Chapitre 34 - Histoire Galactique (1/3)

8 minutes de lecture

 Alors qu’elle progressait dans ses études et approfondissait les incroyables possibilités du poeïr, Claire apprenait également à mieux connaître l’univers qui l’entourait, ses dimensions stupéfiantes, et son histoire mouvementée, à côté de laquelle les quelques trois ou quatre mille ans d’histoire de sa minuscule planète faisaient bien pâle figure.

 Le Quadrant Galactique représentait, à peu près, le quart de la superficie de la Galaxie. Centré sur Kivilis, il constituait une sphère grossière d’environ vingt-cinq mille années-lumière de rayon. Les vaisseaux les plus rapides mettaient plus de neuf années à atteindre les confins du Quadrant, qui marquaient la limite de ce qu’on appelait communément l’Univers Connu, même si des missions d’exploration de plusieurs dizaines d’années étaient jadis parties bien plus loin. Mais lorsque les distances sont si grandes, il y a peu d’intérêt à commercer ou à entretenir des relations diplomatiques avec des mondes où les interlocuteurs sont susceptibles de mourir de vieillesse entre chaque contact.

 Si un vaisseau était parti en direction de la Terre, dont l’étoile était dénommée PKX348E, il aurait fallu plus de dix-huit années – en théorie, sans compter les détours dus aux trous noirs, nébuleuses et autres obstacles cosmiques - pour qu’il l’atteigne. En théorie, c'était donc possible, mais qui aurait investi tant de temps et d’argent pour une destination impossible à exploiter, alors qu’il y avait des milliers de mondes plus proches ?

 Révélation d’autant plus dure à avaler pour Claire. Savoir que, dans l’absolu, le retour sur Terre aurait été théoriquement possible, mais qu’à moins qu’elle arrive un jour à rassembler l’argent nécessaire, et qu’elle accepte de passer une vingtaine d'années seule dans un vaisseau spatial, elle n’y retournerait jamais...

 Elle aurait pu compter sur la cryogénie, qui aurait, au moins, réduit l’impression de temps de voyage, mais la technique, bien que présente depuis des millénaires, était assez peu utilisée. Malgré toutes les connaissances médicales du Quadrant, les corps congelés puis ramenés à la vie subissaient souvent des dommages, mineurs certes, mais qui n’encourageaient pas aux grandes explorations. Qui prendrait le risque de perdre une partie de sa mémoire, de ses sensations, ou de ses réflexes, pour aller si loin, alors qu’il restait encore tant d’endroits à explorer plus près ?

 Voilà pourquoi le Vortex, qui avait ouvert un passage instantané entre leurs deux mondes, aurait été une découverte tellement révolutionnaire. Les possibilités d’une telle technologie étaient incommensurables, car n’importe quel point de la Galaxie - voire de toutes les galaxies ! – aurait été instantanément à portée de main...une révolution dont elle avait peine à imaginer les conséquences.

 Mais comme elle ne le savait que trop bien, les installations avaient été complètement détruites lors de l’attentat qui l’avait bloquée sur Kivilis. Les scientifiques travaillaient d’arrache-pied, lui avait expliqué un jour le Seigé, mais des composants cruciaux et extrêmement rares avaient disparu ce jour-là. Il leur faudrait sans doute des années, et plus probablement des décennies, avant de réussir à reconstruire, et surtout, recalibrer correctement, la machine. Sans compter le coût pharaonique de l’opération, évidemment.

 Autant dire qu’elle ne nourrissait guère d’espoirs de ce côté-là, du moins dans l’immédiat. Son horizon, maintenant, c’était le Quadrant, et tous ses systèmes solaires, soigneusement répertoriés dans l’Atlas Galactique.

 Tous les mondes ou presque, dans un rayon de six mille années-lumière autour de Kivilis, faisaient partie de la République de Kivilis : quelques trois cents systèmes de planètes « développées », sans compter les plus de cent cinquante mille systèmes où la vie organique était possible voire foisonnante, au moins à un niveau basique (ce qui laissait mille fois plus de systèmes planétaires sans le moindre atome de vie, et encore mille fois plus d’étoiles sans le moindre système planétaire.

