu’elle savait manifestement se défendre, les autres Cadets avaient de toute évidence décidé de ne pas prendre de risques.

 Mais elle comprit bientôt que sa nouvelle assurance, dont elle n’avait pas vraiment pris conscience jusqu’à ce moment, avait fait naître une curieuse rumeur. Elle entendit en effet un jour, alors que l’autre pensait qu’elle était trop loin pour les écouter, l’une des recrues de sa classe glisser discrètement à un Cadet du Second Cycle, alors qu’elle passait non loin d’eux, qu’elle était, sans aucun doute, la mystérieuse fille cachée du Président de la République. Se mordant les lèvres pour ne pas éclater de rire, elle continua son chemin d’un air impassible.

 Cela expliquait beaucoup de choses !

 Eh bien, après tout, libre à eux de croire une fable pareille, du moment qu’ils me laissent en paix !

 Elle ne ferait rien pour les encourager, mais ne les détromperait pas non plus. S’ils la laissaient tranquille à cause de cela, c’était aussi bien.

 Est-ce à cause de cette rumeur que Rika cessa de l’importuner, perdant même une partie de son ascendant sur le groupe ? Elle lui jetait toujours des regards noirs, quand elle n’affectait pas de l’ignorer, mais contrairement à ce qu’espérait et redoutait Claire à la fois, la Cadette ne tenta pas un autre guet-apens.

Courageuse, mais pas téméraire, on dirait !

 C’est ainsi que les relations entre Claire et les autres Cadets se « normalisèrent ». Ils ne devinrent pas ses amis, loin de là, mais ils acceptèrent ses singularités sans plus faire de commentaires.

 Ce n’était pas ce qu’elle avait imaginé, en intégrant le Centre, mais elle s’en contenta. De toute façon, elle avait désormais tellement plus important à faire !

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