Chapitre 42 - Envol

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 Débouchant au pas de course dans le hangar, Claire aperçut le petit homme trapu, en tenue de combat, qui s'entretenait avec un groupe d’OLS affectés à la surveillance des docks. Quand il la vit approcher, le Lieutenant cessa sa discussion et la rejoignit d’un air furibond.

— Vous avez plus de vingt minutes de retard ! C’est totalement inadmissible !

— Je suis désolée, s’excusa-t-elle, rouge de honte. Vraiment. Je n’ai pas vu l’heure.

 Devant son embarras, il s’adoucit. En l’envoyant au tapis plusieurs fois ces derniers temps, elle se plaisait à imaginer qu’elle avait réussi à gagner son respect. Il n’en était pas moins exigeant pour autant, mais il lui criait moins dessus qu’avant, et semblait plus disposé à être aimable.

— Bon, ça ira pour cette fois, fit-il d’un ton bourru. Jour de congé, c’est ça ?

 Elle hocha la tête, penaude. Sans se départir de son air renfrogné, il renifla et, d’un signe de tête, lui intima de grimper à bord de la navette la plus proche.

— Où allons-nous ? s’étonna-t-elle, tout en gravissant la rampe derrière lui.

— Aujourd’hui, nous allons voir comment vous vous comportez en combat 0-g, expliqua-t-il en prenant place dans l’un des sièges de la minuscule navette, conçue pour une demi-douzaine de passagers, mais dont ils étaient les seuls occupants.

 Seule la pilote Treuze était déjà installée dans le cockpit, long et effilé, uniquement séparée d’eux par une vitre de plastacier. Elle se retourna et leur jeta un coup d’œil alors qu’ils s’installaient. Sur un signe de tête du Lieutenant, elle lança la séquence de décollage. Derrière eux, la rampe se replia alors que la porte se fermait en chuintant.

 S’asseyant près d’un hublot, de l’autre côté de la rangée où avait pris place son instructeur, Claire s’étonna :

— N’y a-t-il pas des installations 0-g à Bhénak ?

— Bien sûr, acquiesça-t-il. Mais je préfère la mise en conditions réelles, histoire de voir tout de suite ce que vous avez dans le ventre. On aura bien le temps ensuite de perfectionner les techniques ici, à la Résidence. Comme le Seigé est hors-planète, ajouta-t-il, vous n’avez pas d’impératifs pour retourner à Bhénak avant la fin de la soirée.

 Elle lui jeta un regard en coin. Ses séances quotidiennes dans le Grand Bureau n’étaient de toute évidence pas un secret pour le Lieutenant, mais c’était la première fois qu’il les évoquait, ne serait-ce que de manière détournée.

— Et nous allons où, exactement ? demanda-t-elle alors que les moteurs de la navette commençaient à vrombir.

— Sur l’une des stations orbitales d’entraînement des troupes. J’ai réservé une salle Kanaskith pour quatre heures.

 La navette s’élança hors du hangar et prit rapidement de l’altitude, dans le ciel doré de la fin d’après-midi. Claire n’en croyait pas ses oreilles. Une station orbitale ! Jamais encore depuis son arrivée ici elle n’était allée dans l’espace. Elle avait vu nombre d’holovid et de reportages, elle avait volé dans des simulateurs, et elle savait que les excursions dans l’espace étaient monnaie courante, ici, plus courantes encore que de passer d’un continent à l’autre, sur Terre, mais elle n’avait encore jamais eu l’occasion de quitter l’atmosphère.

— Une salle Kanaskith ? s’enquit-elle, son attention fixée sur le paysage qui se dévoilait en dessous d’eux.

 Le trafic était relativement dense, mais déjà ils avaient dépassé les couches les plus basses des voies stratosphériques.

— Une salle Kanaskith est une salle d’entraînement en apesanteur, expliqua le Lieutenant sans relever la tête.

 Il avait déroulé son bayni et s’était plongé dans la lecture d’un rapport, totalement indifférent au panorama.

— Elle possède des obstacles disposés selon un schéma aléatoire, poursuivit-il en annotant son document. Ces obstacles répondent à des critères prédéfinis à l’avance, selon les principes de Toedor Kanaskith, le célèbre stratège. Vous n’en avez jamais entendu parler ?

— Ça a dû m’échapper, murmura-t-elle, son attention toujours fixée sur le hublot.