 Au-delà, parmi les myriades de mondes connus, à plus de deux ans de voyage, se trouvaient un certain nombre de systèmes, souvent fédérés en royaumes ou autres confédérations mineures. Mais aucun n’avait la richesse, les ressources et la puissance de la République de Kivilis.

 Car Kivilis était le berceau de la Civilisation. Dix mille ans plus tôt, elle ressemblait probablement beaucoup à la Terre, puisque peuplée exclusivement d’Humains – coïncidence dont Claire n'était pas sûre de bien saisir les implications, mais qui avait beaucoup intrigué le Seigé.

 La seule différence tenait au fait que son système solaire comportait deux planètes habitables. Dès qu’ils avaient su aller dans l’espace, avec des moyens rudimentaires, les habitants de Kivilis l’avaient colonisée.

 Cette planète-sœur s’appelait Boutae. À l’époque, les voyages spatiaux étaient longs et inconfortables : l’ultralux, qui permettait d’aller plus vite que la lumière, n’avait pas encore été découvert. Il fallait plusieurs semaines pour effectuer le trajet entre les deux planètes, pourtant proches, et Kivilis et Boutae, malgré leurs différences, avaient vécu en paix – relative - pendant des siècles.

 Mais leur destin avait basculé le jour où un autre peuple avait pris contact avec elles. Les Margnerals étaient une race pacifiste, bien plus avancée technologiquement que les Humains, et ils venaient de comprendre le secret de l’ultralux. Ils avaient lancé une grande campagne d’exploration à partir de leur planète natale, Margnez, et avaient fini par découvrir, une quinzaine de leurs années seulement après le lancement des premières expéditions, le système de Kivilis et ses habitants. Ledit système, qu’on appellerait par la suite Primor, se trouvait, spatialement parlant, très proche d’eux (moins d’une vingtaine d’années-lumière). Et ainsi se produisit ce que l’Histoire avait nommé, sans grande originalité, le Premier Contact, qui devint par la suite l’An 0 du Calendrier Galactique (PPC).

 Après quelques décennies de découverte et d’apprivoisement mutuels, l’espace s’était ouvert aux Humains et à leurs nouveaux alliés dans toute son immensité. Les Margnerals étaient une race posée, pâle et gracile, aux oreilles immenses et aux grands yeux dorés, que la fougue de ses nouveaux alliés intriguait et amusait à la fois. Aujourd’hui encore, on trouvait des Margnerals parmi les professeurs, les juges et les scientifiques. Avec leurs mains à six doigts, c’étaient également d’excellents musiciens. Cette espèce jouissait d’une espérance de vie plus longue que celle des Humains, mais également, comme si cela devait fatalement se compenser, par une fertilité d’autant plus faible.

 Deux cents ans avaient passé ainsi, dans une vaste fièvre colonisatrice que l’on avait appelée par la suite le Premier Essor. De nouveaux peuples étaient parfois découverts – relativement peu, car les conditions propices à la vie, et encore plus, à la vie intelligente, n’étaient que rarement réunies sur une planète - ainsi que leurs civilisations, quasiment toutes pré-spatiales : les fameux pré-techs. Exceptées de petites frictions, inévitables de temps à autre, l’harmonie régnait alors entre les étoiles.

 C’est alors que l’impensable s’était produit. Les archives de cette époque étaient incomplètes et, par la suite, de nombreux écrits et holodramas avaient tenté de faire la vérité sur cette tragédie incommensurable, mais personne ne savait ce qui s’était réellement passé.

 Boutae avait été détruite.

 On racontait depuis que, à la suite de l’apparition de l’ultralux, Kivilis et Boutae étaient devenues rivales. On racontait aussi que Boutae et Kivilis s’étaient fait dépasser par la technologie et, plus particulièrement, par les Intelligences Artificielles. Elles s’étaient totalement reposées sur des programmes de plus en plus performants, de plus en plus intelligents, excluant de plus en plus les organiques de leurs équations. Était-ce une expérience qui avait mal tourné ? Une IA devenue folle ? Ou s’agissait-il encore d’autre chose ? Mais le fait était là.

 Boutae avait implosé. Littéralement. Une planète entière avait été volatilisée, aspirée dans un trou noir miniature qui avait par la suite disparu, ne laissant qu’une ceinture de débris. À peu près au même moment (cause ou conséquence ?), Kivilis avait perdu le contrôle de tous ses ordinateurs, un gigantesque black-out qui avait rendu orphelins des milliers de vaisseaux spatiaux, qui s’étaient perdus à jamais dans l’espace. Certains, très peu, furent retrouvés. La plupart disparurent dans le cosmos, et on n’entendit plus jamais parler d’eux.

 Il s’ensuivit un tel traumatisme que, pendant près d’un millier d’années, la technologie devint pratiquement hors la loi, et tout échange entre les systèmes stellaires cessa. Et pendant ce millénaire, chaque planète évolua selon sa propre tendance, si bien que chacune n’eut à la fin qu’une faible ressemblance avec la civilisation colonisatrice d’origine. La Ceinture d’Astéroïdes de Boutae devint l’objet de légendes et de conjectures.

 Mais l’on ne pouvait rester éternellement isolé. Petit à petit, la technologie revint, mais sous une forme sévèrement contrôlée. Les échanges recommencèrent. Et bientôt, la Del fut créée.

 La Del (un acronyme qui signifiait, littéralement, Démocratie des Etoiles Libres) portait un nom pompeux qui avait surtout servi à donner un sentiment d’unité aux populations de mondes aux aspects et aux civilisations désormais si différents. C’était un système politique assez souple, qui avait évolué petit à petit mais en laissant une très grande liberté aux mondes adhérents. Son siège, après s’être un temps trouvé sur Margnez, la planète d’origine des Margnerals, avait finalement pris sa place définitive sur Kivilis en 2456 PPC (Post Premier Contact). Et la paix avait régné dans le Quadrant, durant des millénaires. Une paix relative, certes, mais la paix tout de même – la Paix Delenne. L’aide des Wardom – la Confrérie avait été fondée au détour du quarante-sixième siècle - avait d’ailleurs été pour beaucoup dans cet état de fait : ces diplomates télépathes, fortement empathiques, avaient été un véritable atout pour maintenir des relations apaisées entre des civilisations et des races si différentes.

 Les Intelligences Artificielles étaient sévèrement bridées, et vrai tabou sur la plupart des planètes, y compris et surtout sur Kivilis. Les robots existaient pourtant, humanoïdes ou non, et de nombreux ordinateurs « intelligents » aidaient à une multitude de tâches, comme Inause par exemple, mais aucun n’avait de pouvoir de décision ou de contrôle. Les IA anthropomorphiques, avec une conscience, étaient extrêmement rares, et très mal vues dans cet univers qui ne s’était jamais vraiment remis de la Catastrophe de Boutae.

 C'est pourquoi la technologie, bien que supérieurement avancée par rapport à tout ce que Claire connaissait, n’était pas non plus outrageusement futuriste, du moins à ses yeux : oui, il y avait des vaisseaux spatiaux à gravité artificielle, des voyages plus rapides que la lumière, des techniques médicales avancées, des alliages aux propriétés étonnantes et des réseaux de communication ultra-performants, mais l’immense réticence concernant les IA avait, de fait, bloqué ou fortement ralenti la plupart des progrès techniques depuis des dizaines de siècles.

 Une ou deux fois par millénaire, parfois plus, des « incidents graves » survenaient. Des guerres, qui duraient parfois quelques dizaines d’années – surtout entre la Del et les civilisations proches, plus rarement des guerres civiles - des escarmouches, des coups d’états divers et variés, mais jamais, grâce aux Wardom et au strict contrôle technologique, une catastrophe telle que celle de Boutae ne se reproduisit.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Marga Peann ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0