 Dehors, le ciel s’obscurcissait. Très vite, la courbure de la planète apparut. Claire agrippa les accoudoirs de son siège, le cœur battant. Le ciel était passé du bleu au noir absolu en quelques dizaines de secondes, et déjà l’espace se révélait.

 L’émotion qui la prit à ce moment-là fut semblable à celle de ce premier jour sur Kivilis, dans la navette du Seigé, mais bien plus intense encore. Elle était dans l’espace. Véritablement ! Alors qu’apparaissaient les premières étoiles, alors que commençaient à se détacher les diverses stations orbitales et autres installations qui ceinturaient la planète-capitale, dans un trafic dense – mais qui, dans l’immensité qui les entourait, paraissait infime – la petite Terrienne sentait son cœur battre à tout rompre. La lumière du soleil qui filtrait par les hublots était plus pure, plus crue, que tout ce qu’elle n’avait jamais vu.

 Le Lieutenant, plongé dans sa lecture, ne releva pas la tête une seule fois, même quand le vrombissement des moteurs changea subtilement de tonalité – signe qu’ils passaient en propulsion spatiale et non plus atmosphérique.

 Alors qu’elle voyait elle-même, pour la première fois, la fine ligne bleue de l’atmosphère qui entourait la planète-capitale, avec sa surface presqu’entièrement urbanisée et ses rares océans d’un bleu profond, presque noir, Claire repensa aux astronautes, spationautes et autres cosmonautes de la Terre. Que diraient-ils, eux qui subissaient un si vigoureux entraînement, en voyant le voyage spatial accessible ainsi à tout-un-chacun ? Seraient-ils dépités de perdre ce qui rendait leur vie aussi unique, aussi bien à leurs yeux qu’à ceux des autres ? Ou seraient-ils ravis de voir leur rêve devenu abordable au plus grand nombre ?

 Reviendrait-elle un jour sur sa planète, aux commandes d’une de ces navettes ? Au lieu de ces continents inconnus, verrait-elle les côtes familières se dessiner, nimbées de bleu, de brun et de vert ? Sans doute jamais, malheureusement, songeait-elle en admirant de tous ses yeux le spectacle qui s’étalait de l’autre côté du hublot.

 Refusant de s’appesantir sur la vieille douleur, pas aujourd’hui, pas alors qu’elle vivait une expérience si grisante, elle reporta son attention sur l’immensité qu’elle apercevait au dehors, et sur les multiples installations qu’elle voyait orbiter à diverses altitudes.

 Bientôt, bien trop tôt à son goût, leur destination apparut. Une extraordinaire et fantasque construction constituée de deux imposants cylindres métalliques, de taille identique, qui se croisaient au niveau d’une énorme sphère de métal, hérissée de baies et d’excroissances : des quais d’amarrage pour de gigantesques vaisseaux, des antennes, et d’autres tubulures à la fonction encore moins identifiable.

 L’extrémité de chaque cylindre était coiffée d’un dôme transparent, composé de milliers de facettes cristallines. Une multitude de navettes voletaient tout autour de la station spatiale, comme une nuée d’insectes virevoltants. La partie exposée au soleil étincelait sous la lumière éclatante, alors que la partie dans l’ombre était plus noire que la nuit qui l’entourait, révélée seulement par les ribambelles de lumières des baies, hublots et autres fanaux.

— Navette NIT-LPS-015 à Station G-DAI, demande autorisation d’amarrage, fit la voix de la pilote.

— Station G-DAI à navette NIT-LPS-015, veuillez transmettre votre code d’authentification pour amarrage, répondit le contrôleur d’une voix flûtée.

— Code transmis, indiqua la pilote.

— Navette NIT-LPS-015, vous avez l’autorisation de vous amarrer. Quai soixante-neuf.

— Bien reçu. Ici NIT-LPS-015, terminé.

 Alors qu’ils approchaient de la station orbitale, l’horizon bascula tandis que la pilote commençait les procédures d’amarrage. La planète, jusqu’à présent sous leurs pieds, se trouvait désormais à leur droite, sans qu’aucun changement dans la gravité artificielle du vaisseau ne se soit fait sentir, pas même la plus légère force centrifuge, totalement contrebalancée par les compensateurs d’inertie.

 C’était assez perturbant de voir ainsi changer la verticalité sans en ressentir le moindre effet, et Claire sentit la nausée l'envahir.

Non mais sérieux… pas ici, pas aujourd’hui !

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